Les Etats-Unis ont-ils livré l’Irak à l’Iran?

Introduction

L’Iran, seule république théocratique du monde, a connu ces dernières années et récemment de nombreux troubles qui ont considérablement modifié sa situation économique, politique et culturelle. Étant donné que ce pays est le deuxième producteur de pétrole au monde (Calvet & Caracciolo 2015) , un avantage considérable dans son développement, il connaît une croissance économique et rapide, ainsi qu’un développement de son marché intérieur. Suite aux évènements de ces dernières années, tels que la révolution iranienne et la guerre Iran-Irak, l’Iran a connu un certain nombre de difficultés telle que l’érosion progressive des liens unissant l’Etat à la société civile (due aux politiques actuelles du régime et au fait que l’Iran est un Etat rentier).
Plus récemment, le pays est confronté depuis le 28 décembre 2017 à une série de manifestations protestataires, qui ont déjà causé plusieurs morts à travers le pays. Alors que le régime se relève à peine des sanctions économiques internationales infligées en 2012, les manifestants dénoncent les mauvaises conditions économiques, les inégalités sociales et le gouvernement en général (Ladier-Fouladi, 2018) .

Suite à ces difficultés et dû au fait que l’Iran est une république théocratique (c’est-à-dire que le système politique est organisé autour du principe que le clergé Chi’ite a le droit divin de gouverner puisque ce sont les interprètes qualifiés de la volonté de Dieu), il sera nécessaire de se demander si la République Islamique en Iran est stable. En effet, les récentes manifestations ont affaibli le gouvernement du président Hassan Rohani, qui s’efforce de conserver une ligne centriste, et la colère croissante de la population menace la survie du régime. Afin de répondre à cette problématique, l’on étudiera tout d’abord comment définir la stabilité politique d’un régime, puis le fonctionnement du gouvernement Iranien et les principaux piliers qui le constituent. Il sera ensuite nécessaire d’examiner les défis majeurs qui lui font face (soit les difficultés économiques, la corruption gouvernementale et les inégalités sociales) et comment ces problèmes sont abordés, ce qui nous donnera enfin une idée de la mesure dans laquelle il est susceptible de réussir à surmonter ces problèmes.

Définir la stabilité d’un régime politique

Afin d’analyser de façon efficace le bon fonctionnement du régime Iranien et de savoir si celui-ci sera capable ou non d’aborder les problèmes auxquels il fait face, il est nécessaire de définir ce qu’est et ce qui constitue la stabilité d’un régime politique. La notion de stabilité en général peut être généralisée

comme une constance, ou une capacité d’un système à fonctionner sans altérer sa structure. Or, pour un système politique, la notion de stabilité est définie par Ake (1975) comme la régularité du flux des échanges politiques. Il existe donc une stabilité politique dans la mesure où les membres de la société se limitent aux comportements qui se situent dans les limites imposées par les attentes du rôle politique. Un régime politique stable se caractérise donc par la capacité du gouvernement de fonctionner sur le long terme sans grands changements structurels ainsi que par l’absence de la menace réelle d’une violence illégitime. La stabilité est alors une sorte de conséquence du pouvoir publique légitime, et l’on verra plus tard dans cette rédaction si l’Iran peut être considéré comme un pays au régime politique stable avec sa façon de répondre aux problèmes auxquels il fait face aujourd’hui.

La Banque Mondiale (BM), elle, a mis en place des indicateurs de gouvernance mondiaux, dont celui de stabilité et l’absence de violence, qui reflète les perceptions de la probabilité que le gouvernement soit déstabilisé ou renversés par des moyens institutionnels ou violents (y compris la violence et le terrorisme à motivation politique). Ces indicateurs classent les pays en centiles, 0 correspondant au rang le plus bas et 100 au rang le plus élevé. L’on peut voir (Fig.1) par ces indicateurs que la position de l’Iran a baissé, puisque le pays était en 24,3ème position en 2005, et est descendu à la 15,7ème position en 2017(Groupe de la Banque Mondiale, 2018) . L’on peut donc en conclure que la Banque Mondiale ne considère pas le régime Iranien comme étant particulièrement stable. L’on verra plus tard dans cette rédaction si ces indicateurs reflètent réellement la stabilité du régime ou non, suivant s’il arrive à répondre de façon adéquate aux problèmes majeurs auxquels il fait face.

Comment fonctionne la république théocratique qu’est l’Iran?

Le gouvernement de la République Islamique Iranienne est unique parmi les systèmes politiques contemporains en tant que théocratie infusée de solides éléments démocratique. Bien que le pays soit mené par un chef religieux portant le titre de «Guide Suprême» et jouissant de pouvoirs étendus, il a également de solides principes démocratiques. En effet, la Constitution Iranienne reconnaît les principes de souveraineté populaire ainsi que la séparation des pouvoirs. Elle fait également souvent référence aux droits individuels et accorde le droit d’élire le président, les membres du parlement, les membres de l’Assemblée des Experts et les conseils municipaux (Bouroujerdi, 2016) .

La plus haute autorité de l’Etat Iranien est le Guide Suprême, aujourd’hui Ali Khamenei, qui supervise les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, s’assure du bon fonctionnement des institutions et fixe les grandes orientations du régime. Celui-ci, aussi Guide de la Révolution, est désigné par l’Assemblée des Experts, dont les membres sont élus au suffrage universel tous les huit ans. Les trois pouvoirs sont ensuite séparés entre le président de la République, le Parlement et le Guide.

Le pouvoir exécutif est exercé par le Président de la République, aujourd’hui Hassan Rohani, qui est élu directement par le peuple pour un mandat de quatre ans. Celui-ci peut renouveler son mandat une fois, et dirige le conseil des ministres et le gouvernement, tout cela sans Premier Ministre (il n’y en a plus depuis 1989) (Pironet, 2007).

L’Assemblée Consultative Islamique, ou le Parlement, exerce le pouvoir législatif en Iran avec 290 représentants, élus au suffrage universel direct pour quatre ans (Pironet, 2007). Toute décision prise par le Parlement est d’abord étudiée par le conseil des Gardiens, qui doit s’assurer de la conformité de celle-ci avec la Constitution et l’Islam. Le Conseil a alors un droit de véto et a une compétence législative extraordinaire étant donné qu’il peut proposer des mesures non conformes à la charia.

Pour ce qui est du pouvoir judiciaire, il est exercé par un théologien juriste élu par le Guide pour un mandat de cinq ans (Pironet, 2007). Il doit à son tour nommer les juges et le chef de la Cour Suprême, et est indépendant des pouvoirs exécutif et législatif.

Le système politique Iranien comprend également des organisations et institutions issues de la révolution, telles que les Bassidji (milice populaire), les tribunaux et comités révolutionnaires, mais toutes dépendent entièrement du Guide. Par ailleurs, d’après la Constitution révisée en 1989, toutes les «institutions politiques Iraniennes sont basées sur deux piliers principaux, Islamiques et républicain, qui correspondent à une double source de légitimité et de pouvoir: la souveraineté divine et la volonté populaire» (Pironet, 2007)
Enfin, le mélange des caractéristiques théocratiques et démocratiques dans la Constitution Iranienne a conduit à des tensions. En effet, la légitimité de la république repose sur la souveraineté populaire et en partie sur sa conformité aux lois religieuses. La plupart des décideurs politiques sont élus par le peuple, mais sont toujours supervisés par des religieux, qui ne sont tenus responsables devant rien, sauf leur conscience religieuse. Le régime est donc divisé dans ses bases de légitimation.

Défis majeurs du régime Iranien

Les défis majeurs auxquels l’Iran fait face ont été clairement exposés lors des récentes manifestations, et ont permis à la population Iranienne d’exprimer leur mécontentement sur l’actuelle situation économique du pays, la corruption gouvernementale (et une insatisfaction générale du système politique du pays), et les fortes inégalités sociales. Les manifestants appellent donc à un redressement économique, un changement fondamental du système politique, ainsi qu’à des réformes sociales (Sharafedin, 2018 ).

Une situation économique précaire

Une série de sondages d’opinion publique en Iran, conduite par IranPoll en janvier 2018, a révélé que 69% de la population pense que la situation économique du pays est mauvaise, et que 58% de la population pense que les conditions économiques sont en train d’empirer (la majorité pensait le contraire dans les deux cas en 2015, Fig.2) (IranPoll, 2018).

Cependant, lorsque l’on examine les faits, le gouvernement du Président Hassan Rohani est tout de même parvenu à réduire l’inflation à 10,5% en 2017, alors qu’elle était de 40% sous son prédécesseur en 2013 (Groupe de la Banque Mondiale, 2018 ). Il est vrai que le taux d’inflation est encore très haut comparé à celui que la plupart des banques centrales visent. En effet, le taux d’inflation cible est en général entre 1 et 3%, et 3% représente déjà une zone dangereuse qui pourrait causer la dévaluation d’une devise nationale («Inflation Targeting», 2018 ). L’on voit déjà qu’un taux d’inflation aussi haut est nocif pour l’économie Iranienne, qui, depuis que le président américain, Donald Trump, a annoncé que les Etats-Unis allaient se retirer de l’accord nucléaire iranien, a vu le rial « [perdre] 60% de sa valeur, […] illustrant l’inquiétude des milieux d’affaires sur l’économie du pays et alimentant la hausse des prix des produits alimentaires importés » (Bourdillon, 2018 ).

En plus de la hausse des prix, l’insatisfaction générale sur la performance économique du pays découle du taux de chômage élevé, qui a atteint 29,9% chez les jeunes en 2017 (Groupe de la Banque Mondiale, 2018 ). En effet, la jeunesse est très présente dans les rassemblements, puisque c’est elle qui est la plus touchée et qui représente 30% de la population (Breteau, 2018) .