Quelle relation de travail pour assurer un service de livraison de plats préparés ?

La livraison est aujourd’hui une opportunité de croissance majeure pour les restaurateurs. Pour pouvoir offrir un tel service à leurs clients, ils peuvent créer leur propre flotte de livreurs ou externaliser le service de livraison à une société spécialisée. L’externalisation permet au restaurateur de bénéficier immédiatement d’une capacité de livraison et d’une expertise, de disposer d’une certaine flexibilité, et de se concentrer sur son coeur de métier, tout en diversifiant ses sources de revenus. Cela se traduit cependant par une perte d’indépendance et de maîtrise d’image de marque. Au contraire, assurer la livraison en interne permet une meilleure gestion des coûts et des flux et surtout, une meilleure maîtrise de la qualité de service. À la demande du client, cette note se concentre sur cette option : il s’agit ici de définir la relation de travail qu’un restaurateur devrait établir avec ses livreurs pour assurer au mieux la livraison en interne. Cette solution doit lui offrir de la flexibilité, c’est-à-dire lui permettre de s’adapter quasi-instantanément aux fluctuations de la demande sans coûts d’ajustements. Cela est en effet crucial pour un restaurateur qui développe un nouveau service et doit pouvoir réagir vite aux demandes difficiles à prévoir de ses clients.

Les relations de travail permettant d’assurer un service de livraison

• Le restaurateur peut conclure un contrat de travail avec un livreur, qui met son activité professionnelle à son service et se place sous sa subordination contre une rémunération. Il existe deux catégories de contrats. Le CDI (contrat à durée indéterminée) est le contrat de droit commun. Il n’a pas de terme et se termine par une démission, un licenciement, une rupture conventionnelle, un départ en retraite. Le CDD (contrat à durée déterminée) est un contrat d’exception, conclu pour une période fixée ou une mission précise dont la durée n’est pas connue d’avance. Sa durée maximale est de 18 mois, reconductible une fois, avec un délai de carence entre deux CDD pour un poste. Hormis les dispositions relatives à la rupture du contrat, ils offrent les mêmes droits et obligations. Ils peuvent être à temps complet (35 à 39 heures par semaine) ou partiel (entre 24 heures par semaine et la durée d’un temps plein). • Le restaurateur peut recruter des intérimaires, mis à sa disposition par une agence d’intérim. Il signe avec l’agence une convention de mise à disposition. L’intérimaire signe avec l’agence un contrat de travail. Il est légalement son employé.

La mission peur durer de quelques heures à 18 mois. • Le restaurateur peut faire appel à un prestataire, avec lequel il signe un contrat de prestation de services. Ce prestataire est un travailleur indépendant, souvent micro-entrepreneur, qui livre en toute indépendance les repas pour le compte du restaurateur, contre une rémunération forfaitaire. On parle de ‘relation de travail type Uber’, Uber ayant le premier basé son modèle sur ce type de contrat.

Les avantages et inconvénients de ces relations de travail

• Le CDI a des avantages certains. En particulier, la procédure de recrutement et les périodes d’essai permettent de sélectionner des livreurs compétents, fidélisés par les avantages procurés par le CDI. L’employeur a un pouvoir de contrainte et peut assurer une qualité de service optimale. Cependant, le CDI n’offre pas de flexibilité. Après la période d’essai, le restaurateur ne peut licencier le livreur que dans certains cas, après un délai de préavis et au terme d’une complexe et coûteuse procédure. Il doit de plus définir des horaires de travail. La masse salariale s’adapte difficilement aux fluctuations de l’activité. Le CDI peut par conséquent avoir des coûts fixes élevés. Le temps partiel pourrait permettre une gestion plus souple de la flotte de livreurs et l’adaptation des horaires à l’activité. Mais en pratique, les rigidités demeurent nombreuses. Le restaurateur doit respecter la durée minimale du travail et établir un calendrier de répartition au moins quelques jours à l’avance. L’utilisation des heures complémentaires est limitée, l’accès au temps complet priorisé. Le CDI ne semble donc pas répondre aux besoins du restaurateur.

• Le CDD et l’intérim offrent la flexibilité demandée. Ces contrats ont été conçus pour permettre à une entreprise d’embaucher en cas de pic d’activité, sans avoir besoin de licencier lorsque l’activité chute ou de payer des charges fixes de long-terme : ils prennent automatiquement fin à la date prévue. L’intérim permet en particulier de disposer rapidement de personnels qualifiés sans hausse de la masse salariale. Cependant, ces contrats ne peuvent être utilisés que dans certains cas et sont strictement encadrés par le droit. Leur recours doit permettre de répondre à un besoin temporaire et ponctuel et ne semble donc pas justifié pour assurer un service de livraison lié à l’activité courante du restaurateur. Ce dernier court le risque de voir les contrats requalifiés en CDI. S’il reste possible d’embaucher un travailleur temporaire en cas de pic d’activité, le modèle économique du restaurateur ne peut reposer intégralement sur ces contrats. Ils ont de plus des inconvénients, e.g. un coût élevé et des difficultés de rupture avant leur terme.

• La ‘relation de travail de type Uber’ offre une flexibilité maximale. Il n’y a pas d’horaire de travail : le restaurateur publie ses besoins en services de livraison et les livreurs s’inscrivent aux créneaux où ils sont disponibles. Le nombre de livreurs et le volume d’heures travaillées s’adaptent donc instantanément à l’intensité de l’activité, sans coût ni démarche administrative. Ce type de relation permet également de réaliser des économies. Comme le travailleur utilise son propre matériel, les frais de fonctionnement sont réduits. Du fait de l’absence de contrat de travail, le restaurateur n’a pas à payer des charges sociales ni à traiter avec des syndicats. Le régime de l’indépendant attirant de plus en plus de travailleurs, il est assuré que ses besoins en livreurs seront comblés, même en cas de pic d’activité. Cependant, ces relations de travail sont aujourd’hui très critiquées. Les observateurs dénoncent un ‘salariat déguisé’, les entreprises n’y ayant recours que pour se prémunir de toute obligation. Ces dernières décident en effet seules des tarifs et des conditions de travail, mettent en place des outils de contrôle et se sanction pour garantir la balance entre offre et demande et la qualité du service, et écartent sans préavis les livreurs jugés non performants. Au regard de leur faible autonomie, plusieurs coursiers ont tenté d’obtenir la requalification de leur contrat de prestation de services en CDI. Le juge a d’abord rejeté leur demande, en se fondant sur leur liberté d’organisation et l’absence de clauses d’exclusivité et de non-concurrence. Cependant, dans un arrêt du 28 novembre 2018, la Cour de cassation a reconnu l’existence d’un lien de subordination entre un coursier et une société de livraison de repas, en raison de son pouvoir de contrôle et de sanction. La requalification du contrat en CDI a été prononcée. Des décisions similaires ont depuis été prises à Paris et Nice. Si le restaurateur recourt à ce type de relation, il s’expose donc à une requalification en CDI, qui aurait de lourdes conséquences financières. Il encourt aussi une condamnation pénale pour travail dissimulé. Plus encore, ces relations de travail pourraient être interdites. La Californie a adopté en 2019 une loi obligeant les sociétés de réservation de voitures à requalifier les contrats de prestation de service signés avec leurs chauffeurs en contrats de travail. L’adoption en France d’une loi similaire applicable aux sociétés de livraison de repas mettrait en péril le modèle économique du restaurateur s’il avait recours à ces relations. Cela est d’autant plus probable que l’attention portée par les autorités aux 200 000 travailleurs français ‘ubérisés’ ne cesse de croitre. Leur situation difficile est largement médiatisée. Par conséquent, pour l’opinion publique, les sociétés comme Uber exploitent leurs travailleurs, en leur offrant des rémunérations en-deçà du SMIC et une protection sociale précaire. Bien que cela ne les ait pas empêché de croitre, embaucher des travailleurs ‘ubérisés’ pourrait ternir l’image du restaurateur et réduire son chiffre d’affaires. Cela semble donc risqué.

Notre recommandation : une ‘relation de travail de type Uber’

• Néanmoins, cette relation de travail demeure la plus adaptée pour répondre aux besoins de flexibilité du restaurateur. Il importe tout d’abord de rappeler qu’elle est légale. Le restaurateur peut facilement éviter une requalification ou une condamnation pour travail dissimulé en respectant strictement le droit, i.e. en s’assurant que ces livreurs sont réellement indépendants. Ceux-ci doivent être immatriculés ‘indépendants’, utiliser exclusivement leur matériel, être totalement libres dans la gestion de leur temps de travail et à réalisation de leurs prestations, et n’être soumis à aucun contrôle ou à aucune sanction. Le restaurateur ne doit pas leur donner d’instructions, sous réserve des engagements pris dans le contrat de prestation de services. Ce dernier doit décrire précisément la tâche à réaliser, en mettant en évidence que le restaurateur ne dispose pas des compétences requises. Le prix du service doit être inscrit dans le contrat, avec une facture établie pour chaque prestation. Le restaurateur devrait de plus délivrer une rémunération juste (équivalente au SMIC) et des droits sociaux importants à ses travailleurs. Il montrerait ainsi qu’il souhaite bénéficier de la flexibilité qu’offrent les relations de travail de type Uber, et non échapper à ses devoirs d’employeur. Cela contribuerait à attirer des livreurs et à renforcer son image d’entreprise responsable. De plus, si les prestataires sont protégés, ils ne souhaiteront pas demander la requalification de leur contrat : ils bénéficieront à la fois des avantages du régime de l’indépendant et de régime du salarié.

• Il est également important de préciser que la ‘relation de travail de type Uber’ ne sera pas interdite en France avant longtemps. Les autorités sont en effet défavorables à la requalification de l’ensemble des contrats des ‘travailleurs ubérisés’, de crainte que cela ne conduise leurs employeurs à relocaliser leurs activités hors de France et donc à d’importantes pertes d’emploi. Les réformes passées (loi du 8 août 2016) et à venir (article 20 du projet de loi d’orientation des mobilités) encadrent donc le statut des prestataires, afin de limiter les risques de requalification. L’objectif est de sécuriser l\’activité des entreprises, en contrepartie de meilleures conditions de travail et de droits sociaux étoffés. Il semble peu probable que cette politique change dans les années à venir, la plupart des acteurs politiques y étant favorable.
La ‘relation de travail type Uber’ semble donc la meilleure solution pour développer un service de livraison tout en conservant une important flexibilité. Le respect strict des règles de la sous-traitance et l’instauration de droits importants pour les travailleurs devraient assurer la pérennité de ce modèle.