Comment Zara est devenu le roi du prêt-à-porter

RÉSUMÉ

Contexte Zara est une compagnie créée depuis 1974 qui évolue dans le domaine de la mode. Depuis plus de 10 ans, elle est positionnée comme un leader dans le marché de l’habillement avec plus de 1500 magasins sur 68 pays. En 2007 déjà, ses ventes annuelles tournaient autour de 6.26 milliards d’euro. De ce fait, c’est la marque phare du groupe Inditex auquel elle appartient. Ce succès important repose essentiellement sur son modèle d’affaire qui allie un roulement fréquent de ses produits selon les saisons, des magasins ergonomiques et conviviaux pour ses clients et des prix compétitifs par rapport aux concurrents, notamment H&M, Mango et Gap. De ce fait, c’est une marque qui repose sur la valeur ajoutée qu’elle offre aux clients. Cette différentiation de Zara est sous-tendue par un modèle proactif novateur de sa chaîne de design, de production, d’approvisionnement et de distribution qui est capable de livrer des items à ses magasins 2 fois par semaine pour une gestion de stock efficace.Cet article porte sur la collaboration en 2007 entre Felipe Caro (University of California, Los Angeles), Jérémie Gallien (Massachusetts Institute of Technology, MIT) et quelques employés de Zara (José Antonio Ramos, Javier García, Marcos Montes et Miguel Díaz) dans le cadre du développement et de la mise en place d’un modèle de recherche opérationnelle afin d’optimiser la chaîne de distribution des items entre les entrepôts de Zara (tous deux situés en Espagne) et ses 1500 magasins à travers le monde pour satisfaire la demande des clients. Ainsi, le défi managérial, la solution en recherches opérationnelles qui y a été apportée par la collaboration nommée plus haut et l’impact de cette dite solution ont été abordés dans cet article.

Problématiques de Zara – Les contraintes d’affaires spécifiques

Zara a une règle de gestion empirique forte qui lui permet de différencier sa marque de ses concurrents. Cette règle régit la décision d’exposer ou non les articles dans les différents magasins selon les tailles d’articles disponibles en inventaire. En d’autres termes, les tailles majeures que sont Small, Medium et Large (S,M,L.) priment sur les tailles mineures comme. De ce fait, ces tailles majeures sont requises pour chaque article afin qu’on puisse l’exposer en magasin pour les clients. En outre, un article qui ne dispose que de tailles S, M, L ne sera exposé que lorsque la taille M, considérée comme sa taille majeure,

est disponible.

En effet, cette contrainte managériale forte liée aux tailles est motivée par la gestion de l’attente des clients qui ne doit pas être dépréciée par une expérience négative due à un article non disponible en magasin. Ainsi, la probabilité d’une frustration des clients potentiels, causée par un article non disponible en taille régulière, est considérablement atténuée avec cette politique de retrait des articles ne disposant pas de tailles majeures. Cependant, dans certains cas, les articles retirés peuvent être agrégés dans un magasin afin que celui-ci puisse avoir un jeu complet (avec les tailles majeures) permettant leurs expositions aux clients.Par conséquent, cette contrainte sur la taille introduit une dépendance forte entre la gestion du stock au niveau des magasins et le processus de distribution des marchandises depuis les entrepôts.Les contraintes de temps de traitement. La seconde contrainte liée au processus de distribution des articles aux magasins est celle du court délai de traitement de besoins des magasins par les entrepôts, une fois l’information des magasins est remontée vers les entrepôts. En effet, le modèle d’affaire de Zara repose essentiellement sur la diligence des livraisons des articles pour le réapprovisionnement de ses magasins.

Un long délai entrerait en contradiction avec le modèle d’affaire de Zara. Les contraintes de volume de données. Par ailleurs, le volume de données (situation de l’inventaire, ventes des derniers jours) remontant des magasins vers les entrepôts, est tellement important avec leurs 1500 magasins, qu’il pose un défi de traitement aux équipes en entrepôts.Les contraintes de disponibilité des articles. La dernière contrainte managériale est celle de la limitation des articles disponibles en entrepôts. Ainsi, la satisfaction de toutes les demandes provenant des magasins est difficilement atteignable compte tenu d’une éventuelle majoration des besoins envoyées par les gérants de magasins en approvisionnement.Limites du processus antérieur. Le processus antérieur d’approvisionnement des magasins en articles, utilisé jusqu’en 2006, est un processus basé sur l’offre et la demande entre les entrepôts et les magasins respectivement. En effet, il commence par l’annonce des entrepôts vers les magasins sur les articles disponibles en entrepôts. Cette annonce hebdomadaire appelée ‘the offer’ est pilotée par les décisions managériales spécifiques provenant de la maison mère de Zara pour chaque magasin. A la réception de cette annonce de disponibilité en entrepôts, les gérants de magasins font une demande de quantité pour chaque taille pour chaque article compte tenu de l’inventaire actuel. Par la suite, une équipe de l’entrepôt réceptionne et compile toutes les demandes de tous les magasins afin de prendre des décisions sur les quantités réelles à allouer à chaque magasin selon les disponibilités.Ce processus, bien que fonctionnel, montra ses limites en 2005 avec l’augmentation considérable du nombre de magasins qui passa à plus de 1000 à travers le globe. En effet, la première limitation de ce processus était le fait que les gérants de magasins demandaient plus en quantité que ce dont ils avaient besoin pour les articles qu’ils pensaient limités en entrepôts. Ces décisions stratégiques des gérants de magasins étaient motivées par le fait que leur compensation et leur promotion sont directement en fonction des performances de ventes de leurs magasins respectifs.Par ailleurs, les multiples responsabilités et tâches de ces gérants de magasins (construction des équipes et gestion du personnel) faisaient qu’ils n’avaient pas assez de temps pour s’occuper de manière efficace du réapprovisionnement en marchandises.La troisième limitation de ce processus est celle de l’énorme quantité de données à traiter au niveau de l’équipe en entrepôt afin de prendre des décisions d’approvisionnement portant sur 3000 articles et 1000 magasins.

Modalisation de la situation actuelle

Description de la solution

Processus utilisant nouvelle méthode Dans le contexte d’optimisation des ventes, la solution automatisée doit permettre d’identifier les besoins réels des magasins pour prolonger le temps d’exposition afin d’augmenter les profits reliés à la vente du linge produit et livré. Pour se faire, l’expérience des gestionnaires de magasin reste une valeur aussi grande que dans le processus actuel. Ils doivent préparer des demandes de livraison précise pour satisfaire aux normes de présentation de l’entreprise tout en adaptant l’offre à la clientèle visée. Cette décision donnera la possibilité de choisir le style vestimentaire voulant être affiché dans les magasins pour assurer une uniformité de l’offre en fonction des saisons et de l’emplacement géographique des magasins. En plus de cette information, la solution automatisée analysera l’historique des ventes du magasin en la combinant à cette demande de livraison pour calculer un modèle prévisionnel beaucoup plus précis. La donnée de sortie de ces variables est appelée « demande prévisionnelle » et elle constitue la première variable qui sera utilisée pour alimenter le nouveau modèle opérationnel. Cette variable est analysée en combinaison avec la base de données d’inventaire des magasins et des entrepôts pour assurer l’analyse du portrait réel de la situation. Ceci permettra d’optimiser le modèle et d’expédier le bon nombre de grandeurs aux bons magasins afin d’assurer l’écoulement de tout le matériel et de prolonger le temps d’exposition de linge en respectant les politiques de la compagnie.Demande prévisionnelle (forecasting model)Plus précisément, la demande prévisionnelle est une donnée d’entrée primordiale au modèle d’optimisation des expéditions pour l’ensemble des magasins Zara dans le monde. Elle est composée de trois variables principales : 1) le choix de style vestimentaire; 2) les statistiques des ventes passées; et 3) la demande d’expéditions avec les quantités pour chaque grandeur de vêtement requises. La première variable peut être influencée par l’emplacement du magasin sur la planète, la clientèle visée par les styles vestimentaires et la saison durant l’année à laquelle les ventes sont réalisées. Principalement, cette variable tient compte de facteur externe au magasin et permet une flexibilité de décision qui n’aura pas d’effet direct sur la qualité du modèle de demande prévisionnelle. Elle aura le seul rôle d’identifier le type de vêtement à analyser dans le modèle. Ensuite, les statistiques de ventes passées seront propres au magasin Zara analysé qui effectuera la demande d’expédition. En fait, cette donnée est indispensable pour créer une estimation prévisionnelle. L’objectif est d’identifier la performance de vente d’un magasin par rapport au style vestimentaire sélectionné. Ceci permettra de cibler les magasins où la pièce de linge est très populaire et où les ventes vont très bien. La troisième et dernière variable aura l’effet le plus probant sur le modèle de prévision. La demande d’expédition formulée par les magasins permettra d’identifier les besoins d’articles en particulier avec les grandeurs nécessaires à leurs ventes. En fait, les gestionnaires ont un rôle primordial dans la capacité à modéliser une demande prévisionnelle. Le plus l’information est juste et précise, le mieux le calcul peut s’effectuer afin d’obtenir un résultat approprié. Elle est à ce point importante que Zara entend offrir des incitatifs afin d’augmenter la motivation et la responsabilité de chaque magasin d’offrir des données de qualité. L’analyse est essentiellement reliée à une méthodologie de régression linéaire qui a pour objectif de produire une équation pour décrire la relation statistique entre les trois variables afin de prévoir de nouvelles observations telle que la demande prévisionnelle. Cette réponse prédictive permettra de générer la demande de la semaine suivante pour chaque grandeur et article qui est nécessaire dans le réseau mondial de magasin Zara.

Modèle d’optimisation (optimization model)

Le modèle d’optimisation des expéditions met en relation la demande prévisionnelle, les inventaires de production dans les entrepôts et les inventaires de ventes dans les magasins Zara pour chaque article et grandeurs visées. L’objectif principal du modèle est d’évaluer les demandes prévisionnelles et de prévoir les expéditions pour la prochaine semaine de manière optimiser les ventes de l’entreprise à travers l’ensemble de ses magasins.La première fonction qui alimente l’analyse est nommée inventaire aux ventes (inventory-to-sales) et offre la possibilité de considérer l’ensemble de l’inventaire pour toutes les grandeurs stockées dans les magasins au début de la semaine. La fonction doit permettre l’analyse complète de chaque grandeur d’article majeur (S; M; L) indépendamment puisque la politique d’affichage oblige d’avoir en stock chacune de ces grandeurs pour assurer une bonne expérience client. Dans le cas contraire, la ligne de vêtement doit être entièrement retirée pour respecter cette contrainte managériale telle que définie au début du travail. Cet effet de dépendance entre les grandeurs peut avoir un impact négatif sur les ventes, dans la mesure où le temps d’exposition serait réduit. C’est pour cette raison que la fonction inventaire aux ventes prend en considération l‘inventaire en magasin afin de régler le ravitaillement du magasin dans l’optique d’allonger l’effet d’exposition pour augmenter la probabilité de vente et de s’approcher de la demande prévisionnelle précédemment calculée. Cette situation est caractérisée comme un effet de saturation, présenté dans le graphique suivant qui simplifie la relation entre l’inventaire au début de la semaine, le bon approvisionnement d’article en fonction de la demande prévisionnelle et le temps d’exposition.

Figure 2

Fonction inventaire aux ventes de chaque magasin en effets d’exposition et de saturation. La finalité de l’effet d’exposition forcera le modèle d’optimisation à expédier les bons articles dans les grandeurs qui permettraient de compléter leur inventaire de manière à prolonger le temps d’affichage, et par conséquent, augmenter les ventes du magasin.La deuxième fonction associée à l’inventaire aux ventes permet de mieux comprendre l’effet de saturation précédemment relaté. En effet, elle élabore la relation entre les magasins qui auront la plus forte probabilité de vente par rapport à chaque unité additionnelle expédiée. En autre mot, on observe qu’à un certain point le magasin atteint une limite de la vente d’un item. Donc, une fois cet effet de saturation combiné avec l’effet d’exposition, la stratégie d’expédition favorisera le point de vente qui sera proche du point de saturation, sans toutefois l’avoir dépassé, pour maximiser la probabilité de vente. Cela permettra de bien balancer les inventaires dans les magasins et dans les entrepôts.

La dernière fonction scelle l’analyse du modèle d’optimisation en combinant l’effet d’exposition et l’effet de saturation tout en ajoutant des variables contextuelles aux magasins visés. Ces variables permettent de personnaliser l’offre de l’inventaire disponible aux entrepôts pour les magasins en fonction de leur stratégie de vente. La première est un facteur d’agressivité (noté K) qui relate l’importance du moment d’expédition dans le cycle de vie du produit et du coût d’opportunité d’entreposage. Plus concrètement, un facteur K élevé serait utilisé lorsque la demande prévisionnelle est incertaine pour un produit, résultant de la jeune mise en marché d’un article. Le contraire serait un facteur K faible, où l’on serait en période de liquidation du produit à la fin de sa mise en marché. Cela favoriserait l’expédition de plus gros lots à chaque magasin pour s’assurer de libérer les stocks restants. La seconde variable est attribuée au revenu généré par un article pour la semaine subséquente dans le réseau de magasins (noté P) qui pondèrera la valeur de revenu en fonction d’une période donnée afin de maximiser les profits dans le temps. L’objectif de cette variable est d’optimiser l’exposition des articles lorsque le prix est élevé en début de cycle de vente. Ainsi, la combinaison du facteur K et P avec la fonction inventaire aux ventes permettra de trouver la meilleure quantité à expédier pour chaque grandeur à chaque magasin Zara dans le monde.

Figure 3

Représentation haut-niveau de la fonction Objectif et les contraintesMise en place du logicielLa solution technologique requiert l’analyse approfondie d’une énorme base de données en temps réel. Ces données proviennent des inventaires de magasins, des inventaires en entrepôts et des ventes effectuées et doivent être transformées rapidement pour générer des décisions précises en temps opportun pour aligner les expéditions à travers le monde. Le modèle d’optimisation résout approximativement 15 000 solutions par semaine qui représentent la distribution de six millions d’unités d’article et 120 millions d’euro de ventes.

Projet pilote

L’entreprise a décidé d’implanter la solution sous forme d’un projet pilote dans quelques magasins Zara pour évaluer l’efficacité de la méthode.Des nouvelles de ZaraZara, appelé Zorba au moment de sa création, fabrique plus de la moitié de ses produits en Espagne. Elle compte plus de 2000 magasins dans 88 pays, fabrique plus de 12 000 nouveaux modèles chaque année, en fonction des rétroactions de sa clientèle. Un modèle peut être créé et mis sur le marché en moins de deux semaines. L’entrepôt de Zara est 9 fois plus grand que celui d’Amazon things you never knew about Zara. Zara se questionne sur l’expansion de son modèle d’affaire avec la possible relocalisation de ses entrepôts en Chine.