David Galula

Commetaires sur l’auteur

David Galula (1919 – 1968) :
Saint-cyrien de la promotion « Amitié franco-britannique », le lieutenant Galula participe aux combats de la libération en Afrique du nord, en France puis en Allemagne au sein du 21° Régiment d’infanterie coloniale. Après la guerre, il devient acteur et observateur éclairé des principales guerres révolutionnaires de la deuxième moitié du XX° siècle, notamment en Extrême Orient. Affecté en grande Kabylie au sein du 45° Régiment d’infanterie coloniale, il réussit parfaitement la pacification de son secteur. Chercheur à l’université de Harvard après son départ de l’institution militaire, il a rédigé deux ouvrages sur son expérience et sa conception de la contre-insurrection. La communauté militaire américaine le considère aujourd’hui comme le principal stratège français du XX° siècle.

Synthèse de l’ouvrage

Préface du général Petraeus
Le général Petraeus fait l’éloge de l’ouvrage de GALULA qu’il surnomme « bible » de la contre insurrection. Pour le général, « contre insurrection Théorie et pratique » est «le plus grand et le seul grand livre jamais écrit sur la guerre non conventionnelle». Il apostrophe certains des grands principes émis par Galula: la population forme un centre de gravité, l’importance du renseignement, l’adaptation des forces conventionnelles, la structuration des forces de sécurité locales, la maîtrise de l’information, l’amélioration de l’environnement économique ou le consolidation du pouvoir politique. Le général américain rappelle que l’ouvrage de Galula, dont la lecture est imposée au Command and General Staff College, est la principale source du manuel américain de contre insurrection publié en 2006. Il insiste en précisant que Galula a fait évoluer la doctrine et la mentalité américaine et prédit que son ouvrage sera un jour considéré comme le plus important des écrits militaires français du siècle dernier.

Généralités

Les trois premiers chapitres définissent les propriétés générales de la guerre révolutionnaire, les conditions de la victoire des insurgés et la doctrine utilisée. L’auteur définit la guerre révolutionnaire comme le choc entre insurrection et contre insurrection. Pour lui, l’insurrection forme avec le complot et la révolution un des trois types de prise du pouvoir par la force. Elle est «la poursuite de la politique d’un parti dans un pays donné par tous les moyens possibles». Elle peut apparaitre avant que l’insurgé n’ait recours à la force et se caractérise par une lutte continuée conduite de manière logique avec des objectifs intermédiaires dans le but de renverser le pouvoir qui règne. La particularité principale de la guerre révolutionnaire, dans laquelle

l’insurgé possède l’initiative stratégique, est son mode de combat asymétrique. Si les loyalistes bénéficient d’une supériorité considérable sur le plan des moyens matériels, la situation s’inverse dans le domaine des ressources immatérielles. Fort de la puissance idéologique d’une cause, le rebelle vise à convertir ses atouts immatériels en ressources matérielles. L’auteur distingue deux modèles de stratégie d’insurrection : le «modèle communiste» et le «modèle bourgeois nationaliste». Le premier se caractérise par la création d’un parti, un front uni, un combat de guérilla, une guerre de mouvement puis une campagne de destruction. Le second se partage en une phase de terrorisme aveugle pour faire connaître le mouvement et une phase de terrorisme sélectif destinée à séparer les loyalistes des masses, et à obtenir la complicité passive de la population. Les conditions de la réussite d’une insurrection sont : une cause mobilisatrice, l’existence de failles dans la police et au sein de l’administration du régime loyaliste, un environnement géographique favorable (montagnes, forêts, marais, frontières) et un soutien extérieur. Le centre de gravité pour les insurgés comme pour les loyalistes est la population qui les soutient. Pour Galula, la bataille pour le gain du peuple est la caractéristique capitale de la guerre révolutionnaire. Pour cela, la politique devient une fonction opérationnelle et toute opération militaire doit être planifiée en prenant en compte ses effets politiques et vice versa.

Galula définit 4 lois spécifiques de la contre insurrection :
1. Le soutien de la population est aussi vital pour les loyalistes que pour l’insurgé.
2. Ce soutien s’obtient par l’action d’une minorité active et impose aux loyalistes d’inventer une contre-cause.
3. Le soutien de la population ne s’obtient que si le loyaliste est en position de force, c\’est-à-dire s’il peut s’appuyer sur une organisation politique solidement ancrée dans la population.
4. L’intensité des efforts et la quantité de moyens sont essentielles. Les efforts ne doivent donc pas être dilués dans tout le pays : ils doivent être appliqués successivement à chaque région.
Du point de vue des loyalistes, une guerre révolutionnaire est qualifiée de «froide» quand les activités des insurgés restent dans la limite de la loi et de «chaude» lorsqu’elles deviennent ouvertement illégales et violentes.

Contre insurrection dans la guerre révolutionnaire froide

Dans ce cas, le problème majeur pour les loyalistes est que le danger n’apparaît pas de manière suffisamment visible pour justifier auprès de l’opinion publique l’emploi des moyens appropriés. En effet, la réponse nécessaire pour éliminer l’insurrection serait vue comme excessive par la majorité de la population. Cela laisse au loyaliste quatre modes d’action différents qui peuvent être combinés: 1. il peut agir directement contre les dirigeants de l’insurrection, 2. il peut agir indirectement sur les conditions favorables à une insurrection, 3. il peut infiltrer le mouvement d’insurrection et tenter de le rendre inopérant, 4. il peut renforcer son appareil politique.
Agir directement sur les leaders insurgés est délicat dans les démocraties occidentales ou dans notre démocratie naissante et peut s’avérer contre-productif. Une telle action devra être essayée lorsque la cause du rebelle n’est pas populaire, si le loyaliste a les moyens légaux d’agir et s’il prive l’insurgé de publicité favorable. L’action indirecte consiste à agir sur les facteurs géographiques et sur le soutien extérieur. Priver l’insurgé d’une bonne cause implique de résoudre les problèmes du pays mais sans perdre son leadership ou son âme. Un objectif plus raisonnable serait de combler les failles sur lesquelles l’insurrection peut s’appuyer. En adaptant le système judiciaire à la menace, en renforçant la bureaucratie, la police et les forces armées, le gouvernement pourra décourager les tentatives d’insurrection.
Contre-insurrection dans la guerre révolutionnaire chaude
Dés que les insurgés basculent dans la lutte armée, les loyalistes retrouvent une certaine légitimité dans leur action. Néanmoins, le gouvernement, ne pouvant appliquer ni les tactiques conventionnelles, ni la doctrine de l’adversaire, doit élaborer ses propres tactiques. Gardant la priorité sur l’action politique tout en respectant les quatre grandes lois de la contre insurrection, l’auteur développe une stratégie en huit phases pour agir contre l’insurrection:
1. Concentrer suffisamment de forces pour détruire ou pour expulser le gros des forces de guérilla.2. Maillage: affecter dans la région un volume de troupes suffisant pour empêcher tout retour en force de l’insurgé; Installer des unités dans chaque hameau, chaque village et chaque ville. 3. Nouer des liens avec la population et contrôler ses mouvements de façon à briser les liens entre elle et la guérilla. 4. Détruire l’organisation politique locale des insurgés, 5. Organiser des élections locales pour désigner de nouveaux dirigeants provisoires. 6. Tester la fiabilité de ses dirigeants en leur confiant des missions précises, remplacer les mous et les incompétents, distinguer les bons, créer des unités de défense passive.7. Regrouper les dirigeants au sein d’un mouvement politique national et les former.8. Rallier ou neutraliser le reliquat des insurgés.
Cette stratégie respecte les principes d’économie des forces, d’irréversibilité, de simplicité, tout en maintenant l’initiative et en utilisant pleinement les moyens du loyaliste.

De la stratégie à la tactique

L’auteur met en exergue l’unicité de commandement, les opérations civilo-militaires, la supériorité du pouvoir politique sur le pouvoir militaire, la coordination des efforts, la primauté du commandement local ainsi que l’adaptation des forces armées et des mentalités aux réalités de la contre insurrection. Galula décrit ensuite des principes destinés à résoudre les problèmes tactiques que pose la mise en œuvre des 8 phases de la stratégie de contre insurrection. Chaque phase doit être appuyée par le renseignement et par les opérations psychologiques de propagande dirigées vers l’insurgé, les forces loyalistes et vers la population. C’est l’unité élémentaire de contre insurrection (bataillon ou compagnie) qui livre le combat principal dans une zone limitée. La première zone est considérée comme une région test dans laquelle la stratégie est adaptée au fur et à mesure des réactions de la population. Le retour d’expérience et les leçons retenues des opérations dans cette région test sont ensuite transmises et adaptées aux autres régions.Conclusion

Certes, il n’est pas toujours possible de soumettre une insurrection mais à l’exception de cas isolés marqués par le poids de l’histoire, la défaite n’est pas une fatalité. Le but de cet ouvrage est de fournir une doctrine de contre insurrection et d’éviter les erreurs aux loyalistes car l’insurrection possède de beaux jours devant elle. En effet, il est plus facile de commencer une insurrection que d’y mettre fin et la doctrine des insurgés est bien connue et facile à assimiler. « Il est probable que l’occident se retrouve du coté de l’ordre et doivent s’associer à la contre insurrection. C’est ce qui a motivé la rédaction de cet ouvrage ».

Apport de l’ouvrage à la réflexion militaire

Le lieutenant-colonel Galula présente la particularité d’avoir accumulé une grande expérience de la guerre tout en possédant les qualités intellectuelles et philosophiques suffisantes pour arriver à dégager au profit des générations futures les caractéristiques de la guerre insurrectionnelle. Cet ouvrage de Galula est un véritable manuel de contre insurrection. Après avoir défini les lois de la guerre contre révolutionnaire, il en déduit des principes puis une stratégie de lutte et des modes d’action tactiques. Son analyse très bien documentée et étayée de nombreux exemples historiques ou vécus, constitue une réflexion tactique et stratégique stimulante pour adapter notre outil militaire aux réalités de la guerre asymétrique. Certes, « «Contre insurrection théorie et pratique » date de 1964 et peut paraître dépassé face aux insurrections actuelles, à la force du fanatisme religieux ou au terrorisme kamikaze. Il n’en est rien. Les clés que donne Galula, ses principes et sa démonstration sont toujours d’actualité et l’ouvrage reste tout à fait adapté aux guerres insurrectionnelles d’aujourd’hui.
En conclusion, l’Histoire et le retour d’expériences des engagements actuels montrent la nécessité pour l’homme d’action d’agir selon des principes simples. Ceux-ci constituent une aide précieuse à la prise de décision. En l’absence de vraie doctrine tunisienne dans ce domaine, l’ouvrage de Galula est le document à lire pour tout cadre engagé dans la guerre « contre le terrorisme » ou contre-insurrectionnelle, en n’oubliant pas qu’une doctrine est constituée de principes fixes qu’il convient d’adapter aux circonstances. C’est ce que rappelle l’auteur à la fin de son étude : «Comme tout concept de ce type, celui-ci peut paraître valide sur le papier mais échouer en réalité s’il est appliqué avec trop de rigidité à un cas spécifique.»

Avis personnel du lecteur

Tout en pensant aux stratégies de Galula, je me trouve incapable de juger un tel ouvrage écrit par « Clausewitz de la contre-insurrection ». Cet ouvrage pourrait être considéré la référence pour tout travail de conception ou de réflexion autour des guerres d’insurrection ou les guerres asymétriques. En effet, les combats de nos jours malgré leurs complexités et malgré l’implication des nouvelles technologies dans tous les échelons, ne pourraient jamais être décidés sans prendre en considération des stratégies fondamentales approuvées par la réflexion de grands stratèges comme Galula et surtout par l’expérience. Dans ce cadre il me semble impossible de négliger l’importance incontournable de l’ouvrage de Galula. Ce document précieux est très bien exploité par l’armée américaine et utilisé comme référence pour l’élaboration du Field Manual 3.24 (contre insurrection publié en 2006). Imposée aux officiers à Command and General Staff College, la thèse de Galula sert de guide de travail à quelques officiers américains engagés en Irak ou en Afghanistan avec des résultats locaux indéniables. Je pense que tout armée qui lui incombe la mission de combat anti-terroriste comme l’armée tunisienne doit nécessairement s’appuyer sur ce travail pour enrichir les connaissances de ses officiers et les aider à remporter les défis de la nation.