Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)

Notre étude a révélé l’ampleur du phénomène de l’auto médication par les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens(AINS) chez les citoyens de la région de Sfax.

Les objectifs de ce travail sont de réaliser un état des lieux des connaissances concernant le paracétamol, l’aspirine et l’ibuprofène, parmi des sujets vivant à Sfax ayant acheté des médicaments sans ordonnance contenant l’un de ces trois principes actifs, d’évaluer la fréquence de la vente de ces 3 produits en automédication et d’analyser la relation pharmacien d’officine-acheteur de ces médicaments.

Notre population d’étude a été recrutée par un questionnaire anonyme de 14 questions. Le taux d’abstention s’est élevé à 12,6%. Ainsi, l’analyse finale a été portée sur 190 questionnaires soigneusement remplis. En fait, ces citoyens ont tendance à être plus conscients de ce type d’enquête et à se montrer plus coopérants.

Notre étude a concerné une population de citoyens sfaxiens âgée de 16 à 72 ans avec une moyenne d’âge de 31,49 +/- 12,29 ans.

Les études s’intéressant à l’automédication sont quasi absentes en Tunisie et nombreuses dans la littérature visant généralement des sujets adultes. En effet, des études réalisées en 2014 et en 2007 respectivement en Amérique et en France ont ciblé une moyenne d’âge de 49,3 ans et 43 ans successivement.(6, 7)

De rares études se sont intéressées à des tranches d’âges plus jeunes malgré leur grande implication dans l’automédication et surtout pour les antalgiques et les AINS. Parmi ces études, une a été réalisée en 2014 en Jordanie et a étudié la fréquence de l’automédication chez les élèves des collèges et des lycées. La population concernée avait une moyenne d’âge de 16,28 ans et la prévalence de l’automédication chez les participants était de 87%. Près de 75% des automédications ont été utilisées pour soulager la douleur. (8)

Dans la majorité des études similaires (1, 6, 7, 9) il y avait une dominance du sexe féminin.

Dans notre étude, le pourcentage des femmes (60%) a dépassé celui des hommes avec un sexe ratio H/F de 0,68.

Deux études menées l’une en 2010 aux Etats Unis sur l’utilisation sans ordonnances de l’ibuprofène et l’autre en 2013 en France sur l’achat sans ordonnances du paracétamol, de l’aspirine et de l’ibuprofène ont décrit respectivement les pourcentages des femmes participantes de 76% et 67%.(1, 9).

Dans notre étude, il n’y avait pas de différence significative

entre femmes et hommes et le sexe n’avait pas d’influence dans le recours à l’automédication par les antalgiques antipyrétiques (p=0,158) ; de même pour l’étude de Chabardès en 2014 où il n’y avait pas de différence significative entre les deux sexes dans l’achat sans ordonnance de l’aspirine, du paracétamol et de l’ibuprofène (p=0,95).(1)

Les femmes enceintes qui ont participé à notre enquête étaient au nombre de 4 (3,5% de la totalité des femmes). Parmi ces quatre femmes, deux ont pris le paracétamol pour des céphalées suite à un conseil du pharmacien et une a pris de l’aspirine suite à un conseil de son médecin. Une seule a autopris le paracétamol. En 2014, Une étude menée en France ayant porté sur l’achat du paracétamol, de l’aspirine et de l’ibuprofène sans ordonnances avait conclu un pourcentage faible de consommation de ces médicaments de 2,3% chez les femmes enceintes qui s’automédiquaient. (1) Cela s’explique par le niveau de conscience des femmes de nos jours grâce aux sensibilisations continues des pharmaciens et grâce à la prise en charge des médecins.

Le nombre des femmes enceintes qui avaient recours à l’automédication dans notre étude était très faible. Il ne reflète pas la fréquence de l’automédication chez les femmes enceintes qui est élevée dans les autres études ; Jensen et al.(10) ont montré que dans les pays scandinaves, les femmes enceintes utilisaient fréquemment des analgésiques légers achetés en vente libre et particulièrement le paracétamol chez près de 50% de ces femmes.

Une étude ayant porté sur les femmes enceintes en Norvège et en Danemark (11) sur le risque de l’utilisation des analgésiques légers sur le développement neurologique du fœtus a montré que parmi les 212926 participantes, 49% utilisaient le paracétamol pendant la grossesse, 3% d’entre elles utilisaient l’aspirine et 4% l’ibuprofène et que le risque de paralysie cérébrale était plus élevé chez les enfants qui ont eu une exposition prénatale au paracétamol (p=0,001).

Liew et al. (12) ont démontré selon une étude effectuée chez 64322 enfants que l’exposition prénatale au paracétamol augmenterait le risque de l’autisme chez l’enfant accompagné d’une hyperkinésie.

Dans notre étude, parmi les 4 femmes enceintes, seulement une a identifié le risque de l’utilisation de l’acide acétylsalicylique au cours de la grossesse. Pour les trois autres, elles ont considéré qu’elles pouvaient l’utiliser bien qu’elles étaient enceintes. De plus, seulement deux d’entre elles ont identifié le risque d’utiliser l’ibuprofène pendant la période de gestation. Par conséquent, bien que la majorité de ces femmes ont acheté le paracétamol, le médicament avec le moins de risques au cours de la grossesse, elles étaient mal informées sur la possibilité d’utiliser d’autres produits.

Une étude faite en 2008 sur l’automédication chez la femme enceinte par le centre régional de pharmacovigilance et de pharmaco épidémiologie de Reims (13) a trouvé que 23,3% des femmes enceintes interrogées ont pris un médicament en automédication et le paracétamol était à la tête des médicaments achetés (84,61%). Une seule patiente a administré un AINS (l’ibuprofène) en automédication au cours du premier trimestre de la grossesse.

La même étude (13) a confirmé également qu’il y avait un manque de connaissance en matière d’informations médicale sur les médicaments pendant la grossesse : seulement 51% des patientes ayant participé ont annoncé qu’elles ont reçu des informations médicales et cette information a été jugée insuffisante par 43,5% d’entre elles. Dans notre étude, la seule femme enceinte qui a acheté l’aspirine (Aspégic® 100) a indiqué qu’elle le prenait parce qu’elle était enceinte suite à la demande de son médecin.

Belhomme et al.(14) Ont détaillé les différentes indications de l’aspirine chez la femme enceinte du fait de ses propriétés antiagrégantes ; l’aspirine a été indiquée dans la maladie vasculaire placentaire, qui peut s’exprimer par un retard de croissance intra-utérin, une mort fœtale in-utéro, ou une pré-éclampsie, avec, pour origine commune, une anomalie du développement de la vascularisation placentaire. L’aspirine a été proposée aussi chez les femmes enceintes ayant présenté des fausses couches inexpliquées à répétition.(14)

Navaratnam et al.(15) ont indiqué que l’aspirine à faible dose a été adoptée récemment comme un traitement préventif important dans l’obstétrique à haut risque. Il est actuellement recommandé de commencer ce traitement à partir de la 12ème semaine de gestation chez les femmes à haut risque de pré éclampsie ce qui entraîne une réduction de 10% du risque de pré-éclampsie. L’aspirine à faible dose est recommandée aussi chez les femmes enceintes développant un syndrome anti-phospholipide lorsqu’elle est combinée avec l’héparine de bas poids moléculaire ; il se produit une réduction de 54% du taux de risque de fausses couches.(15)

Selon ses recommandations de Janvier 2017 (REF https://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Rappel-Jamais-d-AINS-a-partir-du-debut-du-6eme-mois-de-grossesse-Point-d-Information), l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a interdit l’utilisation des AINS à partir du 6ème mois de la grossesse y compris l’acide acétylsalicylique à des doses supérieures à 100 mg par jour ; et même avant le 6ème mois de gestation, les AINS ne doivent être utilisés que lorsqu’ils sont indispensables, à la dose efficace la plus faible possible et pendant la plus courte durée.

Par ailleurs, le niveau d’étude des participants à notre enquête n’a pas influé leur recours à l’automédication qui touchait tout le monde quel que soit le niveau maximum d’étude atteint (p=0,02). Dans notre étude la majorité des participants (90%) avait au moins le niveau du baccalauréat ; ce pourcentage était de 71% dans une étude similaire faite en France en 2014(1) ; ceci s’explique par l’exclusion pour les deux études de la tranche d’âge de moins de 16 ans. Ce pourcentage était plus élevé dans notre étude que celui retrouvé en France dans l’étude de Chabardès (1) parce que beaucoup de citoyens ont refusé dès le début de remplir le questionnaire à cause de leur ignorance de la langue française avec un faible niveau d’études.

Parmi les participants, 17 personnes avaient des connaissances médicales grâce à leurs études (médecine, pharmacie, infirmerie..). Bien qu’ils ne présentent que 9% de la population totale, ils étaient des acheteurs des médicaments sans ordonnances en se basant sur leurs études principalement dans le choix du produit acheté (p=0,04).

Une étude ayant porté sur 515 étudiants résidants réalisée au campus Kasapa de l’université de Lubumbashi a confirmé le résultat de notre étude et a conclu qu’il n’existait pas de différence significative dans le recours à l’automédication entre les étudiants en sciences de la santé et des autres sciences (p>0,05). (16)

Dans notre enquête, le niveau d’étude des participants n’a pas montré d’influence significative sur l’utilisation des antalgiques en automédication (p=0,669), par contre, la nature des études universitaires était un critère significatif dans le choix du produit acheté (p=0,04) surtout pour ceux qui ont eu des études médicales.

Les ventes d’analgésiques ont augmenté régulièrement au cours des 20 dernières années en Europe. En France, Les antalgiques étaient la classe thérapeutique la plus utilisée en 2013 (22% des parts du marché pour tous les médicaments). La molécule la plus consommée était le paracétamol avec plus de 500 millions de paquets vendus, suivi par l’ibuprofène. (17)

En effet, le paracétamol, qui est un médicament en vente libre dans les pharmacies, est l’antalgique-antipyrétique le plus utilisé dans le monde. Sa consommation ne cesse d’augmenter dans le monde entier. D’après une étude menée en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), l’utilisation du paracétamol a cru de 53 % entre 2006 et 2015. (17)

Selon Herndon et al. (18), le paracétamol était utilisé par plus de soixante millions des gens aux Etats Unis chaque semaine ce qui le rendait l’analgésique le plus utilisé dans le pays.

Les résultats de notre étude confirmaient celles des études précédentes et ont révélé que l’antalgique-antipyrétique le plus acheté par notre population était le paracétamol et le pourcentage des patients ayant acheté un médicament contenant ce principe actif était de 84,2%. Les différents types des maux dont se plaignaient les participants à notre étude (céphalées, fièvre, douleurs arthrosiques et douleurs dentaires) avaient une influence significative sur le type du médicament acheté (respectivement p=0.001, p=0.002, p=0 et p=0.001).

Le tableau IX montre la répartition des produits achetés par notre population par rapport à celle de l’enquête réalisée en 2014 en France(1).

Tableau IX : Répartition des molécules achetées par la population de l’étude

Notre étude Etude de Chabardès France 2014 (1)

Paracétamol 84,2% 64,9%

Ibuprofène 9,5% 21,3%

Aspirine 6,3% 12,1%

Terry Porteous et al. (2) ont étudié le motif de l’automédication par les analgésiques en Ecosse. La raison la plus commune requise pour l’utilisation des analgésiques sans prescription médicale était de traiter les maux de tête ou la migraine (59%) suivi de la fièvre ou d’un symptôme grippal (27%), des douleurs dorsales (14%) et des douleurs articulaires (13%) ce qui est le cas pour notre étude. En effet, les maux de tête étaient la cause majeure pour l’achat d’un analgésique sans prescription.

Dans une autre étude faite en 2006 en Amérique au service d’urgences par the American College of Emergency Physicians (19) chez 307 patients interrogés, 163 ont réclamé avoir acheté et utilisé un médicament analgésique sans ordonnance durant les 72h qui précédaient leur arrivée aux urgences: 163 d’entre eux ont pris le paracétamol, 106 ont pris l’ibuprofène et 53 ont utilisé l’aspirine pour les raisons suivantes : maux de tête, syndrome grippal, fièvre, douleurs musculaires et autres

Pour les participants de notre étude qui étaient venus acheter un médicament pour soulager les maux de tête, le paracétamol était leur 1er choix avec 90,69% (p=0.001). Ceci explique que, pour la majorité de la population de notre étude (80%), le paracétamol est la molécule recommandée en premier recours en cas de douleur. Le type du produit acheté par chaque participant avait une influence significative sur son choix de la molécule recommandé en premier recours en cas de douleur (p=0.003). Dans la majorité des cas, le principe actif acheté par le patient était pour lui le médicament recommandé en premier lieu pour traiter les différents types de douleurs.

Selon Mehuys et al. (20), les maux de tête représentaient l’une des principales causes de l’automédication et le paracétamol et les AINS étaient les médicaments les plus utilisés (respectivement 62% et 38% de la population d’étude). Néanmoins, la surutilisation de ces médicaments peut causer elle-même des maux de tête, ce qui est devenu un problème croissant dans le monde entier si bien que la sensibilisation des gens sur l’automédication par les antalgiques devient indispensable. De ce fait, les pharmaciens pourraient jouer un rôle important dans la détection précoce et la prévention des maux de tête causés par la surconsommation des médicaments en informant les patients sur les fréquences des prises et les posologies maximales des antalgiques utilisés en automédication. (20)

Selon Vuillet et al. (21), le paracétamol est considéré aujourd’hui comme le traitement de référence des douleurs légères à modérées et des états fébriles. Ceci est dû à son rapport bénéfice/ risque favorable mais aussi par le fait d’avoir relativement peu de contre-indications et d’effets indésirables minimes aux doses thérapeutiques.

Quoique le paracétamol représente l’antalgique-antipyrétique de premier recours dans plusieurs pays, l’utilisation d’autres molécules surtout les AINS (comme l’aspirine et l’ibuprofène) reste toujours non négligeable malgré l’induction de beaucoup d’effets indésirables par rapport au paracétamol tels que les troubles digestifs et la toxicité rénale.

Une étude menée en France en 2011 (22) chez 247 familles ayant porté sur les types de médicaments disponibles dans la maison en automédication a montré que le paracétamol était présent dans 91% des foyers et pour les AINS chez 68% des familles interrogées.

Par ailleurs, une étude publiée en 2011 par le département de pharmacologie de la faculté de médecine de Bratislava (23) a porté sur la consommation des 3 analgésiques les plus utilisés : le paracétamol, l’aspirine et l’ibuprofène (qu’ils soient sur prescription ou bien en automédication) entre 2003 et 2009 dans 6 pays européens : L’Estonie, La République Tchèque, Le Danemark, La Finlande, La Norvège et La Slovaquie. Elle a révélé que le paracétamol était l’analgésique le plus utilisé dans tous les pays de l’étude et sa consommation ne cessait d’augmenter chaque année suivie de l’ibuprofène dont l’utilisation était en évolution chaque année. Quant à l’aspirine, elle était de moins en moins utilisée mais sa consommation reste non négligeable.(23)

Selon Giroud (24), l’automédication est « l’acte de se soigner par des médicaments en vente libre sans recours à un médecin » ; c’est une pratique qui réduit les visites chez les praticiens de la santé parfois inutiles et coûteuses mais ce n’est pas sans limites ni danger. (24) Cette pratique est devenue un phénomène émergeant et menaçant de plus en plus la santé publique. En effet, les antalgiques et les anti-inflammatoires sont à la tête des produits achetés sans ordonnances, c’est pour cela que notre étude s’est intéressée à l’automédication par ces médicaments.

Il importe de noter que seulement un tiers de notre population interrogée a consulté un praticien de la santé (un médecin ou un pharmacien) pour acheter le produit choisi sinon le reste des patients s’est basé sur des expériences personnelles (prise de ce médicament auparavant) ou suite à un conseil de ses proches (famille, amis, voisins…) ; ceci pourrait être expliqué par un faible niveau économique de plusieurs citoyens qui évitent les consultations coûteuses chez les médecins pour des maux qu’ils considèrent plutôt légers.

Selon l’étude de Marc Ghali réalisée à l’université d’Anger et soutenue en Octobre 2017(25), l’influence du pharmacien sur le choix des médicaments en accès libre était de 73,5% contre 30,7% pour le médecin et 21,6% pour la famille. De plus la publicité avait une influence non négligeable sur le choix des personnes (13,4%).

Montastruc et al. (26) ont étudié les principales causes qui poussaient les gens à choisir l’automédication. Les participants ont cité les raisons suivantes : la difficulté d’avoir un rendez-vous chez un médecin, une situation financière défavorable, un accès facile aux médicaments, la conviction que la pathologie a une importance secondaire, le sentiment d’avoir rencontré des symptômes similaires et qu’il/elle savait comment le traiter et la peur d’être diagnostiqué malade grave bien que cette peur n’écarte pas la volonté du patient de se soigner lui-même. (26)

Une autre étude similaire faite en France en 2017 sur les raisons de l’automédication par les AINS a montré que les 450 participants ont opté pour l’automédication par les AINS pour différentes raisons: pour se soigner rapidement, pour la non gravité du symptôme, le fait que symptôme soit habituel pour eux et le long délai d’attente chez les médecins.(25)

Par conséquent, devant ces différentes raison de l’automédication, le pharmacien doit rester vigilant. Selon Vuillet et al.(27) Il est très probable d’avoir au comptoir certains patients hypocondriaques capables de s’automédiquer par le paracétamol, comme il est courant de constater que certains “entêtés” d’entre eux se passent de traitement coûte que coûte. Le rôle du pharmacien est capital dans la formation du malade et sa sensibilisation sur l’évaluation de la douleur, sur l’intérêt d’un bon diagnostic, sur le rapport bénéfice/risque, et tout particulièrement sur la posologie à respecter. Dans l’idéal, chaque client venant chercher sa boîte d’aspirine ou de paracétamol devrait faire l’objet d’une enquête et d’un bref bilan sur la thérapie à suivre.

Une grande partie de la population de notre étude (62,1%) se procurait des médicaments sans avoir aucune idée sur les effets indésirables que pouvaient causer ces médicaments. Par ailleurs, pour les autres participants qui déclaraient savoir ces effets, les deux principales sources de leurs informations étaient la notice du médicament ou le pharmacien. Pour l’étude similaire faite en Angers (25), 38% de la population ont déclaré avoir consulté la notice pour se renseigner sur les effets indésirables, 24% d’entre eux ont déclaré que l’information a été donnée spontanément par un médecin lors d’une prescription antérieure, mais, le pharmacien était la source d’information la plus citée par 79% des participants.

De plus, une autre enquête faite sur 4 000 adultes par le « National Consumers League » en Amérique en 2003 a trouvé que la plupart des patients lisaient très peu d’informations sur l’étiquetage avant de prendre des analgésiques en vente libre, y compris lors de la première utilisation. Seulement 30% ont déclaré lire des informations sur le dosage et 16% ont déclaré lire les informations concernant les effets indésirables. Ces pratiques étaient considérées par l’étude comme les plus susceptibles de provenir de fausses idées liées aux dangers des produits en vente libre. L’enquête a également révélé que 50% des patients étaient «peu préoccupés» (25%) ou «non concernés du tout » (25%) des effets indésirables potentiels des médicaments de la douleur en vente libre.

Dans l’enquête du « National Consumers League », 75% des participants ont déclaré être concernés des effets indésirables après avoir été informés des dangers potentiels de divers analgésiques en vente libre.(28)

REF : National Consumers League. Over-the-counter pain medication

study: 2003. Accessed at www.nclnet.org/otcpain/

NCL%20pres1.ppt, May 1, 2008.

Une étude faite en 2014 pour évaluer la connaissance des enseignants de l’université de Pakistan sur l’ibuprofène (29) a révélé que plusieurs participants à l’étude se plaignaient de différents types de douleurs chaque jour et le médicament de choix était l’ibuprofène alors qu’ils n’avaient pas d’informations adéquates sur ses effets indésirables : la majorité des participants n’avaient aucune idée sur les effets que pouvait causer la prise de l’ibuprofène considéré par 79% d’entre eux dépourvu d’effets indésirables.

Bien que les effets indésirables suite à la prise des médicaments antalgiques (paracétamol et AINS) soient rares et surtout à doses thérapeutiques, ces médicaments ne sont pas anodins et peuvent causer des effets parfois dangereux même si les doses sont respectées et que les prises sont espacées. (30)

Selon Queneau et al. (31), la survenue des effets indésirables imputés aux AINS était de 4% à 15%, que ce soit en automédication ou sur prescription. En effet, une étude réalisée aux Etats Unis en 2011 (30) avait pour but d’identifier les effets indésirables imputés à l’automédication par les analgésiques sans dépasser les doses maximales journalières. Elle a montré que le paracétamol pouvait causer des maladies rénales chroniques et une augmentation des transaminases hépatiques, quant à l’aspirine, elle pouvait causer des ulcères, des bronchospasmes chez les asthmatiques ainsi que des anomalies congénitales chez le nouveau-né suite à la consommation de l’aspirine par la mère au cours de la grossesse. Pour les autres AINS, comme l’ibuprofène, d’autres effets indésirables pouvaient être rencontrés comme des altérations aigues de la fonction rénale, des ulcères, des bronchospasmes chez les asthmatiques, des anomalies congénitales, une élévation de la pression artérielle et parfois cela peut aller jusqu’à la survenue d’un infarctus du myocarde.

L’effet indésirable commun et le plus fréquent pour les 3 molécules de notre étude était les troubles gastro-intestinaux. Rampal et al. (32) ont comparé la tolérance digestive de l’ibuprofène par rapport au paracétamol et à l’aspirine chez 8633 patients âgés de 18 à 75 ans qui prenaient de l’ibuprofène, du paracétamol et de l’aspirine avec une durée de traitement minimale d’un jour et maximale de 7 jours selon les posologies respectives : 600mg/jour, 3g/jour et 3g/jour.

Sur les 8633 patients, 1923 présentaient des effets indésirables dont la majorité (1241 patients) développaient des troubles gastro-intestinaux ; L’ibuprofène était beaucoup mieux toléré au niveau des effets indésirables digestifs par rapport à l’aspirine (p 4g 4,2% 6,8% 15% 4,4% 3,9%

Ne sais pas 37,4% 20,7% 7% 6,4% 4,9%

D’après le tableau, notre étude avait le pourcentage le plus faible de réponses correctes concernant la dose maximale journalière du paracétamol, ce qui confirme que les connaissances de notre population sur le paracétamol restent insuffisantes. Ce constat reste valable pour les autres études citées dans le tableau. Notre enquête avait révélé aussi le pourcentage le plus faible de personnes (n=8, 4,2%) qui ont cité une dose maximale à 4g pour le paracétamol. Cela peut être expliqué par un grand nombre des participants qui ont choisi de dire qu’ils ne savaient pas la réponse correcte.

Pour la dose maximale de l’aspirine et de l’ibuprofène, seule l’étude de Chaberdès (1) s’est intéressée à cette question et les résultats étaient meilleurs que les nôtres au niveau du pourcentage des réponses correctes sans être toutefois suffisants.

Tableau XIII : Dose maximale journalière de l’aspirine citée par les participants aux différentes études

Notre étude Chabardès France 2014 (1)

Dose maximale de l’aspirine= 3g 8,4% 19,3%

Dose maximale de l’aspirine> 3g 4,2% 13,%

Ne sais pas 62,6% 56,9%

Tableau XIV : Dose maximale journalière de l’ibuprofène citée par les participants aux différentes études

Notre étude Chabardès France 2014 (1)

Dose maximale d’ibuprofène= 1,2g 2,1% 17,7%

Dose maximale d’ibuprofène > 1,2g 7,4% 17,3%

Ne sais pas 83,1% 55,6%

Comme pour le paracétamol, une dose supra thérapeutique pour l’aspirine et l’ibuprofène était citée et connue par un nombre très faible des participants (n=8 et n=14 respectivement), mais notre étude a révélé également le nombre le plus élevé de personnes qui ignoraient la réponse correcte.

Parmi les différentes réponses des participants à notre étude concernant la dose maximale journalière des trois molécules, une dose de 1,2g a été citée pour le paracétamol, alors que les présentations des comprimés adultes étaient seulement de 0,5 ou 1g. Des doses de 500mg, 1, 1,5 et 2g pour l’ibuprofène ont été mentionnées alors que les présentations des comprimés adultes étaient de 0,4g. Une confusion entre les dosages des molécules étudiées a été constatée. Ceci dû au fait que quelques participants ne font pas la différence entre ces molécules et les prennent pour identiques.

A notre connaissance, avant notre étude, à part l’étude menée en France en 2014(1), aucune autre étude n’a évalué la connaissance exacte de la dose maximale journalière de l’aspirine. Par contre, pour la dose de l’ibuprofène, l’étude de Sinclair et al.(45) réalisée en Ecosse a évalué les doses de l’ibuprofène consommées par 443 personnes qui ont utilisé ce principe actif durant sept jours consécutifs à travers des questionnaires distribués aux participants au niveau des pharmacies. Les résultats de l’étude ont révélé que 35 clients (7,9%) dépassaient la dose maximale quotidienne d’ibuprofène recommandée en vente libre (1,2g) pendant au moins un jour et la dose maximale quotidienne prescrite par un médecin (2,4g) a été dépassée à cinq reprises. Au cours de la période de sept jours, 18 clients (4,1%) ont pris 8,4g, soit l’équivalent de la dose maximale recommandée en vente libre et 24 clients (5,4%) ont dépassé cette dose hebdomadaire totale avec une personne ayant pris 16,8g soit la dose maximale que pouvait prescrire un médecin.(45)

Parallèlement, dans notre étude le type du principe actif acheté n’avait pas d’influence significative sur la connaissance de la population de la dose maximale journalière recommandée pour l’adulte pour chacune des trois molécules étudiées (p=0.666 pour le paracétamol, p=0.373 pour l’aspirine et p=0.113 pour l’ibuprofène) ce qui peut confirmer que beaucoup des participants achetaient des médicaments sans savoir la dose quotidienne qu’il ne faut pas dépasser.

Des résultats médiocres concernant la connaissance des doses maximales journalières des antalgiques utilisés sans ordonnances ont été trouvés à travers notre étude et des études précédentes. Cependant, une connaissance qui semble être insuffisante ne signifie pas forcément un risque de surdosage élevé ce qui est rassurant.

La détection des situations à risque avec l’utilisation de chacun des trois principes actifs étudiés était très faible, ce qui pourrait augmenter le risque de surdosage par ces médicaments et la fréquence de survenue des effets indésirables.

Parmi ces situations, est noté celle de l’utilisation du paracétamol chez les personnes présentant des pathologies hépatiques dont le risque a été identifié par seulement 30% de nos participants. Ce risque est peu identifié aussi chez les populations ayant participé à d’autres études similaires (1, 5) : le tableau XV montre les différents résultats trouvés concernant la connaissance du risque de l’utilisation du paracétamol en cas de pathologie hépatique par les participants aux différentes études.

Tableau XV : Pourcentage des participants qui ont identifié le risque de l’utilisation du paracétamol en cas de pathologie hépatique

Etude Notre étude Chabardès France 2014(1)

Boudjemai et al. France 2013(5)

Pourcentage des participants qui ont identifié le risque de l’utilisation du paracétamol en cas de pathologie hépatique

30%

20%

8%

L’ignorance de ce risque peut donner lieu à l’augmentation des cas de toxicité hépatique due au paracétamol vu que c’est l’antalgique-antipyrétique le plus utilisé.

Pour les autres situations à risque, en cas de l’utilisation des trois molécules étudiées, le tableau XVI montre une comparaison des résultats trouvés dans l’étude Chabardès élaborée en France en 2014(1) par rapport à nos résultats concernant la connaissance des différentes situations à risques en cas de l’utilisation des 3 molécules étudiées par les participants aux deux études.

Tableau XVI : Pourcentage des participants à notre étude qui ont identifiés les différentes situations à risques en cas de l’utilisation des 3 molécules étudiés par rapport à l’étude Chabardès(1)

Notre étude Chabardès France 2014(1)

Identification du risque de l’utilisation de l’aspirine chez la femme enceinte 38,9% 53,6%

Identification du risque de l’utilisation de l’ibuprofène chez la femme enceinte 33,7% 45,8%

Identification du risque de l’utilisation de l’aspirine chez la personne prenant un anticoagulant 40% 61,8%

Identification du risque de l’utilisation de l’ibuprofène chez la personne prenant un anticoagulant 3,2% 14,1%

Identification du risque de l’utilisation de l’aspirine chez la personne ayant une allergie à l’aspirine 86,8% 71,9%

Identification du risque de l’utilisation de l’aspirine chez la personne ayant un mal à l’estomac 35,8% –

Même si les résultats de l’étude(1) étaient meilleurs que les nôtres, ils restaient insuffisants et reflétaient un manque de connaissance chez les participants à l’étude. Le risque le plus identifié pour les deux études était celui de l’utilisation de l’aspirine chez la personne ayant une allergie à l’aspirine parce que ceci était très clair et facile à identifier.

En effet, les risques théoriques de l’automédication sont nombreux et le choix du produit peut être inadapté ce qui peut entrainer une inefficacité du traitement et un risque d’évolution de la maladie. Parmi ces risques, sont cités le cumul du même principe actif au sein de plusieurs spécialités pharmaceutiques, avec une possibilité de surdosage (Cette notion rappelle l’importance de la prescription en DCI) et le risque d’oubli d’un patient de signaler à son médecin traitant (ou à son pharmacien) la prise de médicaments auto-prescrits ce qui peut entrainer des interactions médicamenteuses ou une inefficacité de la prescription. L’interaction peut être avec l’alcool ou la nourriture ou bien avec d’autres médicaments. Les exemples sont nombreux : l’association fréquente anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et aspirine potentialisant les risques hémorragiques avec l’aspirine, l’aggravation des pathologies hépatiques avec le paracétamol et la réduction de l’absorption d’autres médicaments (26).

Si l’automédication par le paracétamol, l’aspirine et l’ibuprofène est adaptée à la prise en charge de plusieurs pathologies bénignes et courantes, ces médicaments utilisés ne sont pas anodins. Certains AINS sont fréquemment utilisés dans le cadre de l’automédication. Cette pratique est bénéfique et favorable dans la prise en charge de plusieurs douleurs. Toutefois, l’accès à ces molécules hors ordonnance ne doit pas faire oublier leur dangerosité potentielle car ils sont dotés de nombreux effets indésirables et pourraient induire des interactions médicamenteuses. Le pharmacien a donc un rôle majeur à jouer dans la dispensation et le conseil de tels produits. Cette vigilance doit encore être accrue en raison de l’impact des campagnes publicitaires(46)

Une thèse soutenue à l’université de Toulouse III en 2018 intitulée « Rôles du pharmacien d’officine dans la prise en charge pharmacologique de la douleur non cancéreuse par des antalgiques de prescription facultative »(47) a indiqué que d’après les articles R.4235-68 et R.4235-61 du code de la santé publique français, le pharmacien a « un devoir particulier de conseil lorsqu’il est amené à délivrer un médicament qui ne requiert pas une prescription médicale. » et « lorsque l’intérêt de la santé du patient lui paraît l’exiger, il doit refuser de dispenser un médicament».

Il a été a indiqué aussi qu’une démarche dite ACROPOLE a été proposée par l’ordre national des pharmaciens français contenant huit recommandations à respecter par le spécialiste du médicament pour assurer une dispensation sécurisée du médicament antalgique pris en automédication.(47)

Le pharmacien Accueille le patient algique. Il se rend disponible et à l’écoute afin de Collecter un maximum d’informations sur sa douleur.

Il Recherche et complète les données en interrogeant le patient afin de savoir si la douleur est plutôt aiguë ou chronique ; si elle est légère, modérée ou intense ; si elle varie au cours de la journée, ou encore si elle a un retentissement sur la qualité de vie. Il enquête aussi sur le patient afin de vérifier s’il est à risque d’effets indésirable, de contre-indications et d’interactions médicamenteuses. Il le questionne sur ses antécédents personnels et familiaux, sur ses éventuels traitements et sur sa consommation globale d’antalgiques. Si possible, il consulte également le dossier pharmaceutique afin d’analyser l’historique médicamenteux, de dépister les abus médicamenteux et d’éviter les surdosages et les redondances thérapeutiques.

Le pharmacien Ordonne alors ces informations en reformulant de façon concise et adaptée les propos du patient pour s’assurer de la bonne compréhension de la situation. En fonction des informations recueillies, il Préconise une prise en charge pharmacologique ou oriente vers un médecin. Dans tous les cas, il Optimise sa démarche pharmaceutique en expliquant les raisons de son choix de traitement ou non. Il expose la balance bénéfices/risques s’il délivre un antalgique et s’assure de la bonne compréhension du traitement par le patient. Il lui dispense alors des conseils hygiéno-diététiques adaptés à la gestion de sa douleur et lui rappelle la nécessité d’une bonne observance en Libellant si besoin un plan de prise et des préconisations officinales. Pour finir, il Entérine la prise en charge du patient en contrôlant la bonne compréhension du patient et lui rappelle que si les symptômes douloureux persistent ou s’aggravent, il faut consulter un médecin.(47)