TSA et neurotypique

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, de nombreux modèles neuropsychologiques explicatifs du TSA ont apparu (Lafontaine, 2015). Mais, malgré cela, un modèle conceptuel cohérent en mesure d’intégrer les divers déficits entre eux et avec les diverses manifestations cliniques n’a pas encore émergé (Frith, 2003 ; Surian, 2002). La théorie du déficit des fonctions exécutives est considérée l’une des théories neuropsychologiques principales explicatives des déficits caractérisant le TSA ou le travail de Damasio et Maurer (1978) représente l’une de ses sources. Ces deux chercheurs ont relié les caractéristiques de l’autisme à celles observées chez les patients avec des lésions frontales. Cette approche suppose que les personnes ayant un TSA ont un problème au niveau des FE.

Effectivement, dans la revue de littérature sur les FE dans l’autisme conduite par Hill (2004), les chercheurs ont établi l’altération de deux sous domaines, la planification et la flexibilité. Quant à l’inhibition, les autistes n’en montrent pas des déficits (Russell, 1997). Malgré que la corrélation entre le trouble de ces fonctions et le déficit de l’interaction sociale repérée chez les autistes n’a pas été confirmée jusqu’à présent (Kenworthy et al., 2008), le trouble des FE peut être une explication théorique valide de la symptomatologie autistique, surtout en ce qui concerne les comportements répétitifs et les intérêts restreints (Kenworthy et al., 2008 ; O’Hearn et al., 2008).

Concernant la mémoire de travail et malgré que les études neuropsychologiques se succèdent à ce propos depuis les travaux de Hermelin et O’connor (1970), il n’est pas encore clair dans la littérature si les personnes autistes présentent réellement ou non des problèmes dans cette fonction, car les résultats sont contradictoires (Leclerc, 2016). Ces contradictions tiennent à la variabilité des tâches utilisées pour mesurer la MDT chez ces personnes ainsi que les différences d’âges des participants aux études (Happé et al., 2006 ; Luna et al., 2007). S’ajoute à cela l’hétérogénéité de la population, car il n’existe pas un profil neuropsychologique « standard » des personnes avec TSA (Marcaggi et al., 2010) et aussi le fait d’inclure des autistes ayant des niveaux intellectuels très variables (Vogan et al., 2014). Certaines études ne mettent pas en évidence des perturbations de la MDT, alors que d’autres en confirment (Marcaggi et al., 2010). Russel (1997) avance que les déficits dans les fonctions exécutives (qui incluent la MDT) pourraient expliquer en partie les difficultés que présentent les enfants avec TSA. Les déficits de la MDT et

de l’inhibition pourraient expliquer en grande partie les problèmes observés dans la vie quotidienne de ces enfants (Gilloty et al., 2002), ces deux fonctions influencent le développement des autres (Pellicano, 2012a), car elles se développent même avant la flexibilité cognitive qui est la FE la plus complexe (Huizinga et al., 2006). Les déficits de la MDT chez les personnes autistes semblent entrainer de nombreux problèmes liés à la régulation du comportement, la flexibilité mentale, le raisonnement abstrait (abstrait thinking), la concentration et l’attention soutenue (Hughes et al., 1994 ; Ozonoff & Mc Evoy, 1994 ; Ozonoff et al., 1991). De même, Gilotty et al. (2002) corroborent dans leur étude que les performances de la MDT chez les sujets autistes sont négativement corrélées avec les problèmes d’adaptation, de comportement, de communication et de socialisation.

À cet effet, Kercood et al. (2014) ont réalisé une revue de littérature incluant 24 études ayant évalué la MDT en utilisant des tâches neuropsychologiques et ont comparé les performances entre les personnes avec TSA et les neurotypiques. Une grande partie de ces études a rapporté des performances faibles chez les sujets autistes comparativement aux personnes NT. En effet, les personnes avec TSA commettent plus d’erreurs dans les tâches, ils ne penchent pas vers l’utilisation des stratégies et leurs performances tendent à diminuer lorsque la tâche est complexe ou comporte une haute charge cognitive. En outre, de nombreuses études ont démontré le déficit du centre exécutif chez les personnes avec TSA (Ozonoff et al., 1991 ; Prior & Hoffman, 1990 ; Rumsey & Hamburger, 1988).
Dans le même contexte, nous citons les travaux de Minshew et son équipe (2001, 2005) portant sur les capacités mnésiques d’adultes autistes de haut niveau et Asperger, qui leur ont permis de développer un modèle du TSA appelé « trouble de traitement des informations complexes ». En appliquant ce modèle sur la MDT et en se référant au modèle de Baddeley, Minshew et son équipe ont conclu une préservation de la boucle phonologique et une atteinte préférentielle du CVS et cela dépend de la complexité du matériel (Marcaggi et al, 2010). Garcia et Sala (2002) confirment que les individus avec TSA montrent des moindres performances dans la double tâche en comparaison avec une seule tâche. Dans une autre étude, Ozonoff et ses collègues (2001) ont utilisé une tâche de MDT spatiale pour évaluer la performance des participants en fonction de différentes charges mnésiques. Les participants avec TSA et les NT devraient retenir 1, 2 ou 5 localisations spatiales de formes géométriques colorées. Les deux groupes ont réussi la tâche, alors que dans d’autres études (Landa & Goldberg, 2005 ; Steele et al., 2007) où les participants devraient mémoriser plus que 6 ou 8 items, les sujets avec TSA ont montré des performances inférieures par rapport aux sujets NT. Des études plus récentes utilisant une batterie de tests mnésiques passés par des enfants et adolescents avec TSA de haut niveau ont révélé chez eux une atteinte de la MDT spatiale, alors que la MDT verbale (séquences de lettres et de chiffres) était intacte (Gras-Vincendon et al., 2008).

Les études en IRMF menées sur la MDT dans le TSA ne sont pas nombreuses (Molderez, 2018). Or, certains chercheurs ont découvert une activité cérébrale anormale chez les personnes ayant ce trouble lors de la réalisation des tâches de la MDT (Koshino et al., 2005, 2008). Silk et al. (2006) ont révélé aussi un niveau d’activation moins élevé dans le CPF, plus précisément dans le CPDL, le cortex cingulaire antérieur et le noyau caudé. Ces régions sont connues par leur importance dans la MDT chez les adultes et les adolescents (Barendse et al., 2013). Dans leur étude effectuée en 2005, Koshino et son équipe ont utilisé une tâche de N-Back verbale (composée de lettres évaluant la fonction de la mise à jour) sur des participants avec TSA et d’autres NT, ils ont déduit que le réseau de la MDT des personnes autistes était moins étendu (comportait 8 régions activées), alors que celui des NT comportait 11 régions activées. Les sujets autistes mobilisent davantage l’hémisphère droit et les régions postérieures, suggérant un traitement de bas niveau d’ordre visuo-perceptif, en plus du phénomène de désynchronisation entre les différentes régions cérébrales qui peut limiter le traitement de haut niveau nécessitant l’intégration de multiples processus cognitifs.

Ces résultats semblent relativement en concordance avec le pattern avancé par Minshew (Préservation de la boucle phonologique/atteinte de CVS), puisque les sujets autistes mobilisent plus les régions cérébrales sous-jacentes à la boucle phonologique. Ces mêmes conclusions ont été déduites chez les sujets autistes dits (savants) (koshino et al., 2005). Cela est confirmé aussi par une autre étude conduite par Vogan et al. (2014), chez des préadolescents avec TSA et des participants NT en utilisant aussi une tâche de N-Back mais avec couleurs. Cette étude a dévoilé des différences entre les deux groupes en fonction de l’augmentation de la charge cognitive. Les sujets NT ont recruté les régions frontales et pariétales, alors que les sujets avec TSA ont présenté des activations uniquement au niveau des régions visuelles postérieures du cerveau (Gyrus fusiforme droit et gauche et gyrus occipital médian). Les NT ont présenté une relation linéaire entre l’activité frontale et postérieure et l’augmentation de difficulté de la tâche, alors que cette relation est absente chez les participants avec TSA.
En conclusion, malgré la variabilité des résultats à propos de la MDT dans le TSA (Travers et al., 2001), les déficits de la MDT visuo-spatiale sont souvent rapportés dans ce trouble (Geurts et al., 2004 ; Kenworthy et al., 2008 ; Williams et al., 2005 ; Williams et al., 2006). Mais, les déficits dans la MDT verbale semblent aussi évidents dans les tâches complexes (Willaims et al., 2006). Ces résultats sont en concordance avec les données soulevées par les études en IRMF qui assurent des différences cérébrales en comparant les sujets autistes et les personnes NT telles qu’une diminution de l’activité préfrontale et une communication diminuée entre les régions frontales et pariétales lors de l’exécution des tâches de MDT (Leclerc, 2016).