L’étalement ou l’éparpillement

L’étalement urbain ou plus exactement l’éparpillement apparaît comme une forme d’urbanisation nuisible à la ville. De très nombreux auteurs dénoncent ses conséquences en expliquant ses origines. Pour Wiel (2010), il s’agit d’une « nouvelle modalité d’urbanisation consommant plus de terrain par habitant supplémentaire et s’écartant de plus en plus du modèle de la ville compacte, en continuité des urbanisations extérieures » Barcelo (1999) insiste également sur « la croissance contiguë à faible densité en périphérie ». Cela se traduit concrètement par une consommation foncière plus importante que la croissance démographique et une diminution des densités globales (BESSY-PIETRI, 2000 ; EWING, 1997 ; LE JEANNIC, 1997) ou du gradient de densité à partir de l’agglomération (PEGUY, 2000) au dépend des terres agricoles rurales (Nicot, 1996) et ou de forêts (Barcelo, 2002).

Lacour (1996) parle de « suburbanisation discontinue » ou « en saut-de-mouton » pour définir le déversement de population et d’activités du centre vers la périphérie de la ville, avec la métaphore du « volcan ». Ainsi, la ville se « dilue » (Frankhauser, 1994), ou « éclate » (May et alii, 1998), produisant des espaces hybrides et rendant caduque la traditionnelle opposition ville/campagne. (Pouyanne, 2004).

Nicot (1996) considère que cette extension peut être abordée aussi bien comme un état qu’un processus. « En tant qu’état, il renvoie à la question du degré d’étalement relatif de la ville, mesuré à partir de comparaisons synchroniques : on admet implicitement l’idée d’une « universalité » des tendances de suburbanisation. […] La notion de processus relève plutôt d’une appréciation diachronique de l’étalement, c’est-à-dire du rythme et de l’intensité de l’étalement dans le temps ». Le critère morphologique revient à plusieurs reprises.
En ce qui concerne, les origines de cet étalement, plusieurs facteurs sont mis en avant. Les ménages s’installent loin des agglomérations car ils n’ont pas trouvé un habitat (prix, confort, taille, équipements, voisinage) correspondant à leurs attentes. Les ménages ne cherchent pas à minimiser leurs déplacements mais à optimiser l’utilité. Au goût pour la maison individuelle, il faut ajouter la « mobilité facilité » (Halleux, 2002). L’effondrement du coût, du temps de déplacement grâce à la motorisation accessible, aux infrastructures et au faible coût des carburants marque une rupture car on passe d’une réduction croissante de l’espace habité à une possibilité de retrouver de nouveau de l’espace. Au désir de retrouver de l’espace s’ajoute une idéalisation de la ruralité, considérée parfois comme la raison principale

(A.Berque, Ph.Bonin, G.Ghorra-Gobin, 2006). Paradoxalement, la réalisation de ce mythe ou de ce rêve détruit ce qui en fait le fondement. L’éparpillement finit par altérer la paysage rural.
Néanmoins, plus que l’étalement, l’extension en tâche d’huile des agglomérations constitue depuis les années 1960’ un sérieux problème. En effet, une ville peut s’étaler en s’agrandissant tout en gardant une densité forte. L’éparpillement « est le fait de jeunes ménages avec enfants qui s’éloignent des agglomérations tout en restant à sa portée au prix d’un déplacement suffisamment économe de leur temps et en argent » (Wiel, 2010). La marginalité de l’urbanisation par mitage cesse dans les années 1970’ au même moment que la banalisation de l’accès au véhicule individuel.
L\’étalement urbain n\’est pas causé principalement par l\’habitat périurbain car un peu plus de la moitié des nouveaux espaces urbanisé en une année est destiné aux activités économiques et aux équipements publics. Concernant les entreprises, les commerces et les services à proximité et la nécessité de se rapprocher du lieu de travail est un autre facteur. Le non-bâti occupe plus de place que l\’espace bâti car ce si ce dernier représente 2 % du territoire métropolitain. L\’espace artificialisé non bâti représente 6 % soit un total de 8%.

Les conclusions des études sur les coûts de l’étalement vont généralement dans ce sens (e. g. Sierra Club, 2000). B. Deal et D. Schunk (2004, p. 14) notent que « la faible densité, bien qu’il soit considéré comme positif par les individus, fait peser un fardeau trop lourd sur la communauté pour être considéré comme une solution équitable ou durable ».

La Loi de Clark exprime la décroissance des densités avec la distance au centre (Clark, 1951)17, fait considéré aujourd’hui comme universel, et que la théorie standard urbaine relie à la décroissance des valeurs foncières (cf. infra).

II-B L’automobilité ou la dépendance automobile : une voiture indésirable mais indispensable

Figure1 : Comparaison de la consommation de carburant en fonction de la densité (Newman, Kenworthy, 1989,)

La littérature scientifique sur la dépendance automobile aussi appelée automobilité ou le tout-automobile est abondante. Sa définition, ses origines, ses conséquences ou les solutions y sont traitées. Le concept, assez ancien semble dater des années 1970 (Carpenter, 1979). C’est la publication de Cities and Automobile Dependence (1989) de Newman et Kenworthy qui le popularise. Ces derniers s’interrogent sur le lien entre densité de population et consommation de carburant. Ils définissent cette consommation comme indicateur de la dépendance automobile des villes. Comme le montre le graphique ci-dessous, la consommation de carburant augmente lorsque cette densité s’affaiblit et inversement. Dupuy (2000) pense que plutôt que la ville, celle-ci concerne les usagers, les habitants de la ville.

En ce concerne sa définition, plusieurs en sont proposées. Héran (2000) pense que la dépendance « peut concerner n’importe quel mode. La dépendance vis-à-vis d’un mode de déplacement correspond à une absence de choix modal possible ». Celle-ci est présente lorsque « l’usager ne peut utiliser un autre mode sans augmenter son temps de déplacement de porte-à-porte de plus d’une certaine durée, dans des conditions de sécurité et de confort équivalentes ». Dupuy (1999), la voit comme un processus qui correspond à un mécanisme « par lequel les individus ne disposant pas d’une automobile pour se déplacer vont être poussés à s’équiper en véhicule afin d’obtenir un niveau d’accessibilité équivalent à celui des individus motorisés. » Mais cette dépendance peut-être traiter comme un recours systématique à l’usage de l’automobile même pour les trajets les plus courts (V. Kaufman, J.-M. Guidez, 1998). Pour Peter Hall (1988) définit l’automobilité comme la réunion d’un dispositif de production de masse des véhicules, de règles et de normes d’utilisation, d’un réseau routier et d’équipements ou de services réservés aux automobilistes.

La connotation négative est accentuée par Dupuy qui y voit une forme de drogue qui engendre des plaisirs de courtes durées mais dommages conséquents ensuite. En s’inspirant de Peter Hall, il nous encourage à regarder la question d’un point de vue systémique. Il s’agit d’une « production de masse permettant de démocratiser l\’acquisition d\’automobiles, de codes uniformes, des règles et des normes (conduite, signalisation…), de réseaux techniques, d’équipements annexes destinés à faciliter la vie des automobilistes ». L’approche plus systémique est également suivie par les britanniques Dargy et Goodwin (1995) qui l’associe « aux politiques de planification, à la localisation de l’habitat, des services et des emplois, induisant, pour se déplacer, le recours de plus en plus inévitable à la voiture. » La dépendance s’inscrit ainsi dans « le passage de la ville pédestre à la ville motorisée » (Wiel, 1999)

Dans le même article, Héran estime que l’absence d’alternative sérieuse à la voiture « peut être jugée anormale puisque la LOTI (Loi d’Orientation des Transports Intérieurs) (1982) -s’engageait à garantir le droit qu’à tout usager de se déplacer et la liberté d’en choisir les moyens. Ce qui montre impuissance de l’Etat dans le domaine des transports

Par ailleurs, les explications de la dépendance automobile sont nombreuses. Ce sont les explications culturalistes ( la « préférence » des ménages pour la maison individuelle et l’habitat en périphérie (Wiel, 1999)), socio-économiques (des moyens financiers suffisants, des coûts de déplacements sont sous-estimés, des habitudes qui se créent pendant l’enfance (Bodier, 1996) ou qui ne perdent pas à la retraite (Madre) et la voiture devient une norme de consommation), urbanistiques (l’étalement urbain nécessite l’utilisation de la voiture ) et technicistes (supériorité des performances techniques de l\’automobile sur les autres modes de déplacements sont mises en avant. Il faut insister sur l’efficacité de la voiture car elle permet une rapidité (vitesse de déplacement), le porte-à-porte (se garer proche du lieu d’arrivé), une disponibilité ou flexibilité (rarement partagé et se déplacer indépendamment d’horaires), la sécurité (sentiment de sécurité). Cette efficacité parait comme un avantage considérable. (Héran, 2000)

Enfin, à côté des avantages, la voiture présente de très nombreux inconvénients. Même si de nombreux coûts liés à l’usage de la voiture sont sous-estimés (Frenay, 1997) et ou une faible attention leur est accordée dans le choix de localisation (Polacchini et Orfeuil, 1999), les coûts directs (achats et carburants) et indirects (amende ou accident) sont très nombreux et peuvent bouleverser l’équilibre des familles notamment modestes et dans le périurbain. (Polacchini, Orfeuil, 1999). Le tableau à droite réalisée par François Héran est très intéressant car il permet de faire un bilan assez des avantages et des inconvénients de la voiture.
Figure 2 : Tableau récapitulant les avantages et les inconvénients des différents modes de déplacements (Héran, 2000)
Ainsi, cette dépendance fait de la voiture un moyen de déplacement indésirable mais les très nombreux avantages qu’elle apporte en font un outil indispensable (Kaufmann, 2004). La voiture et l’étalement urbain semblent intrinsèquement liés en étant l’engendrant et l’engendré de l’autre.