Le problème grandissant de la criminalité environnementale

Introduction

La criminalité environnementale procède de l’interaction de facteurs culturels, politiques et économiques, et peut impliquer une large gamme d’acteurs à travers le monde (Huisman & Van Erp, 2013). De ce fait, elle représente l’un des domaines d’activités criminelles transfrontalier connaissant la plus forte croissance en regard des profits élevés qu’il génère, proportionnellement au faible risque d’être appréhendé. Dès lors, la déforestation, l’exploitation forestière ou minière illégale, le braconnage et la contrebande d’espèces sauvages, le marché noir de substances appauvrissant la couche d’ozone, le commerce illégal et le déversement de déchets dangereux et toxiques s’avèrent des marchés intéressants et facilement exploitables par le crime organisé et les réseaux de contrebande (Elliott, 2012).

Appréhender les crimes environnementaux comme des crimes en « col blanc »

Sutherland fut le premier à évoquer le fait que les délinquants en col blanc ne se considéraient pas comme des criminels, niant toute intention coupable à l’origine de l’infraction. Il s’agirait selon le chercheur, d’un trait psychologique distinctif, qui leur permettrait de neutraliser et de rationaliser leur comportement criminel (Sutherland, 1940). Selon ces caractéristiques, la criminalité environnementale pourrait être logiquement associée au crime économique, du fait que les contrevenants emploieraient les mêmes techniques de neutralisation pour commettre leurs méfaits (Amissi, M. et Duval, M.C., 2016). Selon Schindeler et Ransley (2015), la neutralisation ferait référence à l’utilisation d’excuses, de justifications ou d’un langage banalisant la gravité de la conduite, qui permettrait à l’entreprise ou à l’individu de rendre acceptable un comportement susceptible d’être répréhensible. De ce fait, on pourrait qualifier ces crimes de « rationnels », puisqu’ils seraient essentiellement motivés par l’appât du gain en raison des faibles conséquences qui y seraient associées (Naylor, 2000). 

Selon l’agence policière internationale Interpol, la criminalité environnementale serait le plus souvent liée à la fraude, à la corruption et au blanchiment d’argent. En regard des profits générés – pouvant s’élever jusqu’à 280 milliards de dollars américains annuellement –, ce type de criminalité serait également investi par le crime organisé, voire même le terrorisme, et se hisserait au rang des crimes transnationaux les plus lucratifs, tels les trafics de stupéfiants, d’armes ou la traite d’êtres humains. À cet égard, ce commerce illégal, outre les atteintes manifestes à l’environnement et à la biodiversité, priverait les économies de milliards de dollars en revenus et en opportunités de développement. De plus, contrairement aux autres trafics, aucun traité international n’a

été mis en œuvre pour le prévenir, le réprimer et le punir.

Comme en témoignent plusieurs mécanismes novateurs mis en place pour favoriser des collaborations internationales efficaces afin de contrer, réglementer et légiférer ce type d’infraction tel que : la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacés d’extinction (CITES), la Convention de Bâle, qui vise le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la Commission de nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale d’Interpol (CCPCJ), le Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que plusieurs ONG travaillant de concert avec ces organisations, la criminalité environnementale est désormais reconnue comme l’une des menaces les plus importantes à l’échelle mondiale (Interpol, 2014). Les efforts déployés par le Canada et la communauté internationale demeurent toutefois sous-financés et inadaptés en regard de l’ampleur et la croissance de la menace qui pèse sur la faune et l’environnement (Elliot 2012 ; Interpol, 2014).

L’efficacité des lois environnementales face à la corruption

Pour expliquer l’impact de la corruption sur la déforestation – s’avérant d’ailleurs, selon Interpol (2014), comme l’un des plus grands problèmes à l’échelle mondiale –, Koyuncu et Yilmaz (2009), ont mené une première étude transnationale, en se référant à l’ensemble des indices de corruption disponibles. Au terme de leur étude, les chercheurs ont observé une relation positive, forte et statistiquement significative entre la corruption et la déforestation, concluant que le niveau de déforestation dans les forêts publiques aurait, de ce fait, largement contribuée à l’épuisement des ressources forestières. Damia, Fredriksson et List (2003), se sont quant à eux penchés sur les interactions entre la libéralisation du commerce, la corruption et la détermination des politiques environnementales. Ainsi, les auteurs arrivent à la conclusion que plusieurs de leurs prédictions sont vérifiables, notamment en ce qui a trait au fait que toute forme de réglementation environnementale est inefficace en présence d’un niveau de corruption élevé.

Parmi les cas les plus médiatisés, le trafic de déchets toxiques en Somalie illustre bien le phénomène. Depuis les années 1980, le pays s’avère un lieu de déversement de matières dangereuses de prédilection pour certaines puissances occidentales, dont les États-Unis et l’Europe. L’ancien directeur exécutif du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) Mustafa Tolbà, explique l’existence de ce trafic par le fait que l’élimination illégale d’une tonne de déchets coûterait environ 2,50$, alors que l’élimination de la même quantité d’ordures dans un pays occidental coûterait de 250 à 1000 dollars. Ainsi, le déversement illicite de déchets s’avérerait une solution de facilité pour les malfaiteurs, dans l’intention de se soustraire aux coûts du traitement responsable des matières dangereuses. De plus, les différentes législations des pays, ainsi que la rigidité des processus d’application de la loi, permettraient aux escrocs de s’en tirer le plus souvent sans réprimande significative (Interpol, 2014).

Plus récemment, le Journal de Montréal rapportait qu’une ONG américaine avait recensé jusqu’à cinquante-six entreprises canadiennes « légales » complices de malversations environnementales criminelles majeures au Brésil. En outre, ces entreprises seraient reliées – à travers des prêts aux entreprises, ou par la détention d’actions d’une valeur estimée à plusieurs millions de dollars –, à des incendies criminels en forêt amazonienne, à la déforestation illégale, à la corruption, ainsi qu’au travail forcé. Parmi les sociétés financières d’Europe et d’Amérique du Nord à l’origine du financement des activités criminelles, se trouvaient bon nombre de banques canadiennes telles que la Banque de Montréal, la Banque royale du Canada, la CIBC, la Sun Life et la Banque TD.

L’inaction du gouvernement canadien en matière pénale

Malgré l’adoption de certaines mesures pour réglementer l’exploitation des ressources naturelles et la gestion des déchets dangereux, le Canada fait piètre figure en matière pénale lorsqu’il s’agit d’infractions liées à l’environnement. Par ailleurs, ces infractions sont essentiellement pénalisées en ce qui a trait au non-respect d’obligations administratives (Faure, 2005). Malgré le fait que la communauté internationale puisse sanctionner à travers la Cour internationale de justice ou de la Cour pénale internationale, ces instruments juridiques ne s’appliquent pas aux activités économiques menées par les entreprises à l’étranger. Ainsi, les multinationales évitent facilement les poursuites judiciaires, dès lors qu’il n’existe aucun cadre juridique international pour les y contraindre (Banungana, 2018). Les accidents industriels ou écologiques tels que des marées noires ou déversements de produits toxiques, ainsi que la corruption de fonctionnaires locaux, ne sont incidemment pas soumis aux autorités compétentes. On pourrait dès lors conclure à une violation de la souveraineté nationale des pays hôtes par lesdites entreprises, puisque que concrètement, les tribunaux occidentaux n’ont pas les outils nécessaires pour juger des agissements de leurs multinationales à l’étranger (Bernier, 2015).

Les poursuites-bâillons au Québec : L’Affaire Noir Canada

À travers la publication du livre Noir Canada en 2008 : pillage, corruption et criminalité en Afrique, les auteurs Alain Denault, Delphine Abadie et William Sacher, n’hésitaient pas à dénoncer les pratiques douteuses d’entreprises minières canadiennes en Afrique. Ces pratiques, qui n’avaient par ailleurs jamais été considérées comme « répréhensibles » sur le plan juridique et politique avant ce jour, étaient cependant responsables, selon les auteurs, de nombreuses malversations en matière de criminalité économiques et de destruction environnementale à travers des activités de pillage, de contrebande, d’évasion fiscale, d’expropriation violente et d’abus économiques (Hébert, 2008). Au terme d’une recherche documentaire très fouillée, les auteurs stipulaient que ces entreprises bénéficiaient « d’une protection juridique leur permettant d’agir en toute impunité avec l’appui idéologique des institutions politiques et économiques canadiennes (ACDI, Bourse de Toronto) et internationales (FMI, OMC, Banque mondiale) » (Hébert, 2008, p. 269)

Le 11 juin 2008, la société aurifère canadienne Banro, déposait en Ontario une poursuite en « diffamation » de cinq millions de dollars, qui venait s’ajouter à une poursuite similaire de six millions de dollars intentée par Barrick Gold à Montréal contre les auteurs de Noir Canada et leur maison d’édition Écosociété. Selon la définition de Lemonde (2016), il s’agissait d’une poursuite-bâillon, aussi connue sous l’acronyme anglais SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation), que dénonçaient alors les accusés :

« Les poursuites-bâillons, sont des poursuites stratégiques intentées par des entreprises ou des institutions contre des groupes de pression ou des individus qui dénoncent publiquement leurs activités ou qui interviennent dans le débat public. Ces poursuites sont entreprises non pas dans le but premier de gagner en cour, mais plutôt de réduire l’adversaire au silence, de l’épuiser financièrement et psychologiquement en l’impliquant dans des procédures juridiques longues et coûteuses et de décourager d’autres personnes à s’engager dans le débat public. Il s’agit d’intimidation judiciaire pour forcer les groupes et les militants et les militantes à limiter leurs activités politiques et à se censurer » (Lemonde, 2016).

Selon l’auteure, l’Assemblée nationale du Québec serait la première à avoir adopté, en réponse à ce cas spécifique, la loi 9, visant à interdire l’utilisation abusive des tribunaux au détriment de la liberté d’expression. Cette nouvelle disposition ne put cependant pas s’appliquer aux poursuites judiciaires en cours (Lemonde, 2016). Au terme d’une guerre psychologique qui aura duré plus de trois ans et demi, les Éditions Écosociété et les auteurs de Noir Canada sont finalement parvenus à un accord hors cour avec la multinationale Barrick Gold.

Cet accord, selon le Devoir du 19 octobre 2011, « ne saurait en rien constituer un désaveu du travail des auteurs, Delphine Abadie, Alain Deneault et William Sacher, ou de l’éditeur ». En effet, cette saga judiciaire aura au moins permis de porter un regard critique sur le rôle des multinationales canadiennes œuvrant à l’étranger, et de débattre du « paradis judiciaire » dont bénéficient les compagnies aurifères à l’échelle mondiale. Selon cette même perspective, Larouche et Voisard (2010), soulèvent l’importance de se porter à la défense des chercheurs en ce qui a trait à l’autonomie et à l’éthique scientifique. Pour les auteurs, l’engagement en recherche sert aussi à faire aussi progresser la connaissance. Ainsi, en adoptant une démarche critique, les chercheurs peuvent contribuer à « l’élargissement du champ de la conscience sociale, à la remise en question de formes établies, de pensée et de vie collective, ainsi qu’à la compréhension de mécanismes voilés d’oppression, de domination et d’exploitation qui caractérisent les rapports sociaux et politiques ».

Pour la reconnaissance du crime d’ « écocide »

Le droit de l’homme à l’environnement fut reconnu pour la première fois en 1972 à travers la Déclaration de Stockholm, qui n’avait alors aucune valeur contraignante (Jaworski, 2018). Selon l’auteure, ce droit s’inscrit dorénavant dans les législations régionales, nationales et mondiales, et suggère qu’un processus de responsabilisation pénale soit institué mondialement en ce qui concerne les délits environnementaux commis par des multinationales à l’étranger. De ce fait, il s’avère pressant de reconnaître la gravité de ces atteintes massives à l’environnement et d’admettre que certaines d’entre elles sont comparables à des crimes contre l’humanité. Conséquemment, une proposition de convention internationale contre la criminalité environnementale a récemment été formulée par une équipe de chercheurs et de praticiens universitaires (Hellio, 2016). Le projet propose sur convention internationale contre l’écocide, et présente des recommandations visant à mieux appréhender les crimes contre l’environnement. Ces recommandations prônent la rationalisation de la protection de l’environnement par le droit pénal ainsi que l’adaptation du droit pénal aux spécificités de la criminalité environnementale. De ce fait, le projet conventionnel s’appuie sur le partage du principe de prohibition de la criminalité environnementale et sur la circulation juridique des modalités de répression de cette nouvelle forme de criminalité. Il est également prévu que la proposition soit appliquée, d’une part grâce, à la reproduction de modalités classiques déjà existantes en matière pénale telles que… et, d’autre part, grâce à la confirmation de modalités émergentes (Hellio, 2016). Ce serait quoi les modalités émergentes ? est-ce mentionné dans l’article?

Conclusion

Au terme de notre réflexion, et en regard des différents aspects de la problématique mis en lumière par les chercheurs, nous croyons qu’il conviendrait d’aborder les atteintes délictueuses à l’environnement en tant que crimes économiques. En effet, les crimes environnementaux sont le plus souvent liés à des facteurs tels que la corruption, le néo-colonialisme et l’intrication d’économies illégales et légales qui, selon Willem Bonger, seraient impulsées par la nature même du capitalisme qui contribuerait à les produire (Howard, 1916). Ainsi, la prévention et la pénalisation de la criminalité environnementale devraient être analysées à travers les liens culturels et économiques qui la sous-tendent. Qui plus est, cette problématique ne saurait être uniquement réduite à son aspect pénal, puisqu’elle relève d’abord, et surtout, de sa dimension politique. En l’occurrence, un enjeu fondamentalement démocratique mériterait réflexion, celui de mettre au jour une supercherie qui consiste à faire passer le droit pour la justice et le légal pour le légitime. Cela supposerait, une plus grande responsabilisation du politique à travers la reconnaissance des mécanismes de domination et d’exploitation, ainsi que des relations de pouvoir et de la loi du marché qui s’exercent sur le corps social et sur le bien commun. Dès lors, il s’avèrerait prépondérant de laisser émerger une pensée scientifique hors de l’idéologie dominante, et de valoriser des solutions politiques qui permettraient objectivement de construire les juridictions à même de juger les délits environnementaux pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des crimes pouvant dans certains cas, gravement affecter la biodiversité et l’équilibre humanitaire. En somme, le véritable courage politique serait de préserver la vie et le bien commun au-delà de la privatisation et du profit, et de se réapproprier les questions d’équité et de justice sociale à travers une véritable vision d’avenir pour les générations futures.