Les Forces de Défense et de Sécurité

Les attentats perpétrés contre les tours jumelles du World Trade Center, le 11 septembre 2001 aux Etats Unis d’Amérique, ont permis de faire connaître aux yeux du monde l’ampleur du terrorisme et sa face hideuse. A l’instar des Etats Unis d’Amérique, l’Afrique n’a pas échappé à ce fléau et force est de constater que l’on assiste à une recrudescence des actes de terrorisme sur ce continent. Ces actes de violence commis illégalement par des acteurs non étatiques pour des motifs politiques sont qualifiés d’actes terroristes.

Victime d’attentat terroriste le 13 mars 2016, la Côte d’Ivoire qui partage respectivement 532 km et 584 km avec le Mali et le Burkina-Faso par sa frontière nord, demeure toujours une cible potentielle pour les terroristes et ce par un effet d’entraînement, de contagion et de dissémination des nombreux groupes terroristes qui pullulent le nord du Mali et gangrènent l’est du Burkina-Faso.

Aussi est-il opportun de s’interroger si les forces de défense et de sécurité ivoiriennes, devant ce phénomène qui représente une menace directe et multiforme à la sécurité humaine, disposent des réponses robustes et adéquates.

Au regard de son caractère complexe, la lutte contre le terrorisme par les forces de défense et de sécurité ivoiriennes s’inscrit dans une matrice mettant en œuvre des processus et des mesures appropriés. De même, certains paramètres s’intégrant dans une vision globale doivent être pris en compte pour balayer tout le spectre de cette menace.
Certes, pour maintenir la quiétude des populations ivoiriennes, des réponses ont été définies et adoptées par les forces de défense et de sécurité pour faire face à la menace terroriste (1), cependant des écueils existent dans cette approche militaire (2). Aussi et surtout, de nouvelles orientations doivent-elles être incorporées dans l’architecture de lutte contre le terrorisme afin de cerner et juguler durablement ce phénomène (3).

* *
*

LES REPONSES DES FORCES DE DEFENSE ET DE SECURITE A LA MENACE TERRORISTE

Formées à priori pour affronter un adversaire étatique doté d’une armée classique, et engagées pour lutter contre la criminalité intérieure, les forces de défense et de sécurité ivoiriennes face à la menace terroriste, vont se muer progressivement et mettre en œuvre des outils anticipatifs et de réaction.

Des mesures préventives…

Dans le souci de l’anticipation de la menace, un accent particulier est mis sur le renseignement. Bien géré, il doit servir à la prise de décision politique et stratégique et faciliter la planification à travers l’identification des réseaux terroristes et in fine leur

neutralisation. Ainsi une communauté ivoirienne du renseignement a été mise en place en vue de coordonner l’ensemble des services de renseignement, chapeautée par une structure dénommée Coordination Nationale du Renseignement (CNR). Cette communauté abat un travail remarquable notamment en investissement humain sur le terrain qui constituait jusqu’alors l’angle mort du renseignement. En effet des actions menées ont permis d’arrêter sept djihadistes maliens, qui appartiendraient à la Katiba Khalid Ibn Walid, du groupe islamiste Ansar Eddine .

En outre, pour se mettre à l’abri de toute éventuelle attaque terroriste, la protection de certains sites sensibles et stratégiques s’avère nécessaire. Ainsi par le biais de l’opération Bouclier d’Ivoire qui a pour but de prévenir toute attaque terroriste sur l’ensemble du territoire ivoirien, des troupes de police et de gendarmerie ont été positionnées dans des sites jugés sensibles comme les lieux touristiques et les institutions internationales.

De plus, des prépositionnements des troupes pour la surveillance des frontières terrestres ont été mis en œuvre. Ainsi, relativement à la menace venant du nord du pays à la frontière avec le Mali, l’opération Bordure de protection a été initiée. Aussi, avec les attaques terroristes dont est victime le Burkina-Faso, l’opération Rempart a-t-elle été déclenchée à la frontière avec ce pays. Ces deux opérations ont pour objectif de créer une ceinture étanche afin d’empêcher l’incursion de cellules terroristes sur le sol ivoirien.

…Aux moyens de riposte

Une fois l’acte terroriste déclenché, la Côte d’Ivoire peut s’appuyer sur ses unités spéciales de contreterrorisme suivant un processus générique d’intervention coordonné et prédéfini.

D’une part, pour arrêter les terroristes en action, trois unités spéciales antiterroristes sont mises à contribution : le Groupe de Recherche, d’Assistance, d’Intervention et de Protection (GRAIP) des Forces Spéciales, la Force de Recherche et d’Assaut de la Police (FRAP) et l’Unité d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (UIGN). En effet, ces unités bénéficient régulièrement d’exercices de contreterrorisme et libération d’otages dont le but est de driller et d’évaluer justement la capacité de ces forces à manœuvrer dans le cadre d’une opération antiterroriste.

D’autre part, cette réaction se fait par la mise en œuvre d’un processus générique d’intervention mettant en synergie, outre les unités spécialisées, tous les acteurs intervenant dans la lutte antiterroriste. Ce protocole d’intervention permet une réaction rapide et coordonnée des forces en cas d’action terroriste afin de renforcer la protection et de faciliter l’intervention. Le niveau 3 ou le PACT (Plan d’Alerte Contreterrorisme) ROUGE de ce processus est alors déclenché.

En somme, les dispositifs de prévention et de réaction demeurent des verrous indispensables et nécessaires dans la lutte antiterroriste. Cependant des pesanteurs surgissent dans cette démarche militaire.

* *
*
DES ECUEILS DANS LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

Avec une superficie de 322 462 km2 et ses différentes unités, la Côte d’Ivoire mène une lutte inexorable contre le terrorisme. Toutefois, dans cette noble lutte, elle est confrontée à des difficultés tant sur le plan structurel qu’opérationnel.

Limites structurelles

Le territoire ivoirien est subdivisé en quatre grandes régions militaires. Cependant, les unités spéciales de contreterrorisme sont toutes implantées dans la première région militaire au sud, et plus précisément à Abidjan. La menace étant aléatoire et diffuse, si une éventuelle attaque terroriste se produit en dehors d’Abidjan, il serait très difficile pour ces unités spéciales d’intervenir dans les plus brefs délais et le bilan en pertes de vies humaines serait assez considérable.

De plus, les aéroports internationaux sont de plus en plus confrontés au terrorisme. En effet, environ un peu plus d’une dizaine de détournements d’avions se sont produits sur les plateformes aéroportuaires depuis 2000 à travers le monde . Certifié OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale), l’Aéroport International Félix Houphouët Boigny d’Abidjan qui dessert presque toutes les capitales du monde ne dispose pas d’une unité spéciale en son sein, ce qui représente une vulnérabilité majeure en cas d’attaque terroriste.

Limites opérationnelles

L’interopérabilité est un facteur primordial pour les unités engagées dans la lutte contre le terrorisme. Cependant, la coordination fait pratiquement défaut entre les composantes terrestre, aérienne et maritime. En effet, il n’existe pas de moyen de communication commun aux bâtiments, aéronefs et troupes au sol et la liaison devient de facto difficile sur le terrain comme cela a été le cas lors de l’attentat sur la plage de Grand-Bassam le 13 mars 2016 .

En outre, cette lutte contre le terrorisme est orientée exclusivement vers l’armée de terre. En effet, l’armée de l’air et la marine nationale ne possèdent pas d’unités de lutte de contreterrorisme et ne mettent pas en œuvre des exercices de contreterrorisme. Par ailleurs, relativement aux engins explosifs improvisés et surtout aux engins explosifs artisanaux utilisés de plus en plus par les terroristes au Burkina-Faso, un manque de formation relativement à l’utilisation de ce genre de matériels fait défaut aux militaires ivoiriens.

Au total, des insuffisances structurelles et opérationnelles ressortent dans cette approche militaire. Aussi doivent-elles être corrigées et s’intégrer dans une démarche globale pour in fine couvrir tout l’ectoplasme de la menace.

* *
*

DES DEFIS DE L’OPTION MILITAIRE… A LA VISION GLOBALE

Le terrorisme « peut être contenu par des outils militaires, mais ne peut être défait que par des moyens politiques ». Aussi, afin de juguler tout le spectre de cette menace, les efforts doivent-ils être axés sur la déstructuration de certains instruments de force des réseaux terroristes.

Les solutions aux défaillances structurelles et opérationnelles militaires.

D’abord, afin de couvrir tout le territoire national, il est opportun à défaut de positionner les unités spéciales dans toutes les régions militaires-vus les coûts exorbitants de formation et d’équipement- de « décentraliser la capacité opérationnelle des unités en vulgarisant systématiquement l’acquisition des techniques et des moyens d’intervention classique des forces spéciales au profit des autres forces de sécurité » . Ceci permettrait de réduire considérablement les délais d’intervention lors d’éventuelles attaques terroristes.

Ensuite, en raison des détournements d’avions qui représentent une fonction publicitaire importante pour les terroristes, il devient impératif d’installer de façon permanente une force spéciale de contreterrorisme à l’Aéroport International Félix Houphouët Boigny.

Enfin cette lutte ne doit pas être l’apanage exclusif de l’armée de terre. Il est nécessaire de prendre en compte la troisième dimension qui est d’un grand apport aussi bien dans la prévention que dans la riposte. En effet, les drones pourront facilement localiser les terroristes et permettent aux unités sur le terrain d’agir plus efficacement.

La désintégration des instruments de force

Les premiers instruments à détruire sont les réseaux de financement liés aux groupes terroristes. En effet, les groupes terroristes se bonifient et vivent grâce aux moyens financiers provenant le plus souvent d’activités illicites. Ainsi assécher le terrorisme à la racine par un contrôle efficace des circuits de financement, constituerait une interruption à leurs velléités expansionnistes. En Côte d’Ivoire, les sites d’orpaillage clandestins peuvent servir de puits de financement aux activités terroristes, à l’instar du braconnage qui est devenu une nouvelle manne de financement du terrorisme en Afrique. Entre 2006 et 2016 l’orpaillage clandestin a fait perdre à l’Etat ivoirien 479 milliards FCFA . Cette somme colossale peut faire l’objet de blanchiment et être ainsi insérée dans le circuit des réseaux terroristes. Des opérations de démantèlement de ces sites ont été menées par la gendarmerie nationale grâce à l’opération « ORPI V ». Cependant, le bilan de ladite opération reste très mitigé. C’est pourquoi, des actions vigoureuses doivent être menées avec surtout une forte implication des autorités et rendre effective cette phrase du président français Emmanuel Macron : no money for terror .

Deuxièmement, il est nécessaire d’avoir un champ de contrôle sur des milieux fragiles susceptibles d’être des réseaux potentiels de recrutement. Les enfants en conflit avec la loi ou enfants microbes est un exemple palpable. Ce sont des groupes de très jeunes enfants délinquants qui sèment la terreur en bandes organisées avec une violence inouïe. Et pour qu’il y ait des terroristes, il faut évidemment un terreau car le terrorisme ne nait pas ex-nihilo. Sur l’argument d’une idéologie, viendra un processus de transformation de l’individu qui débute par son repérage et s’achève par la création d’une « machine à tuer ». Pour endiguer tout ce processus, et faire en sorte que les enfants microbes ne soient repérés des mesures doivent être prises. Outre les opérations de répression, il est question de doter le pays d’une véritable politique criminelle au profit de ces jeunes à travers des communautés de réinsertion où ils pourront apprendre un métier. Selon l’UNICEF, en 2017 environ 135 enfants ont été utilisés par Boko Haram pour mener des attentats-suicides au Nigéria et au Cameroun d’où la nécessité d’entraver la probable connexion entre terrorisme et enfants en conflit avec la loi.

Enfin, les idéologies faisant l’apologie du terrorisme doivent être combattues à la racine par des sensibilisions à doses homéopathiques prioritairement dans l’éducation et la religion. En effet, l’école doit être considérée comme le lieu privilégié de la lutte contre le terrorisme . Une réforme des programmes éducatifs par l’insertion de la problématique du terrorisme sera une avancée pour privilégier un esprit critique chez les jeunes et ainsi annihiler les germes du terrorisme. De plus, le terrorisme ayant muté vers la parcelle religieuse islamiste, l’Etat doit donc démanteler les lieux de culte et les mosquées où l’on fait l’apologie des prêches radicales.

* *
*

Au terme de cette analyse, on retiendra que le terrorisme est un phénomène complexe, une menace diffuse et omniprésente. La première et seule attaque terroriste qu’a subie la Côte d’Ivoire le 13 mars 2016 a occasionné des marques indélébiles et a fait prendre conscience à la population que la menace est présente et prête à frapper à tout moment. Il s’agit alors de rassurer les populations par des mesures adéquates et appropriées en prenant en compte les réalités de la société ivoirienne. Des mesures sécuritaires existent déjà et font leur preuve. Cependant, la lutte contre le terrorisme ne doit pas être orientée exclusivement vers le volet sécuritaire. Elle doit aussi être économique, sociale et culturelle. In fine, ces mesures doivent avoir pour objectifs la stabilité des institutions et le maintien de la cohésion sociale.

Aussi la Côte d’Ivoire et les pays africains en général doivent-ils s’interroger sur l’évolution du terrorisme vers l’utilisation d’armes NBC (nucléaire, radiologique, chimique). En effet, la menace NBC qui émane du nouveau terrorisme aura un effet psychologique indéniable et pourrait être à l’origine d’une panique et d’un désordre particulièrement redoutable. Alors comme le dit Georges LE GUELTE, le terrorisme nucléaire sera-t-il un risque majeur, un fantasme ou un épouvantail ?