L’époque médiévale a été de toute l’histoire de la Philosophie

Dans l’ambiance d’un monde en pleine effervescence intellectuelle où la philosophie était encore considérée comme une connaissance encyclopédique qui devait s’intéresser à toutes les questions sur Dieu, le cosmos et l’homme. En outre, le moyen-âge était une riche période en raison de l’introduction de la culture grecque dans le monde occidental. Arrivent dans les écoles épiscopales, les monastères, et les premières universités des textes des philosophes grecs plus particulièrement des textes du corpus aristotélicien et du corpus platonicien. Ces textes ont été rendus possibles par la traduction des grands maitres. De ces traductions arrivent aussi des textes philosophiques, théologiques et scientifiques très corsés. Il y a eu un grand moment de transfert culturel.
Comprendre et mieux établir les relations entre philosophie et christianisme autrement dit la théologie était le grand défi de la pensée médiévale. Le fer de lance de la philosophie médiévale réside en effet dans la recherche de l’accommodation de la pensée philosophique grecque avec la doctrine chrétienne. C’est donc dans cette atmosphère d’un christianisme en pleine floraison que l’on doit situer la philosophie médiévale qui s’abreuvait à peine au puits de la pensée grecque plus princièrement à la profondeur doctrinale des grandes figures emblématiques de toute l’histoire la pensée philosophique grecque : Platon et Aristote. N’est-ce pas à juste titre qu’on arrive même à dire que toute la pensée médiévale plonge ses racines dans la théologie qui se présente à son tour comme le couronnement sinon le perfectionnement des doctrines platonicienne et aristotélicienne. Comment situer l’époque du Moyen-âge? Quelle a été la toile de fond de cette période de pensée ? En quoi le platonisme et l’Aristotélisme ont-ils influencé le Moyen-âge occidental ? Quelle serait la légitimité d’une certaine redevance du Christianisme au Platonisme et à l’Aristotélisme ?

1- Périodisation et expression globale de la philosophie au Moyen-âge

Le Moyen-âge n’est pas une période facile à circonscrire hermétiquement. Il n’a pas été une période systématiquement classée en une seule unité aussi bien dans un temps et dans l’espace, en orient et en occident. Tous les historiens ne sont pas unanimes à se statuer chronologiquement sur une période fixe et exhaustive. Toutefois le Moyen-âge est globalement pour certains la période qui se situe entre l’Antiquité et les temps modernes. Pour certains historiens, il est la période comprise entre la chute de l’empire romain d’occident (476) et la prise de Constantinople par les Turcs(1453). Par ailleurs traditionnellement, on divise le Moyen-âge en

deux périodes : le Haut Moyen-âge (500-1100) période sombre, violente et sanglante, et le Bas Moyen-âge ou Moyen-âge tardif (1100-1500). D’autres soutiennent que la période médiévale a pris fin en 1492 avec la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Peu importe la date du début et de la fin, nous voudrions situer l’ambiance dans laquelle évoluait la philosophie surtout dans le monde occidental durant cette période de l’histoire de la pensée. Car Il y a en effet une périodisation, une réalité historique distincte pour les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans. Alors que les philosophies arabo-musulmane et juive poursuivaient déjà leur chemin, l’occident chrétien est encore en train de naître à la philosophie. L’histoire de la philosophie médiévale est antérieure et englobe l’histoire de la philosophie chrétienne. Donc il y a lieu de préciser qu’ici dans notre présent travail que la périodisation du temps du Moyen-âge ne saurait s’étendre que sur l’occident chrétien dix siècles durant. Quels ont été donc les courants dominants qui constituaient le centre du débat durant ces siècles ? Quelle a été la préoccupation des penseurs d’alors ?

2-Bref survol de la pensée philosophique dans les milieux orientaux

Dans ce grand mouvement de transfert culturel, le monde occidental a pu s’ouvrir à la pensée de grands maîtres comme Al Fârâbî, Avicenne, Averroès. Ce vaste mouvement de découverte a favorisé une certaine ouverture à la pensée philosophique juive notamment à la pensée des philosophes juifs comme Maimonide, Aviceron. Ce qui laisse comprendre sans ambages que ces ressources intellectuelles viennent alimenter le travail de la pensée médiévale.

2.1 Al-Fârâbî
Vers la fin du IXe siècle et la première moitié du Xe siècle, une autre figure emblématique va voir le jour : Al-Fârâbî est considéré comme un second maitre après Aristote. Versé à la fois dans le Platonisme et l’Aristotélisme, c’est à lui qu’on doit deux thèmes fondamentaux de la pensée médiévale : la formulation et la distinction de l’essence et de l’existence ; une représentation de l’univers fondée sur l’adaptation de la cosmologie aristotélicienne des intelligences séparées à la doctrine Plotinienne de l’émanation.
Ce grand maitre à penser a aussi le mérite de la synthèse originale de l’empirisme aristotélicien et de la théorie platonicienne des idées exposées dans le De intellectu in intellecto

2.2 Avicenne

Considéré comme l’un des plus grands et éminents penseurs de toute l’histoire médiévale, soit au sens de Roger Bacon « Chef et Prince des Philosophes », Avicenne, Médecin et Philosophe, a exercé une très grande influence sur tout l’occident médiéval par sa pensée. Il a paraphrasé l’essentiel de l’œuvre d’Aristote, l’enrichissant de tous les développements qu’elle avait connus chez les commentateurs néoplatoniciens grecs, puis dans l’espace culturel arabo-musulman.
Dans son autobiographie Avicenne a clairement avoué que la métaphysique d’Aristote a complètement influencé sa pensée et même sa vie personnelle. Il est comme l’un des pionniers sans qui, la philosophie et la théologie des XIIIe et XIVe siècles seraient impensables dans le monde occidental. Son œuvre qui aborda toutes les branches de la philosophie en une somme inégalée avait même influencé considérablement la pensée du philosophe théologien Thomas d’Aquin, cette figure de proue qui a su marquer toute l’histoire de la pensée médiévale jusqu’à aujourd’hui.
Sa doctrine philosophique, en particulier sa métaphysique, se base sur celle d’Aristote et sur les travaux d’Al-Fârâbî. Il a opéré pour ainsi dire une vaste synthèse médico-philosophique avec la logique d’Aristote, combinée avec le néoplatonisme, élevant la dignité de la médecine comme discipline intellectuelle, compatible avec le monothéisme.
Il a épousé plusieurs théories d’Aristote pour expliquer certains phénomènes en physiologie comme la respiration tout comme il partait de la cosmologie d’Aristote pour expliquer la réalité des anges qu’il considère comme des âmes qui animent les cieux, mais elles sont dépourvues de la perception du sensible ; elles se situent entre pur intelligible et sensible.
2.3 Averroès
Apparu vers le XIIe siècle, Averroès est la dernière grande figure de l’Aristotélisme arabo-musulman. Il a élaboré un grand commentaire de la métaphysique d’Aristote. Thomas s’est totalement battu contre l’hérésie de l’Averroïsme du monopsychisme en mettant en une scène conflictuelle les lectures d’Averroès à celles d’Avicenne. Ce qui a valu à ce dernier la reconnaissance de celui qui a pu établir en premier de la manière la plus correcte la distinction entre l’être, l’essence et l’existence. Saint Thomas va en jouir abondamment dans ses écrits notamment dans la Somme théologique. Toute la postérité, aussi bien en théologie qu’en philosophie, va se servir de cette distinction sémantique clé pour élaborer leur réflexion sur les preuves de l’existence de Dieu, sur la contingence, la possibilité́ et la nécessité́

3-Platon et le Platonisme au Moyen-Age
Il est indéniable et même au regard des détracteurs que la pensée de ce philosophe grec sur les côtés de l’Asie Mineur répondant du nom de Platon a longuement et manifestement influencé sinon orienté, d’une manière ou d’une autre, les penseurs de son temps jusqu’à l’époque contemporaine. Depuis le 3e, 4e Siècle avant Jésus-Christ, il était déjà considéré comme l’un des philosophes par rapport auquel on devait se situer. Tantôt on reprend ses enseignements à sa façon tantôt on passe au crible du jugement fort souvent très sévère jusqu\’à en être divorcé. Si pour certains comme Aristote, Epicure ou les stoïciens sa pensée a été l’objet de critique systématique et même très acerbe pour d’autres comme Plotin, les Pères de l’Eglise, Platon a été le philosophe idéal, une source d’inspiration hyper importante. Sa pensée s’avérait tellement d’une grande importance, il a été réclamé par de nombreux courants philosophiques, mystiques ou religieux. La richesse et la profondeur de ses divers dialogues, les nombreuses apories examinées, les questionnements s’ouvrant sur de nouveaux débats sont entre autres tout ce qui constitue la source de ces divergences d’interprétation. Ce qui laisse entrevoir une forme d’influence qui portait plus d’un à s’intéresser à ses œuvres.
Bon nombre de doctrines philosophiques sont imprégnées du Platonisme. Depuis l’antiquité tardive en passant par le moyen-âge, la philosophie de la Renaissance et même jusqu’au réalisme métaphysique contemporain, l’œuvre de Platon n’a pas été sans effet dans la formulation de la pensée des grands tenants de ces courants philosophiques.
Le Platonisme est donc la doctrine philosophique de Platon. Nous devons reconnaitre que l’œuvre de Platon ne fut connu dans l’univers latin que tardivement. Jusqu’au Moyen-Age, on n’a connu qu’une infirme partie des œuvres platoniciennes. Le Contenu essentiel de la pensée de Platon réside dans la Théorie des Idées. Le point névralgique de ce courant de pensée réside dans cette considération que le vrai monde, le monde réel est celui des idées absolues, par opposition au monde sensible, qui est celui des ignorances. Dans l’œuvre de Platon se trouve posé pour la première fois un ensemble de problèmes qui intéresseront tous les courants de pensée ultérieures. C’est grâce au commentaire écrit sur le Timée par un certain Calcidius que le Moyen-Age, en occident, a connu la pensée de Platon. C’est la traduction latine de Marsile Ficin qui révéla en 1483-1484 pour la première fois au monde occidental l’ensemble de l’œuvre Platonicienne.

3.2 Influence de la Philosophie platonicienne au Moyen-Age
Platon avait marqué une très grande influence sur la pensée de son temps aussi bien après. Il fut une source d’inspiration mais aussi objet de critiques de plus d’un. L’œuvre de Platon a connu un essor exceptionnel en raison de l’importance que l’on attribuait à l’académie et de la qualité de la transmission du savoir transmis.

3.2.1- Influence du Platonisme sur la Pensée des Pères et de quelques grands maitres médiévaux
Le Platonisme a toujours été pour les Pères de l’Eglise une source d’inspiration considérable pour assoir leurs réflexions théologiques. Au IIIe siècle après Jésus Christ, les grands thèmes de Platon vont refaire surface particulièrement avec Plotin. « Plotin a revécu en Plotin » nous dit Augustin. Plusieurs des textes de Platon sont comparables avec la Bible. Dans Timée, l’une des œuvres les plus alléchantes de Platon, nous lisons ceci : « Découvrir l\’auteur et le Père de cet univers, c\’est un grand exploit, et quand on l\’a découvert, il est impossible de le divulguer à tous ». Cette Phrase revient comme référence très souvent dans les œuvres de Justin, Clément d\’Alexandrie, Origène chez les Grecs, Tertullien chez les latins : primo pour étayer la thèse que Dieu a tout créée à partir de rien, ex nihilo, secundo pour reconnaitre en Dieu le Père Créateur reconnu comme tel au fil du temps avec le développement progressif de la Révélation. Le Platonisme fait un travail de préparation au Christianisme. « Qui t’envoie à Platon envoie à l’Eglise » (Ficin). Il savait, pense-t-on consulter l’enseignement de Moïse et des prophètes qui n’ont pas manqué d’alimenter sa réflexion surtout dans la quête de la Vérité sur l’homme sur Dieu et sur le monde.
Nombreux sont les Pères de l’Eglise qui ont eu recours à des présupposés néoplatoniciens pour expliquer certains dogmes de foi. La structure logique et ontologique du Dogme de la Trinité par exemple nécessitait un recours sinon un point de départ du développement des réflexions logiques et tout au moins du langage de la philosophie notamment du Platonisme.

3.2.2 Augustin (354-430)
L’un des plus grands tenants des Pères de l’Eglise qui a marqué toute l’histoire de la pensée médiévale et qui a eu recours au Platonisme fut l’Évêque d’Hyponne Saint Augustin. En raison de sa formation en culture ancienne, il a repris de nombreux éléments du Platonisme pour assoir sa réflexion (comme dans Phèdre et Phédon) sur la divinité, la restauration et l’immortalité de l’âme quoi qu’avec des mouvements inverses comparativement à Platon. (Cf. Augustin d’Hippone, Questio de ideis, éd. et trad. fr. de G. Madec, Revue thomiste 103, 2003, p. 358-362).
Bien qu’il ne soit pas du Moyen-Age à proprement parler, Augustin est l’un des Pères les plus lu et étudié dans toute l’histoire de la pensée de l’Église. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, disait qu’il était « Celui dont les Eglises ont le plus appris, après les Apôtres ». A Milan, Saint Augustin va rencontrer la philosophie Néo-platonicienne à travers Saint Amboise, qui le fascinait et qui va le conduire jusqu’au chemin de la Conversion. Saint Augustin a essayé de sauver la théorie des idées éternelles de Platon. A son sens, la foi est la seule porte d’accès à la connaissance quasi surnaturelle de Dieu. Les idées martèle-t-il préexistaient dans la pensée de Dieu depuis la genèse des temps. C’est dans le Néoplatonisme que Saint Augustin avait trouvé les arguments pour combattre le dualisme manichéen. En bon manichéen, Il réhabilité le dualisme platonicien sur les réalités du monde sensible de du monde intelligible. Il a christianisé Platon. Pour Augustin, osons-nous dire, le Néoplatonisme est comme une préfiguration du Christianisme. Ses approches aussi authentiques qu’elles puissent se présenter lui font jouir d’une autorité incontestable. Aussi tous les Théologiens vont-ils s’abreuver à sa source pour puiser les principes de la Sagesse chrétienne.

Toutefois, nous devons tout aussi reconnaitre que Saint Augustin n’ignorait pas les limites du Platonisme et du Néoplatonisme nonobstant les présupposés qui serviraient de point d’appui pour la théologie chrétienne. L’une des plus grandes faiblesses du Néoplatonisme c’est l’achoppement au Mystère de l’Incarnation rédemptrice du Verbe pour la simple et bonne raison que l’incarnation implique nécessairement comme l’étymologie l’indique « Prendre chair », autrement dit prendre corps au monde sensible, un monde corrompu. La condescendance de Dieu et par conséquent l’humilité de Dieu sont remises ici en question.

3.2.3 Origène
Avec la traduction latine des œuvres de Platon, une autre figure de proue du nom d’Origène va lui aussi se recourir aux dispositifs néoplatoniciens de manière significative. Il va jusque dans la conception néoplatonicienne pour récupérer l’idée de la procession et de la relation, de l’un et du multiple, du déterminé et de l’indéterminé pour les appliquer à la communion trinitaire plus particulièrement au rapport du Père et du Fils. Cette logique de procession et de relation implique toute une dialectique de l’unité indispensable dans la Trinité : un Dieu Un et Trine.

3.2.4 Boèce (480-524)
Influencé par Platon, Aristote, Cicéron et Porphyre, Boèce va à son tour influencer la majeure partie de la philosophie médiévale. Le premier grand projet de Boèce fut celui de Cicéron : inculturer la pensée grecque à Rome. Il a procédé à la traduction en latin de toutes les œuvres de Platon et d’Aristote. Outre des réalisations ou des traductions sur la logique d’Aristote, Boèce, dans Consolation de la Philosophie, une œuvre littéraire très répandue, va aborder les questions les plus délicates de la Théodicée. Dans cette œuvre d’inspiration néoplatonicienne, il précise que la quête de la sagesse et l’amour de Dieu sont comme les vraies sources du bonheur. Nous conviendrons alors de l’importance d’une telle œuvre dans le grand combat de prouver rationnellement l’existence de Dieu et pourquoi pas épiloguer sur la réalité de la Providence et du mal. Bref Boèce a mis toutes les ressources de la philosophie et de la logique au service de la clarification des dogmes religieux. En bon philosophe et théologien, il a rédigé un ensemble de traités de théologie catholique qui ont profondément imprégné l’ensemble de la pensée médiévale.

Dans l’histoire de la pensée médiévale, la métaphysique occupe une place cardinale. Les thèmes utilisés par la métaphysique enrichissent le vocabulaire de la théologie. Or on ne pouvait pas parler de métaphysique sans se référer à Platon et à Aristote auxquels on attribue la paternité de la métaphysique.

4- Aristote et l’Aristotélisme à l’époque médiévale
Un changement considérable dans la pensée occidentale a été opéré avec l’entrée du corpus aristotélicien dans les Universités fraichement renouvelées. C’est à cette époque qu’on a pu aussi enregistrer la distinction des facultés et l’organisation du cursus. Plusieurs grandes questions ont été débattues. Le souci premier était de décrypter avec l’aide de la raison l’origine première de toute chose. Il a écrit un ouvrage intitule Autour de la philosophie, qui est une critique de la théorie platonicienne des idées. Comme disciple il va réfuter les deux principaux arguments du maitre. Pour lui, il n’y a qu’un seul monde. Il n’y a pas un monde des idées et un monde sensible. Il n’y a pas une distinction fondamentale entre l’existence et l’essence. A l’inverse de Platon, il a une démarche empirique, c’est-à-dire il cherchait à classer les phénomènes après les avoir observés.

Aristote est le premier philosophe à avoir opposé une organisation des savoirs qui a encore des retombées positives jusqu\’à aujourd’hui La connaissance ne s’obtient que par la raison, la pensée, l’élévation de l’esprit. L’essence se trouve en chaque chose même. C’est à dire chaque définition se trouve au sein même de chaque être. Ce n’est pas quelque chose d’extérieur. D’où il distingue en chaque être la matière et la forme. On peut à ce moment conceptualiser. On arrive à extraire la forme de chaque objet du réel. Cette conceptualisation ne vient pas d’un monde extérieur, du monde des idées mais de l’objet lui-même, du réel lui-même. On arrive à identifier la matière de la forme. Rien n’est dans l’intelligence qui ne provienne des sens. Cette approche va à l’encontre du dualisme de Platon. L’homme est né avec cette capacité de conceptualiser, de pouvoir extraire de chaque chose la forme de sa matière.

4.1 La pensée médiévale, une pensée largement influencée par la doctrine aristotélicienne
Au XIIIe siècle, l’occident a subi un véritable choc culturel avec l’arrivée de la traduction latine du corpus aristotélicien et aussi des commentaires des disciples arabes comme Al Fârâbî, Avicenne, Averroès. Le syllogisme, pratique courante de la scolastique, a été formalisé par Aristote. Laquelle pratique servait comme l’une de fer de lance ou des argumentations utilisées par les médiévaux pour démontrer certaine thèse.
Il est aussi important de noter que vers le XIIIe siècle on a constaté une appréciation particulière pour l’aristotélisme. Il a eu un déplacement du centre d’intérêt platonicien en faveur de l’Aristotélisme. Cette période de l’histoire du Moyen-Age a été largement influencée par l’Aristotélisme. Aristote était même devenu la référence intellectuelle la plus notoire et même obligée des philosophes et des théologiens. Même les philosophes néo-platoniciens étaient même considérés comme parmi les plus grands commentateurs d’Aristote, les doctrines aristotéliciennes devant servir de préambule à l’enseignement de la philosophie de Platon.
Par ailleurs, si au 3e siècle Origène a eu recours à la conception platonicienne pour élaborer sur la notion de relation, au IVe siècle les Pères cappadociens comme Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze vont reprendre à leur façon la doctrine de la consubstantialité des personnes de la Trinité, établies par le concile de Nicée (325), et vont développer de manière très consistante la notion de relation à partir de la distinction aristotélicienne entre ousia et hupostasis, comprise comme la différence entre la substance première et la substance seconde. La Trinité exprimerait ainsi une seule ousia en trois hypostases. Ils ont eu recours également à des schèmes néoplatoniciens afin d’expliquer la double nature du Christ. (Cf. Grégoire de Nazianze, Discours, 29, 16 : SC 250. Cf. Daniélou, 1944 ; Moreschini et Menestrina, 1992).

4.2 Influence sur la Pensée des Pères
Grâce aux traductions des œuvres d’Aristote redues accessibles par la lecture et le commentaire des philosophes musulmans, comme Avicenne, Al Gazali, Averroès, le monde de la pensée arabe avait introduit un grand dialogue avec les philosophes chrétiens de l’occident. Nous citons entre autres penser Saint Thomas d’Aquin, Saint Bonaventure. Nous nous proposons ici de décrypter l’arrière fond de la pensée aristotélicienne chez ces quelques grandes figures emblématiques, qui ont pu marquer toute la pensée médiévale.

4.2.1 Albert le Grand (1200-1280)
Albert le Grand est considéré comme le plus grand commentateur médiéval d’Aristote. Il enseigne Aristote épuré des commentaires arabes tout en s’inspirant également des dogmes de l’Eglise. Il a comme élève favori Thomas d’Aquin. Tout en restant attaché au Platonisme et le Néo-platonisme qui avaient dominé dans la première période de la scolastique, il a largement montré un intérêt particulier pour la doctrine d’Aristote. Il était même considéré comme un Aristotélicien militant. Il amorçait déjà le dialogue de la Philosophie avec la théologie. Il avait le même projet que Boèce : Transmettre Aristote aux Latins ». Son œuvre embrassait toutes les dimensions du savoir philosophique et théologique au Moyen-Age. C’est avec l’enseignement de ce géant penseur que se préparait déjà le Génie de toute l’histoire de la pensée théologique : Thomas d’Aquin.

4.2.2 Saint Thomas d’Aquin (1225-1274)
Saint Thomas a fait preuve d’une extraordinaire ouverture d’esprit aux philosophies de l’Antiquité notamment à l’Aristotélisme et la science arabe. Le philosophe pour Saint Thomas thématise le monde dans une recherche de principe absolu et la théologie répond au désir naturel présent dans l’être humain. Du côté de Saint Thomas tout comme du côté de Saint Augustin, il existait manifestement un processus de christianisation de l’Aristotélisme et du platonisme. Saint Thomas christianise Aristote de la même façon que Saint-Augustin avait christianisé Platon. Le thomisme est comme la synthèse du christianisme et de l’Aristotélisme. Saint Thomas connaissait les traductions latines des d’Avicenne. Ce dernier a repris l’essentiel de la philosophie d’Aristote en élaborant dans un langage propre sur les binômes des notions d’Acte et de Puissance, de matière et de forme, d’essence et d’existence. Chez lui Dieu est la fois une existence, un principe et une fin ; tel est le résumé succinct de la Somme théologique.
Pour l’auteur de la Somme théologique, la philosophie et la théologie se tendent toutes deux vers la vérité. Elles se diffèrent seulement par une inversion du point de départ des études. Si la philosophie part des êtres créés pour s’élever à la connaissance de l’Etre incréé, la Théologie par contre commence par les données de la Révélation; elle part de Dieu. C’est d’ailleurs Dieu qui se révèle à l’homme. Elles se diffèrent aussi par leur outil ainsi que par leur méthode. La thèse de Thomas d\’Aquin est que foi et raison ne peuvent se contredire car elles émanent toutes deux de Dieu; la théologie et la philosophie ne peuvent donc pas parvenir à des vérités divergentes. Si Thomas sépare la philosophie t la théologie c’est pour les mettre en face dans une dialectique féconde en refermant l’idée d’être.
Dans la Somme Théologique, l’une de ses œuvres les plus sublimes, Saint Thomas essaie de prouver l’existence de Dieu. Inspire d’Aristote, il passe par cinq voies ou méthodes pour expliquer rationnellement l’existence de Dieu : « Mouvement, causalité, Contingence, gradation, Ordre ».
La première voie la plus manifeste est celle du mouvement. C’est la preuve physique essentiellement héritée d’Aristote et d’Averroès. Dans cette approche, Thomas démontre que tout ce qui est en mouvement est bien nécessairement mû par autre chose, autrement dit par un moteur premier. A son sens, il est certain que le monde sublunaire est défini comme la sphère du changement et du mouvement. Si donc tout ce qui donne le mouvement est lui-même mû, il faut qu’il soit mû par autre chose et celui-là à son tour par autre chose encore. Or on ne peut ici remonter à l’infini, car sinon il n’y aurait pas de premier moteur et donc pas d’autre moteur non plus, puisque les moteurs secondaires ne meuvent que dans la mesure où ils sont eux-mêmes mus par un moteur premier. Il est donc bien nécessaire d’arriver à un Premier moteur qui n’est lui-même mu par rien. Mais c’est là ce que tout le monde entend par Dieu.

Conclusion
Somme toute, le Moyen-âge a été l’une des périodes les plus riches de toute l’histoire de la philosophie. C’était un monde complexe où la diversité des idéologies et des pensées se confrontaient. Les philosophies grecques, les commentaires juifs et arabes, la pensée des Pères grecs et latins constituent pour ainsi dire le patrimoine intellectuel du monde médiéval. Relier le message chrétien à la pensée grecque telle a été l’une des grandes préoccupations et l’un des objectifs majeurs des penseurs du Moyen-âge. Ils ont toujours eu recours aux éléments élaborés par la tradition pensée grecque plus précisément par la tradition platonicienne.
Les philosophies Platonicienne et Aristotélicienne avaient toujours quelque chose à proposer à presque tous les domaines de la science, qui d’ailleurs constituait traditionnellement, le paysage de la philosophie. La philosophie englobait tous les domaines de la Science. Elle était comme un savoir encyclopédique.
A la faveur de toutes ces considérations nous osons affirmer que le christianisme n’a jamais existé sans la philosophie. Le Moyen-âge en donne témoignage. La philosophie avait toujours quelque chose à proposer à la Théologie, et cette dernière des éléments de réponses pouvant assouvir aux soifs de vérité. Elles partent toutes deux à la recherche de la Vérité et constituaient comme disait le Pape Jean Paul II les deux ailes permettant à l’être humain de s’élever à la hauteur de la Vérité. Au point que vers la deuxième moitié du XIIIe siècle, la philosophie était considérée comme une étape préparatoire, une propédeutique à l’étude de la théologie. La philosophie était à ce moment considérée comme une science à la fois théorique et pratique. C’était aussi le moment de poser la problématique du rapport entre la vie spirituelle et la raison tout en cherchant à relever la puissance et les limites. Elle a été donc ramenée aux rangs des arts libéraux. Elle donne les prérequis pour une meilleure compréhension de la Théologie. Elle fournit non seulement le langage mais indique aussi des sphères de réflexions théologiques.
En outre, à parler des vertus cardinales (la tempérance, le courage, la justice, la sagesse) par exemple n’ont pas été originellement des vertus chrétiennes. Mais elles ont été récupérées dans la philosophie grecque auxquelles on ajoutait les vertus évangéliques ou théologales : La foi, l’Esperance et la Charité.
Platon et Aristote étaient donc de véritables sources d’inspiration, deux puits de savoir où tous les philosophes de l’Orient et de l’occident venaient puiser pour accoucher leur compréhension des différents aspects de la réalité de l’existence. Aussi cette influence s’exerce t’elle sur toutes les disciplines de la connaissance que du domaine de la foi; plus particulièrement au Moyen-âge. Quelle relecture aujourd’hui du Platonisme et de l’Aristotélisme pour une théologie qui puisse réunir et garantir une paix et une entente sincère entre les peuples dont les conflits sont à base de religion?