Trajectoires futures de l’éducation en des temps incertains

Le centre AGORA et la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Helsinki ont conjointement organisé une série de conférences sous un nom signifiant « Trajectoires futures de l’éducation en des temps incertains ». Cet événement s’est conclu le 24 septembre par une conférence intitulée « Privatisation and marketisation of early childhood education in Finland » ou « Privatisation et marchandisation de l\’éducation de la petite enfance en Finlande ». Cette conférence reflétait la recherche menée par Dr Satu Valkonen et Dr Jaana Pesonen de la faculté des sciences de l’éducation.

Pour commencer, les chercheuses ont rappelé que le concept d’éducation de la petite enfance en Finlande concernait les enfants jusqu’à l’âge de cinq ou six ans, c’est à dire avant l’année de pré-primaire. En effet, la maternelle n’est pas liée à l’école primaire en Finlande et les lois sont différentes pour les enfants de moins de six ans.

La conférence était construite autour des deux thèmes mentionnés dans le titre: privatisation et marchandisation. Dans chaque cas, Valkonen et Pesonen ont décrit les tendances actuelles et abordé les problèmes que ces changements engendrent ou pourraient engendrer. Ils étaient envisagés en référence au concept « d’intérêt supérieur de l’enfant » présent dans les textes des droits de l’Homme.
Le premier thème était celui de la privatisation. Pour comprendre ce phénomène, il faut avoir à l’esprit les trois systèmes possibles présentés par les chercheuses : le modèle universel, le modèle de marché et le modèle de quasi-marché.
Dans le modèle universel, les services d’éducation de la petite enfance sont organisés et financés par l’État. Ces services sont vus comme un droit et sont ouverts à tous de manière équitable. Le modèle de marché, quant à lui, est un système où les services sont privés. Les clients et les entreprises sont vus comme agissant dans leur propre intérêt et le système se régulerait donc lui-même. Le dernier modèle est un système hybride dans lequel les services offerts par des acteurs privés sont financés également par les ressources de l’État. Les clients ont le choix de participer ou non aux services commerciaux et sont soutenus par l’État grâce à des allocations publiques.

Entre 1973 et 2018, la Finlande s’inscrivait dans le premier système. Si la part des acteurs privés était en augmentation depuis les années 1980, il était illégal de faire du profit dans les services d’éducation de la petite enfance. Récemment, un nouveau curriculum pour la petite

enfance est venu changer la donne. Avec ce nouveau curriculum, entré en vigueur en septembre 2018, les acteurs privés peuvent désormais agir pour le profit dans un système de quasi-marché.

Récemment également, la récession a eu un impact important sur les municipalités, obligées de réduire les coûts. Ceci a augmenté l’attrait des services commerciaux où le budget et reflète le prix du service. Valkonen et Pesonen ont constaté que la recherche du profit peut aller à l’encontre de l’intérêt de l’enfant mais les réductions budgétaires publiques me semblent aussi aller à l’encontre de leur intérêt.

L’augmentation de l’utilisation des services privés est fulgurante. Aujourd’hui, près d’un tiers des enfants est dans le privé. Selon les chiffres présentés, la Finlande compte 259 centres privés à but lucratif et 209 à but non-lucratif. Les trois plus grandes entreprises du secteur possèdent environ 40 % de ces centres. Les chercheuses ont noté qu’une telle concentration du marché en si peu de mains remet en question l’idée même du modèle de marché selon lequel les parents ont le choix.

Elles ont montré que beaucoup d’articles de presse dénoncent que les centres privés manquent de personnel et ne sont pas toujours en règle avec leurs permis. Malgré tout, la discussion politique critique à ce sujet est quasiment inexistante. Une des raisons citées est qu’un politicien influent est fondateur et grand propriétaire dans ce secteur.

La privatisation du secteur de la petite enfance semble avoir amplifié l’influence des acteurs privés dans le choix et le développement des règles dans l\’éducation de la petite enfance. Selon les chercheuses, la privatisation change non seulement la manière dont nous agissons mais aussi la manière dont nous concevons nos actions. Priorité est donnée aux choses mesurables, ce qui mène au second thème de la conférence.

Le second thème traité par Valkonen et Pesonen est celui de la marchandisation des services de la petite enfance. Les chercheuses ont comparé le nouveau système avec McDonald’s, les centres lucratifs cherchant en effet l\’efficacité, le rendement, la prévisibilité et le contrôle. Elles remarquent que l’intérêt de l’enfant est à nouveau mis au second plan. La priorité mise sur les choses mesurables a conduit à une « datafication » des services dans les deux secteurs privé et public.

D’après les chercheuses, la collection d’information a une influence négative. Les éducateurs rempliraient beaucoup de tableaux et formulaires, réduisant le temps passé avec l’enfant. Plus indirectement, la pédagogie serait affectée par les données collectées. Les éducateurs deviendraient sujets des nombres et se baseraient moins sur la communication avec les parents et les enfants.
De surcroît, cette confiance dans les données affaiblirait l’image de l’éducateur ou enseignant du secteur de la petite enfance. Bien que titulaires d’un Master, les enseignants ne semblent pas vus comme des personnes suffisamment capables. Leur nécessité est même parfois réduite comme le montre l’exemple des applications grâce auxquelles les livres illustrés sont lus aux enfants.
La collection de données prend diverses formes. Il existe par exemple des applications pour apprendre des langues ou encourager l’activité physique. Les conférencières ont montré que ces produits étaient présentés positivement comme augmentant la confiance en soi ou le bien-être. Les enfants y ont un profil personnel et des données sont collectées sans que les parents ne le sachent ou sans qu’ils ne sachent comment elles sont utilisées. Ces données servent entre autre à améliorer le marketing du produit, le rendant d’autant plus attractif. C’est un cercle vertueux pour les entreprises.

Les chercheuses se sont demandé à qui les données appartenaient et quel pouvoir les parents pouvaient exercer sur leur utilisation. Elles se sont posé la question des droits de l’enfant par rapport à cette collection nationale de données. Il est vrai ai-je pensé que nous ne savons pas à qui les données sont vendues et que l’État pourrait aussi s’en servir, ce qui pourrait poser problème si un gouvernement extrémiste venait au pouvoir.

Les enseignants semblent aussi être culpabilisés par les médias s’ils n’utilisent pas ces nouvelles technologies. Valkonen et Pesonen ont montré le texte d’une invitation à une réunion sur Facebook qui sous-entendait qu\’un bon enseignant suit les dernières tendances. Le temps précédant la digitalisation y était appelé « Dark Ages ».

Cette conférence est intéressante dans le cadre de mes études car les professeurs de langue sont parfois amené à enseigner dans les garderies en Finlande. J’ai notamment découvert des applications dédiées à l’apprentissage précoce des langues. Il est compréhensible que la vision des chercheuses soit assez négative mais entre de bonnes mains les données collectées pourraient avoir des conséquences positives, notamment sur la recherche dans le domaine de l’enseignement des langues ou de la pédagogie. Des données supplémentaires sur l’acquisition précoce des langues et le multilinguisme pourraient également faire avancer la recherche. J’ai aussi pu entrevoir l’étendue de la digitalisation qui n’est pas cantonnée au primaire et au secondaire.