Comment « mettre l’histoire en musée »

L’évolution du musée d’histoire de ville dans sa configuration classique, modèle auquel se conforment la majorités des institutions, depuis l’apparition presque simultanée des premières d’entre elles dans l’Europe des années 1880, jusque 1970 environ.

Comme nous avons pu le voir auparavant, le musée peut jouer le rôle d’un conservateur des vestiges du passé, voué à fixer le souvenir de la ville d’avant, en pleine mutation.

Il peut aussi être utilisé comme un instrument de légitimation des politiques urbanistiques déployées par les pouvoirs en place, voire contribuer à la manipulation des opinions, dans le cadre des idéologies totalitaires. «

La nouvelle muséologie constitue, dans l’histoire récente des musées, la manifestation la plus extrême du bouleversement des valeurs engendrées à partir de la fin des année 1960. On pourrait situer son plus important développement entre 1972 et 1985 (…)

Sur fond d’expériences récentes, une pensée se forge et se développe, qui questionne le musée, sa place dans la société et son rapport à l’homme et à l’environnement, mais qui en même temps formules des réponses. Ces expériences nouvelles vont progressivement défrayer la chronique muséologique et imposer leurs vues, du moins durant quelque années ».

La décennie 1970 est une période particulièrement riche dans l’histoire de l’institution muséale, qui se voit entrainée dans un mouvement inédit d’autocritique et de contestation des pratiques traditionnellement reproduites depuis des générations de conservateurs.

Seul monde des musées, ce phénomène s’inscrit dans une transformation globale de la société, qui voit naitre la notion de contre-culture.

Il s’agit d’une conception relativiste de la culture. Elle valorise des savoirs jusqu’alors déconsidérés, « la culture des Autres » et elle entre en opposition avec la vison universaliste de la culture dite légitime, savante ou bourgeoise, dont le musée classique s’était fait le gardien. Issu d’une table ronde organisée par l’Unesco en 1972, la Déclaration de Santiago du Chili est l’un des jalons essentiels de la révolution en faveur de la démocratisation du musée.

En effet, ce concept intègre une dimension nouvelle. L’institution est mise « au service de la société et de son développement », renouant de la sorte son ambition d’origine, issue des Lumières . Les modèles qui émergent de ces réflexions engagées sur le rôle social du musée, en Amérique latine et dans le tiers monde, mais aussi en Occident, s’inscrivent dans un courant désigné par François Mairesse.

Il évoque l’utopie muséologique, dans la mesure ou il tente de révolutionner le monde des musées , qui n’évoluera pas

dans cette direction. Le point commun de toutes ces initiatives mises en place à cette époque, correspond à la redéfinition radicale des relations entre le musée et la population auxquelles il s’adresse .

Avec l’apparition des musées communautaires, des neighborhood museums et des écomusées à Anacostia ,banlieue culturellement défavorisée de Washington, dans les bidonvilles de Mexico ou au cœur de la région économiquement sinistrée du Creusot, l’institution cherche à toucher de nouveaux publics parmi les exclus du système classique, hérité du XIXème siècle.

En raison de l’aspect territorial, et par conséquent communautaire, inhérent à leur sujet d’étude, les musées consacrés aux villes font logiquement parti des institutions concernées au premier chef par ce processus.

Contrairement aux décennies précédentes qui peuvent être assimilées pour la plupart de ces musées à une stagnation, les années 1970 et 1980, sujet de ce sous-chapitre, constituent pour eux un moment faste. Partout dans le monde, des institutions sont créés, de Sao Paulo et Shanghai par exemple.

D’anciennes sont complètement repensées, comme à Francfort et à Londres. Poussés par une volonté grandissante de démocratisation de la culture et de participation des communautés locales, les responsables d’un certain nombre de musées font le constat que leurs discours ne peuvent plus être figé dans la seule matérialité d’une collection.

Il s’agit à l’avenir d’appréhender le caractère mouvant de la ville, de son histoire et de ses habitants. On a donc ce qu’on pourrait appeler les prémices d’une révolution muséographique à partir des années 1970.

Parmi les réalisations pionnières qui attestent l’ouverture d’une nouvelle ère dans la présentation muséale de la ville, figure l’exposition temporaire Drug scene in New York tenue au Museum of the City of New York entre février et juin 1971.

Elle marque le franchissement d’un cap. Le simple musée d’histoire consacré au passé et à la mise en scène de la vie des élites, peut désormais choisir de s’ancrer résolument dans las société contemporaine, de faire écho à la vie quotidienne et aux problèmes d’aujourd’hui.

Très controversé à l’époque, cette exposition montre notamment des échantillons authentiques d’héroïne ou de LSD a permis au musée d’augmenter considérablement ses chiffres de fréquentation par rapport aux années qui précèdent, avec plus de 250 000 visiteurs, en grande majorité scolaire.

Pour Joseph Veach Noble « le musée doit être plus qu’un miroir tendu vers le passée ». Dans le hall d’entrée du musée, le visiteur est accueilli par trois cercueils, respectivement en bronze, pin et bois blanc, qui symbolisent les trois New-Yorkais décédés chaque jour du fait de leur addiction, sans distinction de classe sociale, d’âge ou de couleur de peau.

Financée en partie par la Narotic Addiction Control Commission , l’exposition s’éloigne du schéma muséographique classique d’image sur les murs et d’objets dans les vitrines. Dans les salles, on y retrouve des photographies grandeur nature de toxicomanes occupés à se droguer.

Elles ont été réalisées avec leur consentement pour les besoins de la manifestation. Elles sont plaquées sur des structures de cartons autoportantes dans lesquelles sont incorporées de petits boites de plexiglas aux endroits adéquats : à la main pour un verre de whisky, au creux du bras pour une seringue, à la bouche pour une capsule d’amphétamine,etc.

Les thématiques qui constituent généralement l’arrière-plan sociétal de l’usage des drogues, comme la pauvreté, la discrimination, l’aliénation ou le matérialisme sont abordées dans l’exposition. La problématique de la surconsommation des « drogues légales » comme le tabac, l’alcool ou encore les médicaments. Comme l’indique un panneau montrant une famille moyenne, apparemment sans histoire, « nous faisons tous partie de la scène de la drogue ».

Pour faire vivre l’exposition et répondre au nombreuses questions suscitées par ces artefacts inhabituels, les guides engagés par le musée sont tous d’anciens drogués. Véritables « living exhibits », ces derniers témoignent de leurs expériences personnelles.

Ils apportent également des conseils de prévention auprès des plus jeunes et des solutions d’accompagnement pour les personnes en détresse. Elles peuvent alors profiter de la visite pour bénéficier d’une aide ou d’un accompagnement. Le Museum of the City of New York dépasse alors sa visée informative, descriptif d’une situation.

Le désir, affiché dès 1931 par John Van Pelt, d’un musée soucieux de jouer un rôle actif dans l’amélioration des conditions de vie des concitoyen est maintenant concrétisé . De l’autre côté de l’Atlantique, L’Historisches Museum Frackfurt est l’un des tout premiers musées d’histoire de ville européens à opérer sa mutation vers un nouveau type d’institution, ouvert le XXème siècle et prêt à aborder avec un regard critique la période nazie, sujet particulièrement délicat dans l’Allemagne d’après-guerre.

Pour le directeur Stubenvoll Hans « le musée d’histoire ne peut pas se limiter à faire le tri parmi les objets accumulés au fils des ans et à bien les présenter, en laissant au visiteur le soin d’en tirer profit en fonction de sa culture. Nous voulons plutôt faire connaitre au public les rapports historiques et sociaux.

Cette connaissance permet aussi de percevoir des possibilités de changement dans la situation sociale actuelle. Ainsi, le musée peut devenir une partie intégrante d’un système éducatif démocratique ». Cette évolution des musées est liée au changement sociétaux apparues au cours du XXème siècle.

Si on observe ce phénomène en France, l’explosion du nombre de musées est à rapprocher avec l’évolution du niveau scolaire de la population : en 1995, 23% des jeunes adultes de 24 à 34 ans possèdent un diplôme supérieur tandis qu’ils n’étaient que 3% après la guerre. Le lien entre ouvertures de musées, progrès de la scolarisation et diffusion des loisirs semble valable pour tous les pays développées.

Comme nous le dit Jean Louis Postula dans son ouvrages sur « les musées de ville », le quart de siècle qui vient de s’écouler constitue une période de prolongement, mais aussi d’accroissement du phénomène de diversification des formes et des techniques muséales, engagées depuis la révolution muséologique des années 1970. Pour François Mairesse : « Filiales ou organisations indépendantes, les musées continuent de proliférer (…) Une certaine mutation peut être cependant observée en ce qui concerne le contenu des catégorie les plus classiques, qui sont partiellement reformulées.

Le trait commun à ces transformations résulte sans doute du plus grand rapprochement du musée avec le monde actuel et des liens de celui-ci veut tisser avec ses visiteurs, notamment en ce qui concernent le rôle de médiation entre les publics et les tendances actuelles de l’art, de la science ou de la société.

Il ne s’agit plus de montrer l’histoire de l’art ou celle de la science, ni les civilisations disparues ou lointaines, mais de présenter les enjeux actuels auxquels le public se voit confronter. Pour réaliser un projet, de nouvelle formes de musées voient le jour ».

On peut donc constater que les musées se sont développés et ont évolué avec la mutation de la société. Au cours des vingt-cinq dernières années, les projets de fondation et de rénovation de musées dédiés aux villes se sont succédées à un rythme particulièrement soutenu.

Les musées de villes sont devenus incontestablement l’un des secteur les plus dynamique du paysage muséal de ce début de XXIème siècle.