Le concept de temps

L’histoire a longtemps été enseignée de manière frontale avec une énonciation de dates et d’évènement à connaître par cœur. Aujourd’hui, on privilégie une pédagogie où l’élève est acteur de ses apprentissages, et cela dans le plus de disciplines possibles. La littérature apparaît comme un média à privilégier pour aider l’élève à comprendre des notions nouvelles et parfois complexes.
Au début de nos recherches nous nous étions interrogées sur les apports de la littérature de jeunesse ayant pour thème le passé proche pour appréhender le passé lointain et donc, le temps historique au cycle 2. Après avoir tenté de constituer un corpus littéraire d’œuvres pouvant être utilisées à cet effet nous en avons abandonné l’idée pour nous tourner finalement vers un état des lieux des pratiques enseignantes au cycle 2 pour enseigner le domaine « questionner le temps ».
Le cycle 2 nous semble être un terrain d’étude intéressant pour cette recherche. En effet l’enseignement du temps nous y semble paradoxal car, au cours de ce cycle, l’élève devra à la fois achever de construire cette notion et commencer à construire le temps historique. Or, comme nous le verrons dans cet écrit, le temps est une notion longue et complexe à acquérir et le temps historique un concept subtil, oscillant entre différents aspects du temps, tant psychologique, que social et physique. De plus étant enseignantes en maternelle et CM2, le cycle 2 nous semble être un temps transitoire entre nos niveaux respectifs.
Pour réaliser ce mémoire, nous essaierons d’établir les relations qui existent entre la littérature et la conception du temps chez l’enfant afin de mettre en avant les pratiques qui existent déjà au sein des classes.
Après une première partie dans laquelle nous nous attacherons à définir le temps, les étapes de son acquisition par l’enfant et les méthodes mise en place à l’école primaire pour l’enseigner nous étudierons la question de la littérature de jeunesse et ses apports pour la construction du temps. Un recueil de données ayant été proposé à des enseignants de cycle 2, nous procéderons à son analyse afin de définir les pratiques enseignantes mêlant littérature et enseignement du temps.

• CADRE THEORIQUE

Dans cette première partie nous nous intéresserons au concept du temps. Après en avoir défini la notion nous nous pencherons sur l’acquisition de cette dernière par l’enfant et enfin la place qu’elle occupe à l’école primaire, tant dans les programmes que dans les dispositifs pédagogiques mis en place pour

l’enseigner.

A. Définition du temps

Définir le temps se révèle être une tâche compliquée : on ne peut lui attribuer une seule définition tant il est complexe. Samuel A. Goudsmith écrira d’ailleurs que le temps est « impossible à définir avec précision » (dans Johnson, 1975, p 483) et Saint Augustin avait déjà écrit dans ses Confessions « Qu\’est-ce que en effet que le temps ? Qui saurait en donner avec aisance et brièveté une explication ? Si personne ne me pose la question, je le sais ; si quelqu\’un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus. » Et cette difficulté à définir le temps vient probablement du fait qu’il n’y a pas un temps mais des temps.
Dans un premier temps il nous semble important de préciser que le temps est une invention humaine. Lors du 65ème congrès de l’AGIEM, Pierre Giolitto a déclaré « « le temps n’existe pas en soi, dans la nature et en dehors de l’homme » (1992, p 72) qu’il ne s’agit pas pour lui d’une découverte mais d’une construction.
Louis Corrieu (1992) distingue trois aspects du temps. Le temps psychologique ou vécu est celui qui dépend de chacun, subjectif « qui ne coïncide que rarement avec le temps objectif de la montre » (Giolitto, 1992, p 72). C’est un temps affectif qui donne une représentation personnelle du temps. Ainsi le temps passera plus ou moins vite selon la nature des événements vécus. Selon Testu (cité par Mialaret, 2011, p110) pour les psychologues le temps n’existe pas « il n’est ni observable, ni analysable, ni divisible ». Cependant pour Droit-Volet (2001, p 26) « si l’homme en fait l’expérience, s’il est capable de l’estimer avec précision, alors c’est que psychologiquement il existe ». Le temps physiologique ou biologique est relatif à notre horloge interne, qui permet à l’individu d’estimer avec précision des durées. Cette horloge serait localisée dans notre cortex (Droit-Volet, 2005). Un interrupteur, au signal d’un stimulus, compterait des impulsions produites en permanence par des neurones et permettrait ainsi, en comptant ces impulsions, de mesurer une durée. Cette horloge interne a également pour tâche, de réguler les différentes activités du corps humain, à l’instar du sommeil. Enfin le temps scientifique ou temps physique permet à l’Homme d’objectiver le temps en le normalisant et le rendant mesurable. C’est le temps des horloges dont l’unité est la seconde qui équivaut à 1/86400 d’un jour solaire moyen. Le temps physique est donc un apprivoisement du temps naturel, celui de la rotation de la Terre, des jours et des nuits, des saisons (Giolitto, 1994, p 72), un temps conventionnel, défini par l’Homme « par le biais de la montre et du calendrier ».
Cependant ces trois aspects selon Corrieu (1992) ne peuvent suffire à définir le temps. Ainsi Jean Pucelle (dans Johnson, 1975) y ajoute le temps spirituel des philosophes qui s’interrogent sur le devenir de l’Homme. Nous pouvons y ajouter le temps social, défini par Pierre Giolitto, qui permet la vie collective aux groupes sociaux « en la structurant, en la rythmant, en délimitant les différentes phases » (p 72). Il s’agit aussi bien de rythmes hebdomadaires ou annuels (semaines, mois, jours fériés, vacances scolaires) que de phases arbitraires et réglementées telles que périodes de chasse, fermeture des magasins le dimanche et changement d’heure. C’est cependant un temps qui s’adapte à son époque « parce qu’il est adapté aux besoins particuliers des hommes ».
Enfin, et c’est peut-être l’aspect du temps qui nous intéressera le plus ici, nous nous penchons sur le temps historique. En lien avec le temps social, c’est le temps historique « qui interroge l’événement et les traces [de l’aventure humaine] pour en déterminer, si possible, la causalité la signification et la place exacte dans la succession des âges (Johnson, 1975, p 484). Le temps historique est une notion complexe qui, selon Pellauer, est un temps commun à tous et est constitué à la fois d’un aspect objectif et d’un aspect subjectif : en effet il s’agit d’une union entre le temps du monde et le temps vécu (Ricœur, 1985, cité dans Pellauer, 2005). Pour définir les subtilités du temps historique nous nous appuierons sur les propos de Philippe Ariès (cité par Mialaret, 2001, p 111). Pour lui « le temps de l’histoire n’est ni le temps physique ni le temps psychologique ». Si par sa « continuité linéaire et sa divisibilité en périodes constantes » il partage des similarités avec le temps physique, il n’est cependant pas une unité de mesure, « une infinité de faits, comme la droite géométrique est une infinité de points ». Parce que le temps psychologique est impossible à mesurer, le temps historique en diffère. Cependant, ils présentent des similitudes par le « caractère vécu » du temps historique.
B. Le temps chez l’enfant

Dans cette partie nous nous intéresserons à la construction du temps chez l’enfant. Après avoir défini les différentes composantes entrant en jeu dans la compréhension de la notion du temps, nous nous pencherons sur l’acquisition de cette notion au fil de la croissance de l’enfant.
1. Composantes du temps

Selon Montangero (1984) qui analysa les travaux de Friedman et de Fraisse la compréhension du temps repose sur cinq notions fondamentales :
• La notion d’ordre de succession temporelle permet à l’individu de situer les événements les uns par rapport aux autres, « en terme d’avant ou d’après ». Il s’agit d’une notion fondamentale à la construction des autres aspects du temps. D’après l’auteur c’est la composante la plus facile à concevoir, celle qui est acquise le plus tôt par l’enfant.
• L’intervalle ou durée est elle-même composée de trois aspects : une succession d’instants et un intervalle ayant un début et une fin, un « flux mesurable » de vitesse constante et un intervalle « rythmé par des fréquences et en rapport avec une certaine quantité d’événements discret (nombre) ».
• L’irréversibilité signifie que « les durées s’écoulent dans un sens seulement et l’ordre des instants est fixe, sans retour en arrière possible » (p 446).
• La notion de cycle. Si le temps, en mécanique et en thermodynamique, répond à une progression linéaire il semblerait que par sa récurrence on puisse lui attribuer également une progression cyclique.
• L’horizon temporel est ce qui pour l’individu constitue sa vision du futur au regard de son passé et de l’instant présent.
2. Acquisition du temps par l’enfant

Pour définir les étapes de l’acquisition du temps par l’enfant nous nous baserons sur les travaux de Sylvie Droit-Volet (2001 et 2005), de Valérie Tartas (2010) et de Denise Sadek-Khalil (2001).
Pour Droit-Volet (2001), « jusqu’à 4 ans les enfants vivent le temps, mais ne le pensent pas ». Cependant, comme le précise Sadek-Khalil (2001, p 41) « lorsqu’un enfant vient au monde, il naît à la fois dans l’espace et le temps. […] Vivant, c’est dans l’espace et dans le temps qu’il poursuivra son existence ». Dans l’esprit des enfants le temps dépend uniquement de l’activité qu’il est en train d’effectuer. Pour lui il ne s’agit pas d’une « chose qui s’écoule uniformément et qui sert de référence pour mesurer les événements » (Droit-Volet, 2005, pp 42-50). Aussi, jusqu’à 4 ans, il est impossible à l’enfant de se représenter le temps entre deux activités : « le temps est celui de l’action et non un temps vide où rien ne se passe ». Aussi, avant 8 ans, alors que le temps n’est pas « au cœur des préoccupations de l’enfant », l’attente est difficile pour ce dernier : il ne peut pas attendre sans bouger, il « transforme son attente en action ». Or « c’est dans l’expérience des durées d’actions et de leur répétition que le temps s’impose à l’enfant » et qu’il en fait l’expérience.
Pour Droit-Volet (2001) la notion du temps n’est maitrisée qu’après 8 ans.
Dans Le développement de notions temporelles par l’enfant (2010, p 18), Tartas défini trois périodes du développement du temps : « les premiers rythmes et attitudes temporelles du bébé (les premières constructions temporelles avant le langage), le temps lors de l’avènement du langage durant la petite enfance (à partir de 2 ans) et enfin les principales constructions temporelles durant l’âge scolaire (6-10 ans) ». Cette dernière période sera cependant exploitée ultérieurement.
a) Premières attitudes temporelles du bébé
Dès sa naissance, le bébé est confronté aux différents rythmes qui cadencent sa vie quotidienne et produit lui-même des activités rythmiques telles que la succion, l’alternance veille/ sommeil (Tartas, 2010). Activités rythmiques qu’il sera en mesure de contrôler pour obtenir une réponse de son entourage. Par exemple, un bébé peut, dès ses premiers jours, raccourcir les pauses entre ses bouffées de succions pour entendre la voix de sa mère (Tartas, 2010 et Droit-Volet, 2001). Lorsque ses besoins sont satisfaits à plusieurs reprises, l’enfant s’en souvient et découvre alors l’attente et l’anticipation, et commence ainsi « l’expérience du temps vécu » : il ne s’agit pas d’une véritable conscience du temps mais d’une perception liée à l’horloge interne, une estimation intuitive (Tartas, 2010). Car elle permet à l’enfant de construire la permanence de soi, la permanence de l’objet joue un rôle essentiel dans la construction du temps. En effet la conscience de soi permet de se situer et donc de situer les événements dans le temps, dans l’ici et le maintenant. Dès 18 mois, les enfants peuvent construire une séquence temporelle en mimant dans son ordre de déroulement une action familière et, vers 3 ans, ils sont capables de la faire avec des actions non familières. De plus « lorsque les actions entretiennent des relations causales, l’ordre est plus facilement établi que lorsqu’il s’agit de relations totalement arbitraires » (Tartas, 2010 pp 19-20). Il faudra attendre 3-4 ans pour que l’enfant soit en mesure de le faire avec des séquences d’événements familiers.
b) L’influence du langage
En commençant à parler l’enfant va pouvoir passer d’un temps vécu à un temps représenté (Tartas, 2010). Nelson (cité par Tartas), met en avant trois aspects du temps liés à l’acquisition du langage : l’ordre immédiat des événements ; la localisation des événements dans le présent, passé et futur ; la construction de l’ordre des événements grâce à des outils culturels (développé dans la partie « Comment enseigner le temps ? »).
Le premier aspect, l’ordre des événements, est dû à des constructions temporelles nommées script (Tartas, 2010) qui permettent à l’enfant de mettre de l’ordre dans ses actions quotidiennes en les ordonnant en terme d’avant/ après. Il peut alors décrire une séquence comme une journée d’école ou une visite chez le médecin, en ordonnant les actions les unes après les autres. Ces scripts sont utilisés par les enfants de 3 à 4 ans comme premiers outils de repérages temporels pour répondre à des questions de type « quand ? ». Grâce à ces scripts l’enfant va être capable de « construire des connaissances sur ce qui va se passer et celles-ci peuvent être réutilisées pour savoir comment agir dans telle ou telle circonstance » (Tartas, 2010, p 20) et donc d’anticiper et de planifier des événements.
Le deuxième aspect, la localisation dans le temps, est plus difficile à acquérir pour le jeune enfant. En effet, en plus de devoir maîtriser des termes conventionnels tels que hier ou demain, il lui faut situer les événements soit par rapport au moment de l’énonciation soit par rapport à un autre moment qu’il soit passé ou dans le futur.
Entre 2 et 4 ans apparaissent les premiers temps des verbes dans le discours de l’enfant. En parallèle, il lui sera possible de distinguer le temps du discours et le temps de l’événement, sans toutefois distinguer passé proche et passé lointain. A cet âge le temps conventionnel n’est pas maîtrisé mais des termes apparaissent dans le discours : ainsi lorsqu’un enfant utilise les termes « hier » ou « dans trois jours » cela renvoie uniquement à « pas maintenant ». Les adverbes sont introduits entre 30 et 36 mois et permettent l’apparition d’un « temps de référence distant du moment de l’énonciation » (Tartas, 2010) le temps de la référence temporelle. C’est enfin entre 3 et 4,5 ans que l’enfant sera capable de coordonner ces trois temps dans son discours : temps de l’énonciation, temps de l’événement et temps de la référence temporelle.
C. Le temps à l’école primaire
1. Le temps dans les instructions officielles

Nous allons ici nous intéresser à la question du temps dans les programmes de l’école primaire, du cycle 1 au cycle 3 et d’observer quelles sont les préconisations officielles quant à l’acquisition de cette notion complexe.
a) Le temps à l’école maternelle

La construction du temps s’inscrit dans le domaine Explorer le monde en parallèle à la construction de la notion d’espace, les deux notions étant liées : tout mouvement s’inscrit dans l’espace et tout mouvement a une durée (Sadek-Khalil, 2001). Piaget, dans ses recherches avait jugé que les notions du temps et celle de l’espace se construisaient parallèlement (Droz & Rahmy, 1987).
L’objectif de l’école maternelle en ce qui concerne l’acquisition de la notion du temps est décrit comme ceci : « L\’école maternelle vise la construction de repères temporels et la sensibilisation aux durées : temps court (celui d\’une activité avec son avant et son après, journée) et temps long (succession des jours dans la semaine et le mois, succession des saisons). L\’appréhension du temps très long (temps historique) est plus difficile notamment en ce qui concerne la distinction entre passé proche et passé lointain » (Ministère de l’éducation nationale, 2015, p 16). La construction progressive vise donc à amener l’enfant d’un temps court dont il est acteur (activité, journée) à un temps plus conventionnel et arbitraire, dont il ne dépend pas (semaine, saisons) et ainsi arriver à la construction des fondements du temps historique et le préparer ainsi aux cycles suivants.
L’objectif Le temps se décline en quatre sous-parties :
• Stabiliser les premiers repères temporels : il s’agit ici d’amener l’enfant, dès la petite section, à appréhender « les premiers éléments stables d\’une chronologie sommaire » et un « premier travail d\’évocation et d\’anticipation en s\’appuyant sur des évènements proches du moment présent » (M.E.N., 2015). Nous observons donc un lien avec la première composante du temps citée par Montangero (1984) : l’ordre de succession temporelle qui situe les événements en termes d’avant/ après.
• Introduire les repères sociaux. Comme nous l’avons vu précédemment, le temps social a pour but de délimiter des moments pour permettre de structurer la vie en communauté (Giolitto, 1992). L’une des ambitions de l’école maternelle est d’amener l’enfant au « vivre ensemble » afin d’assurer « une première acquisition des principes de la vie en société » (M.E.N.. 2015). L’école a donc pour mission d’introduire les premiers repères sociaux et les termes du temps conventionnel attenants. Cet objectif a également pour but d’aborder le caractère cyclique du temps.
• Consolider la notion de chronologie. Cet objectif découle de Stabiliser les premiers repères temporels et vise à faire travailler l’élève dès la moyenne section des séquences chronologiques familière, sur des durées de plus en plus larges puis, en grande section à partir d’événements moins familiers, à l’instar de la vie des parents et des grands parents. Cette progression est en accord avec les travaux de Tartas (voir Premières attitudes temporelles) qui observe que les enfants sont d’abord en mesure d’ordonner des actions puis des séquences, de moins en moins familières.
• Sensibiliser à la notion de durée. Cet objectif correspond à la deuxième composante de l’apprentissage du temps de Montangero (1984), l’intervalle ou durée. Vers 4 ans cette notion commence à se mettre en place de façon subjective. L’école a ici pour but de l’objectiver, notamment grâce à des outils tels que le sablier.
b) Le temps au cycle 2

Le programme de cycle 2, à l’instar de celui du cycle 1, place l’espace et le temps dans un même sous domaine. Le cycle 2 va amener l’enfant à passer « progressivement d’un temps individuel autocentré à un temps physique et social décentré […] Cette capacité de décentration leur permet de comprendre d’abord l’évolution de quelques aspects des modes de vie à l’échelle de deux ou trois générations […] En fin de cycle, les élèves entrent dans la compréhension du temps long, donc de l’histoire » (M.E.N. 2018, p 60). L’élève va donc être amené à appréhender un temps de plus en plus long, de plus en plus décentré afin d’arriver au temps historique et donc à l’histoire, qui sera mentionnée comme une discipline en cycle 3.
Au cycle 1, le programme amène principalement l’élève à travailler sur les notions de chronologie et de durée. Même si le caractère cyclique du temps et l’irréversibilité du temps y était abordés, c’est au cycle 2 que ces notions apparaissent clairement dans les instructions officielles. Le repérage sur un temps long est, quant à lui, spécifique aux cycles 2 et 3. Le travail sur les durées et la chronologie est complexifié. Nous retrouvons ainsi les objectifs suivants : Identifier les rythmes cycliques du temps/ Lire l’heure et les dates ; Comparer, estimer, mesurer des durées ; Situer des évènements les uns par rapport aux autres ; Prendre conscience que le temps qui passe est irréversible ; Repérer des périodes de l’histoire du monde occidental et de la France en particulier, quelques grandes dates et personnages clés (M.E.N. 2018).
c) Le temps au cycle 3

Dans le programme de cycle 3, comme dans les programmes des cycles précédents, espace et temps sont liés. Cependant, pour la première fois ils sont mentionnés comme géographie et histoire. En effet, la notion de temps étant consolidée à l’âge de 8 ans (Droit-Volet, 2001), ce qui correspond à la fin du cycle 2, le cycle 3 amène l’élève à travailler sur les faits historiques. La progression ne se fait plus amenant l’élève à se décentrer mais en abordant sous forme de thèmes, les grandes périodes historiques, dans l’ordre chronologique. L’histoire au cycle 3 a pour objectifs d’amener l’élève distinguer l’histoire de la fiction puis à mettre en place des repères historiques communs (M.E.N. (2) 2018, p 76).
2. Comment enseigner le temps ?

Dans cette partie nous allons nous intéresser aux dispositifs pédagogiques entrant en jeu dans l’apprentissage du temps à l’école primaire. Comme nous l’avons vu dans la partie dédiée aux programmes des différents cycles, la notion du temps se construit particulièrement aux cycles 1 et 2, le cycle 3 étant axé sur l’étude de faits historiques et l’élaboration de repères historiques communs. Après avoir présenté des activités permettant de construire les différentes composantes du temps (succession, durée, irréversibilité et cycle) particulièrement au cycle 1 et au début du cycle 2, nous nous pencherons sur celles permettant à l’élève de travailler la notion de temps historique en CE2 et au cycle 3.
a) Enseigner la construction du temps

Avant d’entrer à l’école maternelle l’enfant a déjà une expérience du temps mais celle-ci est personnelle, émotionnelle et physiologique, liée à la faim et au sommeil par exemple. Le rôle de l’école est de donner au temps une dimension sociale et conventionnelle et d’aider l’enfant à passer d’un temps vécu à un temps perçu. Dès les premiers instants en petite section l’enfant est confronté à une régularité scolaire (rituel, accueil, lecture…) puis à des événements particuliers qui rythment la semaine (visite à la bibliothèque, décloisonnement) et qui l’aideront à identifier les jours de la semaine (Gioux, 2005). En proposant des rites et des activités organisées l’école va « installer un « début » et une « fin », ordonner, élucider l’action de l’enfant et l’aider ainsi à structurer le temps » (Houchot 2005, p 61). Elle va également veiller à apporter le vocabulaire indispensable à la construction de la notion.
Le temps étant une notion transversale il sera abordé aussi bien lors des activités langagières que dans les activités artistiques (musique et rythme) ou physiques (lors de danses ou de courses plus ou moins rapides) ou encore lors d’activités scientifiques : observation de la croissance d’un animal ou d’une plante, ordre de montage d’une construction) (Miot, 2000).
Succession
Pour favoriser l’acquisition de cette notion, Lotta De Coster (2005) conseille que l’enseignant mette en place « des activités d’ordination ou de sériation chronologique » à l’instar d’une ligne de temps ou frise chronologique. Cette dernière, qui s’adapterait au niveau de classe, pourrait présenter les moments de la journée de l’élève, de la semaine, des mois et ceci jusqu’à l’année complète. Cette ligne du temps facilite « une vision globale et une prise de conscience du temps qui passe ». L’enfant visualise les événements passés et ceux à venir. Une frise chronologique peut également être conçue en rapport avec un projet, tel que les étapes de la pousse d’une plante ou une recette de cuisine. De plus une « mise en ordre d’une série d’images distinctes » associent ordre temporel et ordre causal. Micheline Johnson (1975) conseille que la ligne de temps soit conçue par l’élève.
Pour construire la succession l’enseignant pourra aussi amener l’enfant à mémoriser une danse, raconter un événement vécu puis, dès la moyenne section, non vécu, ordonner des éléments comme des images de la vie quotidienne pour les plus petits, puis les illustrations d’un album ou des chiffres (Lefèvre, 2005).
Le langage revêt une importance particulière : lors des ateliers l’enseignant va commenter ses actions et introduire des adverbes et des connecteurs temporels. Cela va conduire l’enfant à organiser l’ordre temporel de ses actions et construire des éléments de chronologie (Gioux, 2005).
Durée
La durée est une notion complexe car elle est liée à la vitesse et au mouvement. Pour qu’il puisse se la représenter, il est nécessaire que l’enfant la vive, la perçoive et la verbalise (Kolp-Tremouroux cité par De Coster, 2005).
En apprenant à attendre son tour de parole, pour aller d’un atelier à un autre, à reproduire les mouvements d’une danse à différentes vitesses ou en se familiarisant avec des outils de mesure, l’enfant est confronté à la durée (Lefèvre, 2005). En effectuant des actions, l’enfant prend conscience que certaines prennent plus de temps que d’autres : la cuisson d’un œuf ou celle d’un gâteau. Un vocabulaire adapté (longtemps, plus, moins, autant que, pendant ce temps) permet à l’enfant de prendre conscience des durées et peut les comparer. De plus, lors de sa journée de classe, l’enfant va vivre certains moments qui semblent passer plus vite que d’autres. C’est alors à l’adulte de formuler ce que l’enfant ressent : l’attente des parents en fin de matinée, une récréation écourtée à cause de la pluie… (Emery & Rappeneau, 1998).
Irréversibilité
Comprendre le caractère irréversible du temps c’est comprendre qu’il ne revient pas, qu’il est révolu et définitif. Il faut donc proposer à l’élève des activités qui mettent en avant cette composante du temps : cuisson d’une pâte devenue gâteau, croissance d’un animal du bébé à l’adulte, graine devenue plante etc. Pour comprendre l’irréversibilité du temps historique on peut demander à l’élève de comparer un paysage autrefois et aujourd’hui. Enfin la rencontre avec la mort (d’un animal ou d’un grand parent) permet de prendre conscience de l’irréversibilité (De Coster, 2005).
Aspect cyclique
En découvrant la chronologie et l’irréversibilité l’enfant aura découvert l’aspect linéaire du temps qui ne revient pas. Mais le temps est aussi cyclique : la semaine qui recommence après le dimanche, les saisons qui reviennent tous les ans etc. Contrairement à l’aspect chronologique qui pouvait se matérialiser par une ligne du temps (ou frise chronologique) l’aspect cyclique lui, peut se schématiser par une horloge ou une ronde pour représenter la journée d’école ou la semaine (De Coster, 2005).
b) Enseigner le temps historique

Si le cycle 2 est encore principalement axé sur la construction du temps et plus particulièrement sur les rythmes cycliques, les durées et la chronologie, les élèves seront également confrontés au temps long. Pour amorcer ce travail et travailler en parallèle sur l’irréversibilité du temps, dès le CP, les élèves étudieront le passé proche, celui des parents et des grands-parents, en se basant, par exemple sur des enquêtes menées dans l’entourage proche (Eduscol (3), 2016). Ils réaliseront également des frises chronologiques et des calendriers à différentes échelles temporelles (M.E.N (2) 2018).
Ensuite, dès le CE2, les élèves commenceront à travailler sur les périodes historiques. D’abord en se concentrant sur quelques personnages et dates, à partir de ressources locales, de témoignages ou de films comme supports d’enquête (M.E.N. 2018). Au cycle 3 l’étude des faits historiques se fera au travers de six thèmes, à raison de trois par niveau. Ces thèmes, classés chronologiquement, vont du peuple celte à la création de l’Union européenne. Si ces thèmes ont pour but de mettre en place des repères historiques communs, ils doivent également être source de questionnement afin d’amener l’élève à « comprendre que le passé est source d’interrogations » et « que le monde d’aujourd’hui et la société contemporaine sont les héritiers de longs processus, de ruptures, de choix effectués par les femmes et les hommes du passé (M.E.N. (2) 2018). L’enseignant s’attache à proposer l’étude de cartes historiques, ainsi que de présenter les faits historiques sous les dimensions synchroniques (en même temps que) et diachroniques (selon l’évolution dans le temps). Enfin, par l’étude des faits, l’élève, dès le cycle 2, apprend à distinguer histoire et fiction, savoir et croyance (Eduscol, 2016).

II. Les apports de la littérature de jeunesse

La littérature de jeunesse est de plus en plus utilisée dans des activités interdisciplinaires mêlant histoire et français par exemple. Ces deux disciplines sont associées depuis très longtemps grâce au récit qu’il soit fictif ou historique.
A. Définition

Notre recherche s’appuie également sur des concepts liés à la littérature. Il nous paraît donc pertinent de définir cette notion particulière qu’est la littérature jeunesse. Le texte littéraire s’incarne dès qu’il y a une entrée dans la fiction. Il englobe aussi bien le récit que les textes poétiques ou encore les textes expressifs. Ces différents types de textes s’ouvrent également à tous les genres disponibles : fantastique, conte, théâtre, poésie, roman, bandes dessinées, chanson, … Ce n’est pas uniquement un texte, à cet aspect s’ajoute souvent une trame visuelle, une illustration, qui valorise aussi le récit selon Morant (2007).
La littérature jeunesse a longtemps été sous-estimée du fait qu’elle est destinée aux enfants. Pourtant aujourd’hui les livres pour la jeunesse ont une place à part entière. Les termes « littérature de jeunesse » comprennent toutes les productions écrites et illustrées pour l’enfance et l’adolescence. « Ce sont des livres qui parlent de et à la jeunesse, et qui peuvent sans nul doute participer au développement des habilités linguistiques générales » . La littérature jeunesse est également un point d’aide à la compréhension et à la participation au monde qui entoure le lecteur selon le chercheur Benoit Falaize (2008). Elle n’est pas un outil pédagogique obligatoire à l’école mais plutôt une référence, un appui dans l’enseignement. C’est pourquoi il existe des listes de références d’œuvres, publiées par le Ministère de l’Education Nationale mises à jour en 2018. Elles sont disponibles pour chacun des cycles de l’école primaire mais également pour le secondaire. La littérature est également citée dans les programmes de l’école primaire dans le but de donner un répertoire culturel à chaque élève, en mêlant la littérature de jeunesse d’hier et d’aujourd’hui. Pour le cycle 2, le programme (2018, p 13) préconise « Cinq à dix œuvres sont étudiées par année scolaire du CP au CE2. Ces textes sont empruntés à la littérature patrimoniale (albums, romans, contes, fables, poèmes, théâtre) et à la littérature de jeunesse. Les textes et ouvrages donnés à lire aux élèves sont adaptés à leur âge, du point de vue de la complexité linguistique, des thèmes traités et des connaissances à mobiliser ».
Notre sujet s’interroge particulièrement sur un genre de littérature jeunesse qui peut par une approche interdisciplinaire répondre aux attendus dans les disciplines historiques et littéraires des différents cycles.

B. La littérature pour aider l’enfant à construire le temps

Le langage est l’objectif principal du cycle 1 ainsi le programme de l’école maternelle réaffirme « la place primordiale du langage à l’école maternelle comme condition essentielle de la réussite de toutes et de tous ». Le langage est à la fois un instrument de communication, un instrument du développement et de la construction de soi et un instrument de représentation du monde. Ainsi que nous l’avons vu, le langage est un pivot dans la construction du temps. C’est lui qui permet à l’enfant d’accéder à un temps représenté, de sortir de cet état de temps vécu.
Nous allons ici nous intéresser aux apports des pratiques langagières pour la construction du temps, qu’il s’agisse de comptines, de conte ou de littérature de jeunesse.
La comptine
Depuis toujours les enfants, dès leur plus jeune âge écoutent, chantent, miment des comptines. Elles font partie du patrimoine culturel d’un pays et sont transmises le plus souvent par voie orale. Ces formulettes sont les prémices de la littérature, les premières histoires que l’on raconte aux tout-petits (Eduscol (1), 2016).
Puisqu’elles sont souvent répétées par l’enseignant, qui en plus, y associe des jeux de doigts et des mimes, elles seront facilement mémorisées par l’enfant et ceci pour longtemps (Ader, 1998). Grâce à la rythmique propre à chacune, qui va « trotter dans la tête » de l’enfant, les comptines vont vite devenir des rengaines, faciles à répéter. Ainsi l’élève apprendra aisément des repères temporels tels que les jours de la semaine, les mois ou les saisons.
Les comptines « constituent une première culture littéraire orale » pour l’enfant et une « initiation et aide à la compréhension de récits » (Eduscol (1), 2016). « En entrant dans ces courtes histoires, les enfants se projettent dans la fiction par les jeux de langage, accèdent à de premières représentations du monde, […], appréhendent de premiers scripts narratifs et s’initient au récit. ». Scripts narratifs qui, comme nous l’avons déjà vu, permettent à l’enfant d’organiser les événements de manière temporelle, en termes d’avant/ après, chronologiquement.
Le conte
Parce qu’il se situe à la frontière entre la tradition orale et la littérature écrite, le conte se situe à mi-chemin entre la comptine et la fiction (Simonsen, 1984). L’enseignant de maternelle, en racontant des histoires sans aucun support écrit, amène progressivement l’enfant à comprendre une histoire seulement à partir des mots entendus et de l’interprétation du conteur. Ce dernier peut alors adapter son niveau de langage au public et permettre ainsi aux plus jeunes de « connaître des récits, des contes du patrimoine dont les formes écrites [leur] sont souvent inaccessibles » (Eduscol (2), 2017). Pour les enfants de maternelle, l’enjeu est notamment de comprendre une histoire principalement à partir des mots entendus et de l’interprétation proposée par l’enseignant qui raconte. […] Cette pratique permet aux élèves de. En effet, le contage s’effectue dans des formes langagières orales, plus ou moins élaborées en fonction de l’âge des élèves, moins complexes à saisir ».
Par sa structure et son histoire le conte permet à l’enfant d’acquérir « l’intuition d’un temps révolu, radicalement différents de son vécu familial et scolaire » et fournir des « repères pour organiser la connaissance encore floue du passé » (Emery, 1998) et construire ainsi les prémices du temps historique. Pour la construction du temps, le conte est une ressource tant au niveau du vocabulaire que pour les références historiques. L’enfant est alors confronté à des locutions tels que « Cela se passait il y a bien longtemps » ou « Jadis » et « Autrefois ». Il découvre aussi la vie d’autrefois et peut faire des comparaisons avec sa vie à l’époque contemporaine. Emery précise cependant que cette « représentation du passé reste confuse au cycle 1 » et que le conte pourra être utilisé comme « déclencheur » plutôt au cycle 2.
La fiction
« Les livres constituent des objets culturels essentiels au développement de l’enfant, à ses apprentissages langagiers et culturels. » (Eduscol (2), 2017).
De plus, « par ce qu’ils montrent et racontent [les albums] sont autant de représentations subjectives de l’expérience humaine à destination [de l’enfant]. En cela ils constituent un vivier très riche pour aborder une notion aussi vaste et complexe que le temps » (Ferjou & Montmasson-Michel, 2010, p 8).
Dans leur publication Découvrir le temps qui passe avec des albums, Crystèle Ferjou et Fabienne Montmasson-Michel, énumèrent les compétences liées aux temps qui peuvent être travaillées par l’exploitation de six albums de jeunesse en maternelle. On découvre alors que ces ouvrages permettent l’étude de multiples facettes du temps. Cela va des différentes composantes – durée (mesure et perception), chronologie (antériorité, postérité, simultanéité), irréversibilité ou temps cyclique ; de la notion de transformation et de l’effet du temps sur les choses ; des différents temps (naturel, fictionnel, personnel ou encore historique). Ces albums se révèlent être une source non négligeable pour aider l’élève à construire la notion complexe du temps.
De plus, et ce tout au long de l’école primaire, la littérature de jeunesse développe des compétences langagières liées au temps en introduisant des adverbes temporels, des prépositions, des conjonctions, du vocabulaire spécifique et des formes verbales (Eduscol (3), 2016).

C. La fiction pour construire le temps historique

1. Qu’est-ce que la fiction historique ?

Parmi la littérature jeunesse qui permet une approche de l’histoire par les élèves, nous pouvons citer le cas de la fiction historique.
Il convient tout d’abord de revenir sur une définition du terme fiction historique ou encore dit roman historique. En effet, ce dernier ne doit pas être confondu avec le récit historique. Tous deux sont liés à la discipline historique et relève du récit dans son sens large mais leur approche est strictement différente.
Les récits historiques correspondent à des documents créés pour servir l’histoire notamment les manuels. Ils sont en lien direct avec des évènements réels et se doivent d’être « vrais». Etant des écrits, il subsiste toujours une part de subjectivité. Le point de vue de l’auteur, tout comme la période d’écriture interfère dans cette recherche de savoirs factuels. On soulève ici, une des contradictions de l’écrit historique qui complexifie son analyse (Jaubert et al. 2013). Cependant, il se doit d’être le plus proche possible des évènements du passé. Il ne réinterprète pas le passé mais en donne une version fidèle où l’invention de personnages n’a pas lieu d’être par exemple. Ce genre de récit doit retranscrire des documents dits de l’historien, par cela nous sous entendons des documents et des traces du passé qui sont continuellement vérifiés et remis en questions. Cette recherche de vérité permet de distinguer l’écrit historique de la littérature. Toutefois, le récit fait partie à part entière de la discipline historique. Benoit Falaize dans son article paru dans le périodique Cahiers Pédagogiques n°462 (avril 2008) cite Roger Chartier pour donner une définition de l’histoire sous l’angle du récit : « Récit parmi d’autres récits, l’histoire se singularise par le fait qu’elle entretient un rapport spécifique à la vérité, ou plutôt que ses constructions narratives entendent être la reconstitution d’un passé qui a été. ».
A contrario des récits historiques, la fiction historique est qualifiée de littérature se référant à l’histoire. Elle a pour fonction de représenter de manière fictionnelle quelque chose du passé. La liberté de l’auteur donne l’essence de toute la partie fictionnelle. Elle permet de combler des vides que l’histoire n’a pas apportés ou même de réorganiser certains évènements. Le récit procède d’une mise en scène qui sera bien plus exacerbé que dans les récits historiques. L’écrivain se permettra d’autant plus d’arranger son discours, d’isoler certains éléments afin de donner du sens au récit. En effet, l’auteur utilise l’histoire comme support dans le but de développer des problématiques et une relation au temps à la portée des enfants notamment. Le chercheur Benoit Falaize (2008) soulève le fait que l’intrigue relève bien de la forme narrative, par là il sous-entend une problématisation de l’histoire, mais qu’il serait important de développer la quête indiciaire, la recherche de preuve au sein du récit qui sont des éléments de l’écriture historique.
C’est bien cette dualité entre fiction et réalité qui interroge la didactique de l’histoire contemporaine. Martine Jaubert, Sylvie Lalagüe-Dulac et Brigitte Louichon (2013) énoncent que cette hybridité du genre de récit de fiction mène à une interrogation perpétuelle pour les didacticiens. De même Didier Cariou (2012) dira que ce genre « met en lumière une opposition celle de la réalité représenté par l’histoire et celle de la fiction qui enjolive et modifie ».
Le roman historique relate une histoire qui se déroule dans un univers passé. Il n’aura donc pas pour but de remplacer la discipline qu’est l’histoire mais plutôt celui d’accompagner grâce à la littérature vers la compréhension du passé. Les recherches de Peltier (2005 cité par Jaubert et al 2013) sur les pratiques des enseignants mettent en valeur qu’une approche par la littérature de l’histoire est un moyen de captiver les élèves tout en développant une conscience du passé. Cette dernière est essentielle pour l’acquisition des connaissances dans la discipline historique comme nous l’avons développé précédemment à travers l’étude du concept de temps. Le récit de fiction serait donc plutôt perçu comme une trame de référence qui rend compte de la réflexion historique. Selon Benoit Falaize (2008) cette trame permettrait de donner du sens à l’histoire enseignée et favoriserait la mémorisation L’enfant mémoriserait l’histoire comme n’importe quelles autres histoires romanesques. En effet, le passage par la littérature jeunesse rendrait plus accessible l’histoire « dans la simplicité de sa réception, de sa langue et de son contenu » (Falaize, 2008, p 54).
Le récit de fiction serait donc un support à la construction du temps historique Cependant, les documents historiques et autres supports disponibles à l’historien ne peuvent être mis de côté. En effet, c’est l’enrichissement mutuel des deux disciplines qui est a privilégié selon les didacticiens.
2. Ses limites à l’école primaire.

Ce genre de littérature soulève cependant de nombreuses limites dans son utilisation et son contenu.
Comme énoncé succinctement dans la partie précédente, l’auteur a dans le récit de fiction une liberté qui est malgré tout souvent conditionnée par le public à qui il s’adresse. En effet, la volonté d’écrire pour des enfants, induit souvent une simplification des faits historiques qui n’est pas forcément juste. Les auteurs ont tendance à accentuer les représentations historiques, faisant ainsi rentrer le récit dans des stéréotypes et des catégories particulières. Ce phénomène est mis en lumière par Didier Cariou (2012) mais également repris dans l’article « Romans historiques pour la jeunesse et construction de savoirs scolaires en histoire (cycle 3) » de Sylvie Lalagüe-Dulac (2017) en prenant comme exemple la période historique du Moyen Age. Effectivement, cette période est sujette à des raccourcis et des personnages stéréotypés qui finalement dépaysent l’enfant mais ne feront pas référence au passé pour lui. C’est une des premières limites du récit de fiction. Ce déplacement géographique est aussi dû au langage employé, ce dernier est lui aussi simplifié pour une meilleure compréhension et reste donc celui qu’on l’on emploie à l’époque actuelle.
Une autre limite est soulevée par les didacticiens, elle correspond au choix des personnages principaux. La volonté des auteurs est principalement de positionner le lecteur dans l’histoire à travers un personnage auquel il peut s’identifier. Cependant, les valeurs qui sont mises en avant restent une nouvelle fois contemporaine à notre époque. La place de la femme, le racisme ou plus largement les droits de l’homme n’étaient pas les même à l’époque médiévale pour garder le même exemple. Malgré tout, les héros partagent ses principes, et suscitent une sorte d’anachronisme mais dont le but est toujours l’identification au personnage. De la même façon, l’article « Les fictions historiques : un objet littéraire éditorial et scolaire qui soulève et interroge les frontières » (2013) soulève le fait que les romans historiques ont des fins heureuses contrairement aux faits historiques. On met l’accent sur une bonne fin pour le héros au détriment d’une bonne fin collective car en effet historiquement cela n’est pas possible. Il semble que le héros traverse une époque plutôt qu’il ne la vit. Ces choix à propos du héros dépendent une fois encore de la liberté de l’auteur et met en avant une des principales difficultés de la fiction historique : différencier réalité et fiction. Dans le même article, Martine Jaubert, Sylvie Lalagüe-Dulac et Brigitte Louichon, citent l’auteur de romans historiques Bertrand Solet. Selon lui, trop souvent « l’Histoire n’est qu’un prétexte à décor ou bien anecdote » alors que le roman doit « apporter au lecteur des éléments de connaissance sur le passé et donc le présent et l’avenir (…) L’essentiel est que l’Histoire joue un rôle dans l’histoire » (2013). Cette citation montre la difficulté et l’ambiguïté entre cette volonté de connaissance et d’attraction pour le lecteur.
Enfin, le rôle des éditions jeunesse joue énormément dans la qualité des contenus et les choix opérés par l’auteur. En effet, il existe une grande diversité dans les formes mais aussi les enjeux et les valeurs prônés par les fictions historiques. Le choix du récit a donc une importance primordiale dans son utilisation en classe par la suite.
Ces interrogations sur l’objet littéraire lui-même et ses limites nous mènent vers ses fonctions didactiques au sein des différents cycles.
3. Ses fonctions didactiques au cycle 3

C’est bien l’usage de la littérature dans la discipline historique au sein des classes de primaire qui nous interroge. En effet, l’ambiguïté du genre littéraire de la fiction historique qui mêle histoire et littérature questionne les pratiques enseignantes. Les recherches étudiées portent particulièrement sur des classes de cycle 3 au sein d’école, c’est-à-dire où l’enseignement est polyvalent et permet donc plus facilement ces aller-retour interdisciplinaires.
Yves Reuter, didacticien du français (2007 p. 9-10, cité par Jaubert) donne plusieurs fonctions didactiques à la littérature et dans son article Martine Jaubert choisit de mettre l’accent sur trois fonctions qui sont applicables au récit de fiction. Il y a tout d’abord la fonction objectivante qui sous-entend que le récit permet de révéler ce qui est absent, puis la fonction médiatrice c’est-à-dire que le roman faciliterait une progression et une réflexivité. Enfin, elle mentionne la fonction implicative qui correspond au fait que l’élève s’engage dans le travail grâce à ce type de support. Ces trois fonctions seraient donc inhérentes au genre du récit de fiction.
Dans les différents articles de recherche, la littérature est souvent mise en valeur comme un support pédagogique qui rendrait presque possible un apport historique sans que l’élève ne s’en rende compte. Selon Cariou (2012), il existe une idée reçue, à laquelle il s’oppose, selon laquelle il faut des connaissances historiques avant de lire une fiction. Pour appuyer son opposition, il explique que les savoirs factuels historiques donnent finalement une solution aux problèmes que soulève la lecture. Les évènements historiques « classiquement » enseignés apportent les connaissances nécessaires à la compréhension mais leur absence aux moments de la lecture place les élèves en situation de recherche qui les mène finalement à une démarche historienne de questionnement. Par conséquent il souligne l’importance du choix de l’album. Ce dernier doit être résistant pour pousser à cette démarche de recherche historienne. Il émet l’hypothèse que la littérature serait un moyen de faire sortir la discipline de son modèle « classique » autrement dit un modèle suivant une construction chronologique dans un enseignement dialogué. La littérature jeunesse serait alors un bon moyen d’entrée dans l’histoire et un support légitime pour appréhender des notions ou même un vocabulaire plus ou moins complexes. Dans son article « Littérature jeunesse et enseignement de l’histoire au cycle 3 », il présente au travers d’un cas précis d’album sur la première guerre mondiale (Zappe la guerre de Pef) les différentes opérations mentales qui peuvent être mises en jeu dans une séquence interdisciplinaire. Nous pouvons citer « évaluer une distance temporelle », « distinction passé/présent », « compréhension historique », « construction du temps historique ». Ces opérations sont essentielles pour comprendre la discipline historique et doivent être travaillées dès le cycle 2.
Benoit Falaize (2008) exprime également des compétences que l’on peut attribuer au récit de fiction pour la discipline historique au cycle 3. Il met en avant des compétences culturelles. Nourrie par l’imaginaire du récit, la littérature permettrait aux élèves d’augmenter leur capacité de stockage et ainsi créer une mémoire collective des histoires aussi bien réelles que fictives. Ces compétences sont aussi liées à des compétences psycholinguistiques telles que la compréhension et la mobilisation de connaissances antérieures. Enfin, l’histoire enrichie par la littérature serait la base d’un enrichissement pour les compétences linguistiques notamment par rapport à l’utilisation d’un vocabulaire précis et d’une syntaxe plus complexe. Par le contexte littéraire, l’élève serait familiarisé à un registre soutenu.
Enfin l’apport majeur du récit de fiction est aussi une de ses limites. En effet, le fait de confronter les élèves à une fiction historique pousse les élèves à développer un esprit critique sur ce qu’il lit, la vérité et la fiction. L’élève doit sélectionner, trier et juger des données, ce sont des compétences que l’on peut assigner à une recherche historienne. Benoit Falaize (2008) recommande donc de toujours maitriser cet équilibre entre les disciplines histoire et littérature. Jean Michel Zakhartchouk (2008) met en garde contre la subtilité des auteurs qui jouent avec le réel pour leurs romans. Il propose une mise en place collective de ce type procédure de recherche sur ce qui est « vrai » ou ne l’est pas.
Enfin une dernière fonction est évoquée quant à l’utilisation de la littérature dans l’enseignement de l’histoire : celle de la mémoire. Elle n’est pas directement liée avec notre propos mais semble suffisamment importante pour être soulignée. En effet, la littérature serait un « excellent vecteur pour assumer le devoir de mémoire porté par l’école et la société » (Jaubert et al. 2013 p 7-16). Cet aspect de la littérature est à combiner avec le développement de l’esprit critique et une volonté de ne pas refaire ce qui a déjà été fait.
Il semble donc que la littérature pour le cycle 3 soit un complément à la discipline historique, qu’elle soit une entrée ou un support didactique. La principale difficulté réside dans le fait de mettre à distance la fiction et la réalité au sein des récits utilisés.

• QUESTION DE RECHERCHE ET HYPOTHESES

Notre questionnement a évolué au fil de nos lectures. En effet, nous n’avons que très peu d’informations sur les pratiques enseignantes mêlant littérature et histoire au sein du cycle 2. Pourtant d’après les didacticiens, ce cycle correspond à un moment de transition entre la conception du temps pour aller vers une appréhension du temps historique à proprement parler. Nos recherches ont également mis en lumière les nombreux avantages réciproques de cette interdisciplinarité au sein du cycle 1 et du cycle 3. Nous nous questionnons donc sur l’existence de cette fracture au sein des pratiques. Nous avons aussi pris conscience que le fait de lier l’histoire et la littérature apportait certaines limites, cet élément nous a permis de préciser notre questionnement. Ces limites sont-elles trop importantes dans les pratiques du cycle 2 notamment par rapport à la compréhension de texte ou la question de différencier la fiction et la réalité ?
Enfin lors d’échanges informels avec des enseignants du cycle des apprentissages fondamentaux, un manque de ressources et de documents à leur disposition ou encore un manque de temps pour une exploitation correcte ont été mentionné. Il nous parait donc intéressant de savoir si c’est un cas unique ou un ressenti plus général. Si les enseignants ont des a priori sur ce type d’enseignement.
Notre questionnement s’oriente donc tout particulièrement sur l’utilisation de la littérature au cycle 2 dans le cadre de l’enseignement du domaine « questionner le temps ». Nous nous s’interrogeons sur les apports de cette pratique pour l’enseignant et les élèves mais également sur les pratiques réelles des enseignants.

Quels peuvent être l’utilisation et les apports de la littérature jeunesse au cycle 2 dans le cadre de l’enseignement du domaine « questionner le temps ?