La relation soignant-soigné

Théories professionnelles :

Soins relationnels : la relation soignant-soigné
Pour appréhender les enjeux de cette relation, plusieurs définitions sont importantes :

Définition du soignant :

Définition de Walter Hesbeen : « Le terme de soignant regroupe l’ensemble des intervenants de l’équipe pluridisciplinaire, qui ont tous pour mission fondamentale de prendre soin des personnes, et ce quelle que soit la spécificité de leur métier. » C’est « un professionnel dont l’action est marquée par l’intention de prendre soin des personnes et pas seulement de faire des soins »

Définition du soigné :
Définition du Dictionnaire Humaniste : Une « personne en situation de besoin d’aide pour une durée plus ou moins déterminée. Elle ne parvient plus à exercer momentanément son autonomie, mentale ou physique, et peut ne plus être en mesure de décider pour elle-même. »

Relation soignant/soigné

Définition du Dictionnaire encyclopédique des soins infirmiers :

La relation soignant-soigné est « Le lien existant entre deux personnes de statut différent, la personne soignée et le professionnel de santé. Cette relation nécessite trois attitudes : – un engagement personnel de l’infirmier (…), – une objectivité (…), – un minimum de disponibilité. La relation soignant/soigné n’est pas une relation de salon, elle a pour but l’aide et le soutien de la personne soignée jusqu’à son retour à l’autonomie. »
Monique Formarier, formateur ARSI, dans son article La relation de soins : concepts et finalité, évoque la spécificité de la relation soignant-soigné, notamment de la relation d’aide, l’aspect codifié par nature de cette relation. En effet, la posture professionnelle du soignant et le statut que le métier lui confère impliquent une relation structurée, adaptée et constituée d’éléments enseignés en plus du savoir-être inné. Ses recherches montrent la place prépondérante de l’empathie, des bénéfices pour le patient et pour le soignant, car elle facilite et fluidifie la prise en soins, que ce soit relationnel ou technique par une adhésion . Elle cite Jorland qui explique : « « Les résultats montrent que plus les infirmières font preuve d’empathie, moins les patients sont anxieux, dépressifs ou furieux. Autrement dit, non seulement l’empathie favorise le traitement thérapeutique, mais elle facilite la relation thérapeutique. En faisant l’effort de comprendre leurs patients, les infirmières se facilitent la tâche. »Jorland 2006 (18) »

L’auteure indique également que la prise en compte des besoins tels que Virginia Henderson ou Maslow les définissent est une limite dans la prise en soins holistique. Pour l’auteure, cette approche empêche la considération de l’unicité du patient,

et généralise les actions de soins, les « standardise ». Elle dissocie besoins et demandes du patients, souvent implicites, et nécessitant un déchiffrage du soignant. L’infirmier est l’interlocuteur de référence du patient, l’interface entre le médecin et lui. Outre le fait de prodiguer les soins, l’infirmier informe, dans la limite de son champ de compétences, rassure, explique. Le temps de soins est propice en théorie à l’instauration de la relation. Pourtant, comme le décrit Monique Formarier, des freins s’imposent au soignant, réduisant peu à peu sa prise en soins à un cadre technique.

Ces limites aux soins relationnels sont en partie institutionnelles et conjoncturelles : la charge de travail et le manque de moyens privent soignants, et surtout, patients, d’un temps relationnel précieux pour les deux parties, et pouvant provoquer frustration, repli, et mécanisation des soins. Les soins relationnels nous sont d’ailleurs enseignés au cours de notre formation, et font partie intégrante de notre rôle infirmier. Pourtant, les constats pratiques montrent que de plus en plus de soins relationnels sont délégués, comme l’indique Monique Formarier :
« Dans son article « Infirmières : des pratiques en redéfinition » la sociologue F. Acker 2005 (30) qui a mené des recherches sur le travail infirmier, constate qu’une partie de plus en plus importante des soins relationnels n’est plus assurée par les infirmières des services qui pratiquent les soins techniques, mais par des infirmières spécialisées, des psychologues, des bénévoles. »

En service de chirurgie digestive, par exemple, l’infirmière stomathérapeute est souvent l’interlocutrice vers qui le patient va évoquer les difficultés émotionnelles ou poser des questions en rapport avec son vécu présent et ses appréhensions futures. Alors que cette professionnelle n’est pas présente en permanence dans le service comme le sont les infirmiers du service.

Le rôle de l’infirmier en service est capital pour repérer les différents états émotionnels des patients, leur vécu face à la maladie et à la stomie afin de les prendre en soins de manière adaptée, et de proposer un soutien et une aide appropriée à chaque patient.

Les résultats d’une étude « mettent en évidence l’importance du maillage image du corps, estime de soi et anxiété sur la qualité de vie et notamment la nécessité de prendre en compte ces variables dans la relation de soin. »

Le patient, pour puiser dans ses ressources personnelles pour surmonter l’épreuve de la stomie, a besoin de soutien, d’informations et d’accompagnement :
« Il convient d’apprendre à s’adapter face à une stomie par de multiples stratégies défensives favorisées par l’éducation et le soutien des infirmières et du soutien affectif et l’encouragement des familles, en aidant le patient à retrouver un sens de l’autonomie partielle. L’éducation avant et après la chirurgie doit être un processus continu. »

Dans son article, Monique Formarier cite Carle Rogers, pour qui la relation d’aide nécessite de la part du soignant de se poser dix questions : « 1) Suis-je authentique ? 2) Ai-je bien conscience de moi ? 3) Suis-je capable de relations positives ? 4) Ai-je la force d’être distinct ? 5) Ai-je assez de sécurité intérieure pour laisser l’autre libre ? 6) Ma compréhension empathique, jusqu’où peut-elle aller ? 7) Puis-je accepter l’autre tel qu’il est ? 8) Puis-je lui apporter la sécurité dans notre relation ? 9) Suis-je sans jugement ni évaluation ? 10) Puis-je voir l’autre comme une personne en développement ? » Rogers 1961 ».
Comme évoqué dans cet article, le patient doit être « sujet de soins » et non « objet de soins ».

Cependant, il existe des freins à la relation soignant-soigné, notamment issus de la gestion des émotions par le soignant, son rapport au corps et à la perception sensorielle.

Dans le cas des soins de stomie, les sens du soignant sont sollicités, voire brusqués. Rester impassible et neutre est parfois un défi pour certains soignants, face aux éléments impliqués par la maladie : odeurs, vue des plaies compliquées, réactions des patients, souffrance du patient… Catherine Mercadier, infirmière et sociologue, a écrit un ouvrage intitulé Le travail émotionnel des soignants : Le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné. Elle y recense les situations de soins qui peuvent mettre à mal la gestion émotionnelle des soignants et les difficultés pour eux de trouver la juste distance essentielle à la prise en soins humaine et efficiente. En recueillant les témoignages de soignants , elle cite le dégout au contacts des liquides biologiques, la répulsion, et explique que si certains assument cette répulsion, d’autres expriment une habitude, une acclimatation à la vue, aux odeurs. Pourtant, certaines théories rapprochent ce dégout du danger potentiel de mort que les excrétas évoqueraient. Le soignant, pour préserver le patient et ne pas altérer l’image et l’estime de soi de la personne soignée, et refléter une image non professionnelle, se doit de gérer ses émotions, tout en les acceptant. Et dans certaines circonstances, le relais doit être passé pour éviter des réactions inappropriées face au patient. Pour faire face à la maladie et aux stigmates de cette maladie qui peuvent le heurter, inconsciemment, le soignant peut activer des mécanismes de défenses, processus inconscients permettant de gérer une situation difficile et potentiellement dangereuse émotionnellement. Ces mécanismes sont divers : une banalisation, la dérision, l’esquive, l’évitement, la fausse réassurance, la fuite en avant, l’identification projective, le mensonge ou la rationalisation. Si ils préservent le soignant, ils peuvent être délétères dans la relation de confiance, altérant la congruence et la relation d’aide.

Si le soignant éprouve ces émotions face au corps malade et aux excrétas, quid du patient, qui voit l’évolution du fonctionnement de son corps et subit bien davantage les conséquences de sa maladie ? Durant mes différentes expériences de stage, j’ai constaté des réactions très fortes face à la stomie : des patients qui tournent la tête, mettent un linge sur leur nez et leur visage pour ne pas voir ni sentir, certains patients nous plaignant de faire cette tâche difficile de vidange de la poche de stomie, et disant qu’ils ne pourraient pas faire notre travail, ou culpabilisant de nous faire subir ça (projetant sans doute leur aversion et leur angoisse face à la gestion de leur stomie)… Prendre en considération le vécu du patient, sans prendre sa souffrance mais en tentant de la comprendre, peut favoriser une alliance thérapeutique.

L’équipe pluridisciplinaire est sollicitée pour venir en support de l’infirmier en service, pour une prise en soins complète du patient, et pour faciliter l’acceptation et l’autonomie. Le rôle de l’infirmier stomathérapeute va être fondamental dans l’éducation thérapeutique du patient stomisé. Ce professionnel intervient dès la phase préopératoire, pour préparer le patient et l’informer sur ce dispositif. En cas de stomie en urgence, cette phase de préparation n’est pas possible, rendant encore plus compliquée l’adaptation et l’acceptation.
« Un suivi précoce dès la phase préopératoire, un soutien à long terme, technique et psychologique favorisent une adaptation de qualité. »

Education thérapeutique

Définition de l’HAS : « L’éducation thérapeutique du patient (ETP) vise à aider les patients à gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle est un processus continu, qui fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. »
Pour permettre au patient stomisé de gérer sa stomie, que ce soit d’un point de vue technique que pour sa qualité de vie, développer des compétences d’auto-soins est essentiel. La stomathérapie est une discipline fondamentale en chirurgie digestive. Comme énoncé précédemment, les interventions de l’infirmier stomathérapeute débutent dès la phase préopératoire, et se poursuit après le retour à domicile du patient.
Ses attributions sont multiples.

En amont de l’intervention, si l’intervention est programmée, l’infirmière stomathérapeute va rencontrer le patient, l’écouter, l’informer. Cette rencontre se fait après les rencontres avec le chirurgien. Véronique Bachelet et al expliquent dans leur article Prise en charge infirmière des patients stomisés que ce temps d’échange est primordial pour permettre au patient d’évoquer son ressenti, verbaliser ses émotions et son questionnement. Il consiste également à l’information sur la stomie, les différents dispositifs et à l’assurance de la bonne compréhension par le patient de ces informations. Dans un deuxième temps, un repérage est effectué pour trouver la position la plus adéquate de la stomie, tenant compte de la morphologie du patient, de ses habitudes de vie, et en étant visible et accessible par le patient.

En phase post-opératoire, les auteurs de l’article précédemment cité indiquent qu’une ETP peut être mise en place « dès que le patient regarde sa stomie ». Le stomathérapeute va progressivement faire participer le patient au soin de sa stomie. Le but de l’ETP est donc l’autonomie du patient, par le développement des compétences d’auto-soins. Afin qu’il devienne acteur de sa prise en charge, et qu’il retrouve une certaine indépendance vis-à-vis du monde soignant, puiser dans ses ressources personnelles va être capital.

Pour ce faire, le stomathérapeute fait appel à des « ruses », selon Marine Royer . L’auteur explique que l’autonomie du patient requiert des habiletés pour faire adhérer le patient à sa prise en charge. Le fait de montrer, de manipuler la poche pour la rendre objet familier et pratique, de feindre d’avoir besoin d’aide pour faire participer le patient sont autant de techniques pour atteindre l’objectif que le stomathérapeute se fixe : autonomiser le patient.
Selon les auteurs de l’article Impact psychologique de la stomie sur la qualité de vie des patients atteints d’un cancer colorectal : rôle de l’image du corps, l’estime de soi et l’anxiété, les patients stomisés de manière temporaire ont plus de difficultés d’acceptation, et à retrouver une qualité de vie satisfaisante. Selon eux , « Ces données peuvent s’expliquer par une absence d’acquisition des gestes techniques de changement et de contrôle de la stomie, d’où une moindre
adaptation et autonomisation impactant le niveau et le confort de la qualité de vie » . Donc en analysant ce résultat, on peut en déduire que l’autonomie dans la gestion quotidienne de sa stomie favoriserait l’acceptation de celle-ci.

Cependant, comme nous l’avons appris durant notre formation, la démarche d’éducation thérapeutique ne peut se faire qu’en respectant un processus d’acceptation du patient. Or les interventions des infirmières stomathérapeutes se font très précocement, en post opératoire quasi immédiat. Compte tenu de ce constat, le désir d’autonomie du patient par le soignant est-il compatible avec les différentes phases d’acceptation ?