Validation sujet mémoire: Smart Grid

Le concept des SG, ou de réseaux d’électricité intelligents est mis de l’avant régulièrement depuis quelques années pour justifier des investissements dans différentes technologies qui permettent de moderniser les réseaux d’électricité, tant aux Etats-Unis, en Europ qu’en Asie. Aux États-Unis, un investissement gouvernemental de plus de 2,12 milliards de dollars américains dans les technologies SG a été réalisé en 2017, alors qu’ en Europe plus de 5 milliards d’Euro ont été investis au titre de la même année pour supporter 950 projets de réseaux intelligents dont la majorité concernent des projets de recherche et le développement à hanteur de 57% contre 43% de démonstrateurs, à plus ou moins grande échelle (Source JRC : pour « Joint Research Centre » https://les-smartgrids.fr/), alors qu’en Asie, le chiffre a dépassé 3,4 milliards USD en chine seule contre 0,48 millards USD au Japon (source : https://fr.statista.com/).

Les SG réfèrent à un ensemble d’applications permettant une modernisation des réseaux électriques par l’intégration des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ils peuvent soutenir différents objectifs énergétiques, tant au niveau économique, environnemental et social, qu’en termes de sécurité et de fiabilité du réseau. Les termes SG et réseaux intelligents seront employés comme synonymes dans la présente recherche.

Les priorités dans le développement des SG varient d’un pays à l’autre, selon les besoins énergétiques nationaux. Le développement des SG dépend alors du contexte énergétique sub-étatique ainsi que des circonstances politiques, économiques, environnementales et sociales propres à une région ce qui influencera les acteurs mobilisés, la perception des risques et bénéfices et les priorités dans la mise en œuvre de ces technologies. (Se référer à l’article Stephens et al. Année 2013).

Nous proposons d’étudier le développement des réseaux intelligents au Maroc à travers sa capitale économique dans une perspective de politiques publiques et de développement durable. Cette étude exploratoire est orientée par une question principale : ’’ Quel modèle de développement de SG à adopter pour la ville de Casablanca et quels sont les acteurs impliqués dans la discussion émergente sur les réseaux intelligents au Maroc et comment s’explique leur position respective?’’

Répondre à cette question contribuera aussi à évaluer dans quelle mesure les SG sont développés, au Maroc et ailleurs, dans une perspective de développement durable, prenant en compte à la fois les dimensions économiques, environnementales et sociales d’un choix technologique.

L’intérêt d’étudier les SG d’un point de vue politique est motivé par le fait que différents pays au monde mettent

progressivement en œuvre des politiques publiques, octroient du financement et déploient des projets énergétiques intégrant différentes technologies de réseaux intelligents.
Différents motifs justifient les investissements qui ont cours dans les réseaux intelligents. Aux États-Unis, se sont d’abord les enjeux associés à la fiabilité des réseaux et la sécurité énergétique qui ont motivé le développement des SG, alors qu’en Europe ce sont la production décentralisée d’électricité et le développement durable qui ont davantage guidé ces changements technologiques. (Se référer à la conférence de Frédéric Bauchot et Benoit Marcoux : Les visages de Smart Grid dans le monde)

Le Maroc ne fait pas exception à cette tendance et a compris, comme beaucoup d’autres pays émergents ou en développement, dont la Chine et l’Inde, que la lutte contre le changement climatique représente une véritable opportunité pour se positionner sur une trajectoire de croissance verte. Cette croissance verte consiste à favoriser la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être (Source : Rapport OCDE 2011). Pour ce faire, elle doit catalyser l’investissement et l’innovation qui étaieront une croissance verte et créeront de nouvelles opportunités économiques ». Pour cela un nouveau style de vie marquant rupture avec les modes de production et consommation conventionnelle et porteur du changement doit être adopté. Il nécessite une recherche fondamentale plus importante, ne peut être valorisé qu’à moyen ou long terme, comporte une part d’incertitude. Il induit en retour des retombées accrues en termes de compétitivité, étant généralement à l’origine de nouveaux produits, services ou métiers. Les énergies renouvelables, la chimie verte, les « smart grid », les véhicules électriques en constituent des illustrations.

De plus, différents acteurs investissent ce domaine émergent, avec des motivations et des visions variables. Le développement des réseaux intelligents intéresse les opérateurs d’électricité en premier lieu (appelés aussi Gestionnaire de Réseaux : GRD), les ministères et départements gouvernementaux, les acteurs industriels (fabricants de technologies SG, firmes spécialisées dans les TIC et Moyens de stockage), le milieu de la recherche et de l’’innovation, les développeurs et investisseurs privés dans les projets énergétiques ainsi que les groupes sociaux et environnementaux. Ces derniers s’intéressent surtout aux impacts potentiels de ces technologies sur la santé et l’environnement. Les motivations pour moderniser les systèmes d’électricité varient donc non seulement d’un État à l’autre, mais également parmi les parties prenantes participant à ce processus de transformation des réseaux électriques.
Jennie C. Stephens, Elizabeth J. Wilson, Tarla R. Peterson and James Meadowcroft (Article – Getting Smart : Climate Change and the Electric Grid, 2013) ont observé qu’avec le déploiement des technologies SG peuvent se manifester des visions concurrentes quant aux motifs et aux finalités de la mise en œuvre de telles technologies énergétiques. Ces auteurs font plus précisément état de deux enjeux, dans le développement des SG, où s’opposent des visions dichotomiques. D’abord, selon les deux auteurs toujours, une tension émerge entre un modèle énergétique orienté vers la centralisation des réseaux d’électricité et la production d’électricité à large échelle et un autre modèle valorisant la décentralisation des réseaux d’électricité afin de promouvoir la production locale ou régionale d’électricité et un plus grand contrôle du secteur énergétique par les communautés locales.

Ensuite, une autre tension s’observe en ce qui concerne le type de changements que la modernisation technologique des réseaux d’électricité pourrait favoriser. D’une part, certains acteurs envisagent que le développement de réseaux intelligents permettra des changements incrémentaux aux réseaux électriques (améliorations ponctuelles sur le réseau et meilleure efficacité énergétique) alors que d’autres souhaiteraient que les SG favorisent des changements radicaux au système de production d’électricité (intégration de nouvelles technologies, électrification des transports, changements de normes, réformes des procédures opérationnelles et du modèle d’affaires, etc.)

La citation suivante (extraite du même article Getting Smart : Climate Change and the Electric Grid, 2013) résume bien cette tension qui émerge entre la vision incrémentale et la vision radicale du développement des réseaux intelligents :

For many actors, SG offers an idealized long term vision, but in practical operational terms it comes down to a steady “smartening” of existing power systems, involving recurring investment and infrastructure upgrades as particular technologies mature and their deployment makes sense within the logic of existing institutional, market and regulatory frameworks. Other actors—especially those interested in climate goals—emphasize the disruptive potential of SG technologies dramatically to transform the way we make and use electricity, achieving a step-change to address multiple energy-related problems

Ainsi, certains acteurs – notamment les grands gestionnaires de réseaux de l’’électricité – favorisent des changements incrémentaux au système énergétique. Ils souhaitent améliorer progressivement les réseaux d’électricité par différentes technologies SG qui vont dans le sens du modèle d’affaires existant. D’autres acteurs, notamment certains groupes environnementaux, regardent plutôt le potentiel transformateur des SG. Ils veulent apporter des changements à plusieurs niveaux – tant au niveau de la production que de la consommation d’électricité-parfois sans évaluer tous les obstacles politiques (changements institutionnels, changement du modèle d’affaires) et sociaux (changements de comportement) qu’impliquent de telles transformations technologiques (Toujours selon Stephens et al.2013)

Ces deux visions divergentes présentées par Stephens et al. (2013) dans le contexte du développement des SG convergent autour de deux modèles de développement différents, voire dichotomiques, du secteur de l’énergie, un premier modèle favorable à des systèmes de production d’électricité centralisés dite (hardpath) et un second modèle qui favoriserait plutôt des systèmes décentralisés de micro -production à partir d’énergies renouvelables appelé (softpath).

JEREMY RIFKIN dans son livre ‘’THIRD INDUSTRIAL REVOLUTION HOW LATERAL POWER IS TRANSFORMING ENERGY, THE ECONOMY, AND THE WORLD’’ confirme cette vision partagée sur l’existence de ses deux modèles :

There’s a lot involved in the weighty decision to build two different smart grids—a centralized, top-down system in the United States and a distributed and collaborative system in the European Union. Industry observers estimate that it will cost approximately $1.5 trillion between 2010 and 2030 to transform the existing US power grid into an intelligent utility network.48 If the smart grid is unidirectional rather than bidirectional in design, the United States will have lost the opportunity to join with Europe in the Third Industrial Revolution and, with it, the prospect of retaining its leadership in the global economy.
À partir de deux visions générales, ou modèles idéaux-typiques, du développement des réseaux intelligents – un modèle hardpath et un modèle softpath – nous cherchons à identifier
quelle vision des smart grids les différentes parties prenantes impliquées dans la discussion émergente sur le développement des réseaux intelligents priorisent-elles et pourquoi ?

Quel que soit le modèle de développement priorisé, nous cherchons également à savoir si les smart grids s’inscrivent dans une perspective de développement durable, intégrant à la fois les dimensions économiques, environnementales et sociales d’un choix technologique ?

Nous analysons ainsi l’émergence de cet enjeu sur l’agenda politique en fonction des différentes visions priorisées par les parties prenantes au débat sur le développement des réseaux intelligents au Maroc et en particulier pour la capitale économique en tant que ville pilote.

La ville de Casablanca et à travers La Lydec, le délégataire en charge de la gestion des réseaux de l’électricité a commencé le déploiement de différentes technologies de réseaux intelligents en fonction de besoins qui lui sont propres. Comme nous le verrons au prochain chapitre, cette ville priorise à ce jour l’automatisation des équipements sur le réseau d’électricité, le déploiement d’une infrastructure de mesurage avancé et envisage une réduction des pointes de demande d’électricité. La ville de Casablanca représente un cas d’étude intéressant en raison de l’importance de son infrastructure permettant d’assurer la distribution de 4200 000 000 kWh annuellement auprès de plus de 5 millions habitants et la zone industrielle la plus large qu’elle abrite. Lydec a aussi mis un premier pas à travers une plateforme de comptage Smart lancée depuis 2015 et qu’elle continue à généraliser. Lydec influence considérablement le développement des réseaux intelligents dans cette ville dans un objectif régional qui est de faire de Casablanca une ville Smart et écologique.
C’est dans ce contexte structurel particulier qu’’il faut analyser comment les différents acteurs Casablancais intéressés par le développement des réseaux intelligents se mobilisent afin de mettre à l’agenda cet enjeu selon leurs priorités et leur vision de ces technologies énergétiques. Différents enjeux économiques, sociaux et environnementaux mobilisent ces acteurs qui, chacun à leur manière, identifient différents bénéfices ou perçoivent certains risques à l’égard des réseaux intelligents.

Ce mémoire de maîtrise est organisé en quatre chapitres :

Au premier chapitre, nous définissons d’abord le concept de SG et présentons ensuite une revue de la littérature en sciences sociales portant sur les enjeux du développement des SG. Ce chapitre est complété par une recension des différentes initiatives de réseaux intelligents à l’international et en cours à Casablanca.
Au deuxième chapitre, nous détaillons le cadre conceptuel, la question de recherche, les hypothèses et la méthodologie de ce mémoire.
Au troisième chapitre sont présentées les résultats de l’analyse médiatique qui permettent de décrire le développement des réseaux intelligents à Casablanca et de saisir les débats en commun le développement des technologies SG, tels que rapportés par les médias écrits.
Au quatrième chapitre, nous présentons les résultats des seize entretiens semi-dirigés réalisés auprès d’acteurs impliqués dans la discussion sur le développement des SG à Casablanca.

Enfin, une conclusion permettra de faire une synthèse des différents résultats qui ont émergée, de cette recherche.