Relations entre les États-Unis et l’Iran

Washington, le 08 mai 2018, Le président américain Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015. Il promettait de mettre en place des sanctions économiques sévères à l’encontre de l’Iran et de ses partenaires commerciaux. Ces déclarations marqueront alors le début d’un nouvel affrontement économique sur fond d’influence et de rapports de force, impliquant les États-Unis, l’Allemagne, la France, mais aussi La Chine.

Que contient l’accord sur le nucléaire iranien ?

L’accord sur le nucléaire iranien est entré en vigueur le 16 janvier 2016, après 21 mois de négociation, entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne).
Dans le cadre de cet accord, l’Iran s’engage à réduire ses capacités nucléaires de manière à rendre impossible la production de plutonium militaire. En contrepartie il sera accordé une levée progressive des sanctions économiques assurant une reprise du développement pour le pays, des relations commerciales internationales, et des investissements étrangers.

Sortie théâtrale des États-Unis :

Nous pouvons voir dans les déclarations du président Trump et de ses prises de positions contre l’Iran, plusieurs motivations. Tout d’abord un signal fort lancé à ses partisans et à sa base électorale, « quand je fais des promesses, je les tiens » déclare-t-il, une façon de montrer qu’il défend une « Amérique forte » en totale cohérence avec ses promesses de campagne. En effet, le président américain à travers ce type d’actions, offre à ses fans ce qu’ils demandent, une Amérique protectionniste et conservatrice et tant pis si cela doit l’isoler et la désolidariser de ses alliés européens.
Détruire l’héritage d’Obama ; voilà aussi une motivation supplémentaire pour Donald Trump, qui a à cœur de défaire la politique de son prédécesseur. L’accord iranien était le principal héritage diplomatique du président Obama.

Des conséquences néfastes pour l’Europe :

Encore une fois, l’Europe se voit interdire l’achat de pétrole iranien, un coup dur pour ses entreprises qui sont ainsi privées de juteux contrats.
L’Allemagne, le Royaume-Uni mais aussi la France renoncent donc à l’opportunité de se placer comme leader sur un pays longtemps fermé à l’Occident.
En dépit des nombreuses déclarations des chefs d’État européens et secrétaire général de l’ONU. Tous regrettant la décision américaine et promettant de faire front afin de trouver une solution, la marge de manœuvre des dirigeants européens reste néanmoins très limitée. Cette inefficacité est en grande partie à cause de la redoutable arme que

représente l’extraterritorialité du droit américain.

Un instrument de guerre économique puissant :

Grâce à cet outil, les États-Unis ont réussi à faire de leur système juridique une arme économique puissante.
Plus simplement, le département de justice américain se donne le droit de poursuivre toute entreprise étrangère ayant des relations avec les États-Unis et pratiquant des activités frauduleuses telles que la corruption. Par exemple utiliser le dollar américain comme monnaie d’échange ou une boîte Gmail donne le droit au département de la justice de s’ingérer dans les pratiques commerciales de n’importe quelle entreprise dans le monde.
En résumé, grâce à ce genre de moyen les États-Unis se dotent d’une capacité de contrôle totale sur ce qui se passe à l’extérieur de leurs frontières. Dans le cadre de l’accord iranien, cela se traduit par un embargo économique forçant l’Europe à cesser ses relations commerciales avec l’Iran sans pouvoir éviter à ses entreprises la perte de leurs contrats.

La France, grande perdante :

Les déclarations des plus hauts représentants européens (déclaration conjointe de la France, l’Allemagne et le Royaume Uni), le voyage du président français Emmanuel Macron aux États-Unis, n’ont eu aucun effet sur l’avancement du dossier iranien. Rien ne pourrait faire changer les positions de Donald Trump ou les mesures qu’il a décidé de prendre. Par conséquent, La France se retrouve grande perdante de ce jeu à pouvoir sur fond d’affrontement économique.
C’est tout d’abord le géant Total, qui avait signé un contrat sur 20 ans pour l’exploitation du plus grand champ gazier au monde « South Pars 11 » qui a quitté le projet. Puis le groupe Peugeot Citroën, présent depuis plusieurs années en Iran et qui prévoyait d’investir 1 milliard d’euros dans le pays. Et enfin l’avionneur Airbus qui avait signé une commande d’une valeur de 19 milliards de dollars et qui a dû renoncer au deal après avoir livré seulement 2 avions.
La décision des entreprises françaises a été rapide et sans appel, à l’instar des déclarations de patron de Total Patrick Pouillanet : « L’entreprise sera obligée de renoncer aux projets gaziers en Iran, les risques sont trop élevés ».
Il est en effet impossible pour ces grands groupes d’envisager le maintien des relations commerciales avec l’Iran dans un contexte aussi compliqué, et ainsi prendre le risque de tomber sous le coup des sanctions mais aussi de perdre le marché américain, stratégique pour les multinationales françaises.

L’Iran au cœur de la tourmente :

En Iran, le président Rohani, avait défendu ardument la signature de cet accord auprès de son gouvernement et de la population promettant développement et ouverture économique pour le pays. Humilié par l’action des États-Unis, l’ayatollah Khamenei déclare : « le gouvernement de la République islamique ne peut pas interagir avec l’Amérique, parce que l’Amérique ne respecte pas ses promesses ».
Le président iranien se retrouve tiraillé entre une opinion publique contre US et la nécessité de sauver ses relations commerciales avec l’Occident.
En tout état de cause, l’Iran est aujourd’hui préoccupé par son développement économique, mais c’est également le monde qui regarde l’Iran. Un marché de 83 millions d’habitants dont 40% a moins de 25 ans, une société de consommation avide de biens en tous genres. Le pays est en demande d’industrialisation et d’infrastructures, des milliards de dollars de contrats qui passe sous le nez d’une Europe et de d’une France à la merci de la politique économique américaine.

Qui sont les gagnants ?

En dépit de la prudence des Européens et des Français suite à ces sanctions, il y a un pays qui a décidé de maintenir et même de renforcer ses relations avec l’Iran, La Chine.
En effet, la réaction chinoise suite à l’annonce du président Donal Trump a été de manifester auprès du gouvernement iranien sa forte ambition de faire prospérer ses relations commerciales et partenariats stratégiques.
Pour preuve de la prise de position chinoise, l’entretien téléphonique entre le ministre chinois des affaires étrangères Wang Li et son homologue iranien Mohammad Javad Zarif au cours duquel il a déclaré: « Nous avons ouvertement indiqué que nous nous opposons aux mauvaises pratiques de sanctions unilatérales de \”juridiction du bras long\” dans les relations internationales. », l’Iran à son tour a qualifié comme satisfaisante la position prise par la Chine en saluant le rôle constructif de la Chine dans toute cette histoire.
Cette prise de position chinoise intervient dans un agenda conflictuel avec les États-Unis marqué par la forte guerre commerciale que se livrent les deux pays à coup de taxes douanières et autres manœuvres économiques. Par ailleurs l’Iran est le premier fournisseur de pétrole pour la Chine avec un quart des exportations en la matière à destination du géant asiatique, impossible donc de faire sans l’Iran.
À y regarder de plus près, la Chine à tout intérêt à pérenniser ses relations avec l’Iran, les marchés délaissés par les Européens et plus particulièrement les Français dans le domaine aérien, pétrolier, et automobile sont une réelle aubaine pour les grands groupes chinois. Ces derniers sont bien décidés à profiter de ce contexte et sont prêts à investir massivement en Iran mais également en faire un marché d’écoulement de plus de 80 millions d’habitants.

L’offensive des entreprises chinoises :

Les entreprises chinoises n’ont pas hésité à sauter sur les marchés délaissés par les groupes français. Côté pétrolier, La China Nationale Petroleum Corps (CNPC) a repris la part de Total sur le gisement gazier iranien South Pars avec une participation de 80,1%. Suite à l’accord signé en juillet 2017 d’une valeur de 4,8 milliards, Total détenait 50,1% des parts suivis du chinois CNPC avec 30%, et l’Iranien Petrobars (19,9). Après le départ de Total du consortium, CNPC a donc repris la totalité des parts et se positionne comme partenaire de choix dans le domaine de l’énergie. Même stratégie pour l’automobile, un secteur largement dominé par PSA avec 30% de parts de marché, mais les Chinois ont encore une fois décidé de passer à l’offensive et ambitionnent de régner sur la totalité du secteur. La marque BAIC motor avait déjà déclaré : « l’Iran pourrait être le plus grand partenaire de la Chine ». Le groupe y écoulait plus de 100 000 véhicules en 2016.

Une grille de lecture multidimensionnelle, permet de voir en la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire iranien et aux déclarations du président américain sur le sujet plusieurs raisons. Tout d’abord celles liées à la politique intérieure du pays telle que la promesse électorale et le renforcement de l’engagement des partisans auprès d’un président qui tient ses promesses de campagne. Puis les raisons de politique extérieure et d’économie qui s’inscrivent dans une pure logique de domination des entreprises américaines sur le marché mondial à coup de sanctions économiques et de taxes douanières sur les importations (pour la Chine).
La grande gagnante de ce bras de fer n’en demeure pas moins la Chine, premier client pétrolier de l’Iran, elle a su pérenniser ses relations avec le pays et dominer des secteurs stratégiques de l’économie via des milliards de dollars d’investissement.
Un réel point de réflexion pour l’Europe en général et la France en particulier qui faute d’un fort pouvoir de négociation face aux Américains a laissé s’envoler en fumée des contrats stratégiques mais aussi un avantage concurrentiel dans un marché mondial toujours plus compétitif.