1.1. Stratégie et contrôle: du diagnostic prescriptif à l’interactif mobilisateur
Faisant écho aux travaux de Mintzberg sur les stratégies émergentes en 1978 (Mintzberg, 1978), l’une des sonnettes les plus marquantes des recherches sur la relation stratégie et contrôle a été émise en 1994 par Simons avec ses leviers de contrôle (Simons, 1995). Plusieurs analyses critiques, dont l’une des plus récentes est celle de Lepori et Bollecker (Lepori et Bollecker, 2015), ont suivi et permis d’enrichir le concept pour offrir une meilleur compréhension du lien.
1.2. Les leviers de contrôle de Simons (Simons, 1995)
La préoccupation essentielle de Simons en 1995 était d’aider à clarifier la relation entre la stratégie et le contrôle. Celle-ci lui est apparue, après de nombreuses années d’expérience d’intervention et de recherche en entreprise, comme étant cruciale face à la complexité accrue des contextes dans lesquels les organisations évoluent. Il s’est interrogé sur la façon dont les gestionnaires se servent des systèmes de contrôle innovants pour revitaliser la stratégie (Martyn et al., 2016). Sa thèse s’est élaborée méthodologiquement sur fond d’intégration des théories et recherches courantes de son temps avec des exemples pratiques et des études empiriques. Il définit les notions, de contrôle et de stratégie, et montre comment les deux réalités s’articulent dans les organisations selon une approche diagnostic et interactive.
a) Notions de contrôle et de stratégie chez Simons
Pour Simons, les systèmes de contrôle de gestion sont des pratiques et procédures formelles et informationnelles que les gestionnaires utilisent pour maintenir ou modifier
b) Système de contrôle : transmission et stimulation de la stratégie
La première articulation que Simons établit entre le système de contrôle de gestion est celle qui découle de la dimension informationnelle du contrôle de gestion. Le contrôle de gestion est utilisé pour maintenir ou pour ajuster les modèles organisationnels. Il permet de relayer l’information sur les plans et les domaines stratégiques du sommet vers la base, et de remonter l’information sur l’avancement des plans et l’émergence des nouvelles menaces et opportunités de la base vers le sommet. Simons reconnait ainsi le rôle stimulateur du contrôle de gestion qui mobilise la contribution des employés à l’ajustement des stratégies. Pour lui, le système de contrôle de gestion doit intégrer également les stratégies qui émergent des pratiques et des initiatives indépendantes des employés : « employees can surprise, and management control system must accommodate intended strategies as well as strategies that emerge from local experimentation and independent employee initiatives » (Simons, 1995, p. 5). Il y a là un dépassement clair de la conception classique qui appréhende les systèmes de contrôle de gestion dans leur unique rôle de déploiement de la stratégie (Dambrin et Löning, 2008). Cette dernière, dans ses quatre angles permet de dessiner l’interface des leviers de contrôle.
c) Leviers de contrôle : diagnostic et interactif
La seconde articulation de la relation du contrôle avec la stratégie repose sur l’appropriation et l’enrichissement que Simons fait des quatre angles de la stratégie tels que définis par Mintzberg. En tant que ligne de conduite délibéré, la stratégie repose sur des variables de performance critiques à atteindre. Considérée comme inductrice de comportement, son déploiement efficace s’appuie sur les valeurs fondamentales partagées. Dans sa logique de positionnement commercial, la stratégie est fondée sur les risques à éviter. Enfin, entant que perspectives elle intègre la survenance des incertitudes. Ces quatre fondements (variables de performance critiques, valeurs fondamentales, risques à éviter et incertitudes) doivent être analysés et compris pour une meilleure implantation de la stratégie (Simons, 1995). En lien avec ces fondements, Simons identifie quatre systèmes qu’il appelle leviers de contrôle : un système de croyance pour inspirer et diriger la saisi des opportunités, un système de frontière pour cadrer la recherche des opportunité et la limiter, un système interactif pour stimuler l’apprentissage organisationnel et l’émergence de nouvelles stratégies, et un système diagnostic utilisé pour motiver, suivre et récompenser l’atteinte des objectifs spécifiés (Simons, 1995). Simons assume ainsi la logique traditionnelle du contrôle diagnostic empreint de prescription et de contrainte matérialisées par l’instrumentation, et y ajoute la logique interactive et mobilisatrice : « the use of control systems is not limited to the implementation of existing strategies. They can also be used to motivate exploration, innovation, and adaptation » (Simons, 2013, p. 5). Cette approche du contrôle est plus perceptible dans des situations qui tranchent avec la routine et les certitudes, et où en présence « de facteurs qui peuvent menacer ou invalider la stratégie adoptée, il peut être utile de mobiliser des dispositifs pour stimuler l’apprentissage organisationnel et l’émergence de nouvelles idées et stratégies » (Lepori et Bollecker, 2015, p. 3).
d) L’interactivité dans la nature et dans l’usage du système de contrôle
En assumant la dimension sociale et organique de l’entreprise, Simons établit que les leviers de contrôle se matérialisent concrètement, sous la forme de systèmes d’information formels (outils de contrôle) et informels (discussions et échanges) que les managers, faiseurs de stratégies, utilisent de manière processuelle, pour s’impliquer personnellement et régulièrement dans les activités de prise de décision des employés (Simons, 1995). L’équilibre dans la tension qui existe entre le besoin de contrôle et la nécessité de stimuler les initiatives créatrices de stratégies émergentes est introduit à tous les niveaux par des discussions et échanges interactives. Dans ce sens, l’interactivité des systèmes de contrôle de gestion réside non seulement dans la nature de ces systèmes, mais aussi et surtout dans l’usage que les managers en font : « The solutions to balancing the (…) tensions lies not only in the technical design of these systems but, more important, in an understanding of how effective managers use these systems » (Simons, 1995, p. 4-5). Plusieurs travaux sur le système de contrôle de gestion mettant en lumière le caractère interactif se sont multipliés à la suite de Simons (Fasshauer, 2012), et l’un des plus récents, celui de Lepori et Bollecker (2015) révèle les freins à l’équilibrage diagnostic et interactif, et sugère l’évolution du système de contrôle vers une interactivité transversalle.