En faveur de l’évaluation des croyances spirituelles des patients par les médecins

La médecine a bien longtemps délaissé le modèle biomédical où la santé du patient n’était réduite qu’à son aspect biologique. En fait, de nos jours, la santé se conçoit comme « un état complet de bien-être physique, mental et social et non seulement par l’absence de maladie ou d’infirmité (OMS,2019) ». La Charte de Bangkok, elle, stipule que « La promotion de la santé repose sur ce droit (la santé) de l’homme essentiel et offre un concept positif et complet de santé comme déterminant de la qualité de vie, qui recouvre également le bien-être mental et spirituel (OMS, s.d.) ». Ainsi, comment, en tant que professionnels de la santé, pouvons-nous garantir une gestion adéquate de la « Santé » du patient, si nous ne tenons pas compte de la dimension spirituelle de ce dernier ? Sachant qu’au Canada, entre 70% et 81% de la population a des pratiques religieuses ou spirituelles, n’est-il pas raisonnable que cet aspect soit pris en compte lors de la prestation des soins (Zuckerman P, 2007)? Mais encore, il semblerait qu’entre 4 et 80% des patients souhaiteraient que leurs physiciens les questionnent au sujet de leurs croyances spirituelles (Guilfoyle et St Pierre-Hansen, 2012). Dès lors, le médecin ne se doit-il pas d’être à l’écoute des besoins et des volontés de ses patients? Ceci dit, d’après moi, en adoptant une approche holistique, où chaque dimension biopsychosociale et spirituelle du patient est prise en compte, la médecine favorisera une meilleure prise en charge des patients. En d’autres termes ; l’intégration d’une évaluation des croyances spirituelles des patients serait indispensable à une bonne pratique clinique et à une relation patient-clinicien optimale.

En premier lieu, il est à noter que l’engagement religieux affecte indéniablement la santé des individus ; puisque plusieurs études démontrent que ce dernier permet « un meilleur coping face aux maladies, un taux de mortalité́ et de morbidité́ plus bas, une diminution des troubles émotionnels, un support social renforcé, une plus grande stabilité́ des couples, moins d’abus de substances et moins de comportements destructeurs dans les relations interpersonnelles (Mandhouj, 2015) ». Ceci dit, comme la spiritualité impacte la santé des individus, n’est-elle pas aussi importante à considérer que les habitudes de vie telles la consommation d’alcool, l’alimentation et la cigarette ? De plus, il est important de garder à l’esprit que la spiritualité affecte, non seulement la santé des individus, mais aussi leur adhérence aux traitements médicaux

(Koenig, 2003). En effet, dans certaines pratiques et croyances spirituelles, à l’instar de suivre un traitement médical conventionnel, ces adhérents se tournent vers « des cures miracles basées sur la foi et sur des activités religieuses (prières particulières, etc.). Ces alternatives pourraient mettre leur santé en péril, retarder le diagnostic, retarder le traitement et même engendrer des graves problèmes de santé (Mandhouj, 2015) ». Inopportunément, de telles pratiques mènent parfois à de tragiques dénouements comme dans le cas du bambin de 19 mois qui est décédé en 2012, de la méningite non traitée due aux croyances « anti-vaxxer » à laquelle sa famille adhérait. Un autre exemple qui démontre l’importance d’une évaluation spirituelle préalable serait dans le cas d’un patient à qui de l’héparine pourrait être prescrite comme anticoagulant. Si ce dernier s’informe au sujet du médicament et qu’il découvre qu’il est fait à partir d’entrailles de porc -dont la consommation est interdite selon ses croyances spirituelles-; il pourrait mettre sa santé en péril s’il décide d’opter pour la cessation de ce médicament. D’où l’importance de s’informer à priori des valeurs et croyances des patients -et des autorités responsables du mineur- qui pourraient faire obstacle aux traitements médicaux; puisqu’en obtenant de l’information par rapport aux croyances des patients, le médecin pourra soit, trouver une thérapie substitutive soit mener une discussion ouverte sur les implications de tels choix pour le patient. Par ailleurs, faillir à répondre aux besoins spirituels, notamment en fin de vie, augmenterait le cout des traitements prodigués. En fait, ceci peut s’expliquer par le fait que lorsqu’il n’y a plus aucun espoir de guérison, certains patients et leur famille s’accrochent à l’idée qu’un miracle est toujours possible. Ce faisant, ces derniers peuvent se tourner vers l’acharnement thérapeutique. Par exemple, pour une personne en état végétatif, la famille du patient serait moins encline à le débrancher, par peur d’une punition divine ; entrainant de ce fait, une « futile » consommation des ressources médicales. Ceci dit, la connaissance et la prise en compte des besoins spirituels des patients et de leur famille permettraient de discuter plus ouvertement de certaines résistances d’ordre spirituel relatives à l’arrêt des traitements. Permettant ainsi, d’empêcher que la situation dure indéfiniment ; et qu’elle ne coute davantage (Koenig,2012). Aussi, non seulement omettre de répondre aux besoins spirituels augmente les couts financiers, mais cela augmente aussi les couts humains. En effet, la spiritualité offre un mécanisme de coping face aux maladies où , dans certains pays, près de 90% des patients se tournent vers la religion pour accepter leur sort. Ainsi chez certaines personnes gravement malades, l’apparition d’une « détresse religieuse et spirituelle se manifestant par des sentiments négatifs tels que l’impression d’être abandonné ou puni » provoque alors-là une mortalité plus élevée, et ce, indépendamment des effets psychologique, physique et social de la maladie (Koenig, 2012 ; Monod, 2006).
En conclusion, à la lumière de ce qui fut dit précédemment, il serait important de prendre une brève histoire spirituelle de chaque nouveau patient (son orientation spirituelle et ses valeurs) ; de connaitre en quoi ses croyances jouent un rôle dans la gestion de sa maladie ; de connaitre si d’éventuelles divergences entre ses croyances et les traitements thérapeutiques pourraient survenir ; et autres (Koenig, 2012). En ce qui concerne une telle entrevue, elle devrait être d’une durée de moins de 5 minutes afin de recueillir les informations importantes sans toutefois limiter le temps alloué aux autres tâches lors de la consultation. De plus, lors de ce « screening » spirituel, si les médecins relèvent des besoins spirituels qui sont au-delà de leur compétence ; ces derniers devraient référer les patients à des personnes formées dans le domaine, pour leur éviter toute souffrance spirituelle future (Koenig, 2012). Par conséquent, en connaissant les croyances des patients en matière de soins médicaux, grâce à ce « screening » spirituel, dans l’éventualité́ où ces derniers ne seraient plus aptes à s’exprimer, les médecins seraient en mesure de prendre des décisions thérapeutiques qui respecteraient les volontés et les croyances du patient. Bref, en améliorant la communication entre les patients et leurs médecins, non seulement cela favorisera la participation du patient au soin, mais cela permettra aussi, une meilleure connaissance et compréhension des choix de soins des patients. Sur cette note, même si les croyances religieuses doivent être prises en considération, il est important pour le clinicien de garder un esprit ouvert et sans préjugés afin de ne pas laisser ses propres croyances interférer avec le déroulement de la séance. Ceci dit, grâce à une telle entrevue, il sera possible 1) de prendre en charge le patient de manière holistique « corps-esprit » ; 2) d’établir une relation thérapeutique plus transparente ; 3) de créer un lien de confiance, car une telle approche démontrerait que nous ne nous intéressons pas qu’à son « corps », mais bien aussi à son « esprit ». Par cela, nous humanisons la relation patient-médecin, chose que certains patients reprochent aux médecins de négliger.