Les difficultés liées à l’enseignement et à l’apprentissage des schémas pour la résolution de problèmes arithmétiques

Nous nous appuyons dans cette partie principalement sur les travaux de Laparra et Margolinas (2009) qui observent des difficultés dans le cadre de séances consacrées à la résolution de problème dans des classes de CP. Mais, comme nous allons le voir, les analyses qu’en font les auteures montrent que les raisons qui conduisent à ces observations n’ont rien de spécifique à un niveau de classe ou à un enseignant particulier. On suppose que d’autres enseignants seront amenés à disposer des mêmes conditions. Elles permettent également de préciser des connaissances ou savoirs en jeu au travers de l’utilisation de schémas pour la résolution de problèmes.

Pour que les élèves s’emparent des schémas, il faut les travailler. L’enseignant effectue une tentative mais des choses résistent. Comme énoncé ci-dessus, les résultats des travaux portent sur le champ additif au cycle 2 mais ces difficultés sont supposées possibles également au cycle 3.

Le point de départ des difficultés observées chez les élèves semble être induit par l’enseignant involontairement. Les auteures ont souligné l’importance du rôle de l’enseignant. Son approche didactique est déterminante puisqu’il est conditionné par sa propre vision des schémas, basée « sur les connaissances communes de la profession » (Laparra et Margolinas, 2009, p. 4). Elles nous éclairent sur l’éventuelle dérive des enseignements consacrés à la schématisation qui fournissent des schémas sans permettre aux élèves de réfléchir et de produire les leurs. Le schéma est pensé et introduit par l’enseignant comme une aide mais cela n’est pas toujours opérante et produit même un effet inverse.

Les chercheuses ont mis en évidence différentes fonctions attribuées aux schémas : la fonction cognitive, la fonction mémorielle et la fonction communicative. Ces différentes fonctions font donc intervenir différents processus dans la lecture d’un schéma. Les difficultés interviennent lorsque enseignant et élèves ne se situent pas dans le même champ d’exploitation.
Afin d’éclairer les propos qui vont suivre, voici le problème dont les élèves ont réalisé le schéma : « Une boîte contient 12 cubes. On peut avoir des cubes bleus ou rouges. Il y a 5 cubes rouges. Combien y-a-t-il de cubes bleus ? » (Laparra et Margolinas, 2009, p. 4)

Tout d’abord, l’enseignant se limite à comprendre ce qu’a voulu faire l’élève, comment il a résolu le problème. Il cherche la traduction effectuée par l’élève pour arriver à l’opération. Il considère ici le schéma comme une fonction communicative qui sert à laisser des traces.
Du côté des élèves, se mêlent une incompréhension liée à la fonction mémorielle.

Figure

n°1 : Schéma d’un élève provoquant l’incompréhension, Laparra et Margolinas (2009), p.11

L’enseignant interprète le schéma ci-dessus comme faux puisque selon sa lecture, le résultat correspond à la somme des cubes représentés, alors que pour l’élève ce n’était pas le cas. Le schéma fait apparaître les données de l’énoncé.
Il convient à l’enseignant d’expliciter que le schéma peut retranscrire l’énoncé mais en même temps, il doit pouvoir être utilisé dans le cadre de la résolution du problème. Certains schémas ne sont pas opérationnels parce que la relation d’inclusion n’est pas représentée. L’enseignant n’avait pas les ressources suffisantes à ce moment pour proposer une modification du schéma pour qu’il devienne opérationnel.

Figure n°2 : Modification possible du schéma précédent, Laparra et Margolinas (2009), p.11

Nous retiendrons que la schématisation est distincte de la résolution de problème. Il existe « une phase d’exposition du problème » et « une phase de résolution ».

La notion de temporalité et d’espace fait apparaître également des difficultés chez les élèves. Tout comme la lecture d’un texte littéraire se fait de gauche à droite, les élèves sont ainsi gênés par la lecture d’un schéma. Ils pensent qu’il y a un ordre dans la représentation même si cela est effectivement pertinent dans le cas d’une bande numérique par exemple. Nous retiendrons que la schématisation est affranchie de toute notion temporelle.

La fonction cognitive n’est pas suffisamment exploitée par l’enseignant. Les élèves pensent « que l’univers de l’écrit est une simple reproduction de ce que l’on dit, ou de ce que l’on fait, pas de ce que l’on pense » (Laparra et Margolinas, 2009, p. 23). Si les schémas sont différents pour un même énoncé, certains élèves ne les assimilent pas et pensent qu’il s’agit d’un autre problème. Le schéma n’est pas perçu comme une aide à la réflexion.

De plus, Descaves (1992) énonce les difficultés de schématisation lors de la résolution de problèmes liées aux représentations pragmatiques des élèves qui considèrent que résoudre un problème consiste à effectuer une opération. On suppose que les élèves sont conditionnés à réaliser un calcul. L’objectif étant pour eux d’utiliser les données numériques de l’énoncé, de produire un résultat chiffré et une réponse finale. Cela permet d’appuyer sur l’importance des conditions d’utilisation de la schématisation dans la résolution du problème. Sous réserve que l’enseignant aborde explicitement et de façon concomitante la schématisation et la résolution de problème, le schéma devient alors véritablement un outil d’aide à la résolution de problèmes. L’élève en difficulté n’a pas à mobiliser une ressource supplémentaire mais il peut au contraire alléger sa charge mentale afin de faciliter les apprentissages.

Nous pouvons retenir que si le schéma est introduit voire imposé par l’enseignant, le schéma peut être pour l’élève une surcharge cognitive. L’interprétation et la capacité d’abstraction que cela nécessite n’est pas la même pour tous et constitue donc un obstacle. Il convient de mettre en place une séquence dédiée à la schématisation. L’élève fera appel à ses connaissances antérieures et à ses capacités cognitives pour produire son schéma selon sa propre représentation rendant la fonction cognitive opérationnelle.

Si les anciens programmes n\’invitaient pas à considérer le schéma comme objet d\’apprentissage, une circulaire récente tend à promouvoir l\’utilisation du schéma pour la résolution de problèmes. Elle intervient comme un soutien nécessaire à la pratique enseignante. Ceci nous amène à questionner les programmes afin d’analyser la réelle place accordée à la schématisation dans la résolution de problèmes. Comment apprend-on à utiliser un schéma personnel ? Quels types de schémas sont abordés ? Les manuels s’accordent-ils avec cette tendance ?

1.2.3) La place des schémas dans les programmes

Le Bulletin Officiel en vigueur du 26 juillet 2018 préconise de « prélever et d’organiser les informations nécessaires à la résolution de problèmes à partir de supports variés » tels que des dessins et schémas au sein de la compétence « Chercher ». Quant à celle de « Représenter », les programmes indiquent que les élèves utilisent « des outils pour représenter un problème » par le biais de dessins et de schémas. Toutefois, aucune voie didactique n’est recommandée pour enseigner les productions schématiques et des recherches tendent même à montrer qu’elles ne sont pas utilisées voire perçues comme un obstacle.
Pourtant, le terme de schéma au cycle de consolidation apparaît à de nombreuses reprises et dans plusieurs disciplines, du fait de sa polysémie, comme le français, les enseignements artistiques, les sciences et les mathématiques. On remarque que le schéma fait partie intégrante des programmes. Il est souvent décrit comme un outil permettant l’acquisition de compétences. Il se veut être une aide.
Une spécificité du cycle 3 est de construire « tous les éléments qui permettent de décrire, observer, caractériser les objets qui nous entourent ». L’élève est « formé à utiliser des représentations variées d’objets, d’expériences, de phénomènes naturels (schémas, dessins d’observation, maquettes). Ceci devant faire l’objet d’un apprentissage explicite.

Un Bulletin Officiel, spécifique à la résolution de problèmes à l’école élémentaire a été publié le 26 avril 2018. Il fait état des difficultés des élèves dans ce domaine et a pour objectif de permettre l’élaboration « d’un enseignement construit » basé sur « un travail structuré et régulier ». Le schéma apparaît comme un support d’enseignement répondant à une stratégie d’étape dans la résolution de problèmes. Il s’agit de mettre en place des modèles de représentations schématiques à destination de l’élève qui sera à terme libre de les utiliser ou non. L’intérêt est « de réunir les problèmes dans des catégories aussi larges que possible en faisant des analogies » (MEN, 2018). Ceci paraît être en correspondance avec les travaux de Vergnaud (1997). En effet, il s’appuie sur une catégorisation des problèmes et un enseignement spécifique d’un type de schéma associé.

Un exemple de progressivité portant sur des problèmes additifs/soustractifs déconnectés est donné :
Léo et Lucie ont 43 billes à eux deux. Léo a 6 billes. Combien Lucie a-t-elle de billes ?
Lucie avait 43 billes ce matin. Elle a perdu 6 billes pendant la récréation. Combien a-t-elle de billes maintenant ?
Lucie avait 43 billes ce matin. Elle a perdu 37 billes pendant la récréation. Combien a-t-elle de billes maintenant ?
Lucie a gagné 6 billes ce matin. Maintenant elle a 43 billes. Combien avait-elle de billes avant la récréation ?
Ces quatre problèmes sont représentés selon un même modèle. Cela correspond à un tout qui est divisé en 2 parties. Le tout et une partie sont connues, il faut trouver l’autre partie.

Figure n°3 : Représentations schématiques des problèmes précédents, (MEN, 2018)

De ce fait, nous pouvons effectivement faire le lien avec la représentation proposée par Vergnaud (1997).

Figure n°4 : Représentation schématique partie-tout, Vergnaud (1997)

Dans le cadre de ce mémoire, il n’est point question d’établir des représentations selon un modèle spécifique. Nous faisons le choix de laisser les élèves utiliser des procédures personnelles. Nous émettons l’hypothèse qu’imposer une représentation-type pourrait causer une surcharge cognitive chez certains élèves. Il s’agit cependant de proposer des procédures de schématisation pour faire réfléchir l’élève de la pertinence de la proposition et lui permettre ainsi de construire sa réflexion personnelle pour une procédure plus efficace dans la résolution de problèmes. Le schéma occupe moins de place que le processus de schématisation. En effet, les deux chercheuses Margolinas et Lappara (2009) ont pointé du doigt un constat concernant les élèves en difficulté. Il s’avère que le schéma sans accompagnement est peu efficace alors qu’il est pensé comme une aide. Suivant le type de problème, il est proposé de pouvoir établir selon un apprentissage spécifique, un certain recueil de schémas pertinents à destination des élèves. Ils pourront de la sorte, sélectionner le plus efficace parmi ceux à disposition. Selon que le problème soit du type transformation d’état ou du type partie/tout, le schéma pour qu’il soit opérationnel ne sera pas représenté de la même manière.

Figure n°5 : Schémas représentant une relation d’inclusion, Laparra et Margolinas (2009), p.35
Cela nous amène à analyser les manuels pour tenter de comprendre les méthodologies utilisées afin d’en prendre garde ou au contraire d’en constituer une ressource pour envisager une séquence. Dans quelle mesure les manuels proposent-ils un travail spécifique sur la schématisation, énoncent-ils des savoirs relatifs à l’interprétation ou à la production d’un schéma, et font-ils le lien avec certains types de problèmes ?

1.2.4) Les différents schémas dans les manuels

En vue d’étayer notre questionnement professionnel, nous proposons d’analyser quelques manuels de CM1 et de CM2. Au travers de cette étude, nous cherchons à déterminer dans quelle mesure et comment le schéma peut être considéré comme objet d’apprentissage. Il s’agit d\’une étude exploratoire qui n’a pas vocation à faire un état des lieux exhaustif, mais à renseigner sur les divers choix possibles effectués dans les manuels. Nous avons donc choisi des manuels contrastés de ce point de vue : Opérations MATHS CM1, Hatier (2016), Le nouvel à portée de Maths CM2, Hachette Éducation (2016), ainsi que La méthode de Singapour CM1, La librairie des écoles (2011). 
 Dans « Le nouvel à portée de Maths CM2 », le terme schéma est confondu avec le mot dessin. La majorité des représentations sont des dessins illustrant la situation et non des schémas en tant que représentation simplifiée.

Figure n°6 : Extrait du manuel Le nouvel à portée de Maths CM2 (2016), p.172
Il s’agit ici de savoir rédiger l’énoncé d’un problème en vue de sa résolution. Le dessin remplace l’énoncé en langue naturelle. La séance est consacrée à la lecture des dessins afin de récolter et d’ordonner les informations essentielles. Le manuel précise que l’on « peut s’appuyer sur un dessin qui illustre la situation » (Le nouvel à portée de Maths CM2 (2016), p.172).
Dans ce manuel, le schéma apparaît furtivement dans le chapitre sur les mesures de durées. L’élève est amené à utiliser une ligne de temps pour calculer une durée sans poser un calcul, plus particulièrement pour trouver une décomposition et le complément à l’heure suivante. Le schéma est donné et imposé.

Figure n°7 : Extrait du manuel Le nouvel à portée de Maths CM2 (2016), p.86

Dans « Opérations MATHS CM1 », des schémas apparaissent comme des aides à la résolution. Malgré cela, on ne trouve pas encore de procédure consistant à les travailler avec les élèves. C’est-à-dire que le schéma est donné d’emblée et on ne trouve pas de tâche permettant de produire un schéma.

Figure n°8 : Extrait du manuel Opérations MATHS CM1 (2016), p.68
Il s’agit pour l’élève de résoudre deux problèmes pouvant se représenter par un même schéma donné. C’est d’ailleurs le début de la consigne de l’exercice, avant même les énoncés des problèmes. Nous pensons que cela laisse peu de place à l’initiative de l’élève. Ici, la situation est issue du chapitre sur les mesures de longueurs. La ligne continue représente la distance parcourue. La notion déconnectée de « deux fois plus longue » doit alors être explicitée et représentée sur le schéma, ce qui pose question à la manière de penser le problème : tous les élèves peuvent-ils se retrouver dans ce schéma ?
L’analyse de nos manuels respectifs vient asseoir notre constat suivant lequel le schéma n’est pas appréhendé comme un objet d’apprentissage, du moins en cycle 3. Si l’on se réfère à l’étude effectuée par Monnier (2003), on peut émettre l’hypothèse que l’on retrouve plus d’outils de schématisation dans les manuels de cycle 2.
Cependant, on retrouve communément dans nos manuels, des représentations usuelles tel que les tableaux dont le tableau de proportionnalité, les diagrammes ou les graphiques. Selon les recommandations des programmes, ces représentations font l’objet d’un apprentissage spécifique et les objectifs sont visibles, par exemple, construire et interpréter un tableau, un graphique. Les étapes de la construction de ces outils sont explicitées de manière normée.
Dans « La méthode de Singapour CM1 », le schéma est au centre de la résolution de problème. Dans l’avant-propos, p. III, du guide pédagogique, associé au manuel, on retrouve les principaux aspects de cette méthode qui est « une méthode par « modélisation » : elle invite en effet les élèves à représenter de façon schématique les concepts mathématiques. Cette stratégie diffère de la simple représentation illustrée […] ».
Dans cette méthode, les schémas « en barre » sont le principal outil de modélisation. Cela a pour but de développer l’abstraction chez les élèves. Elle apparaît dans le concept des « parties dans le tout » où il y a une relation de quantité pour les 4 opérations et la comparaison.

Figure n°9 : Extrait du guide pédagogique, La méthode de Singapour CM1 (2011), p.178
Ce guide pédagogique propose à l’enseignant une méthodologie pour l’aide à la résolution d’un problème sous forme de schémas en barre, ici dans le chapitre sur les nombres décimaux mais il en est de même dans divers autres. Dans le cadre d’une pratique guidée, l’enseignant dispose de suffisamment d’éléments pour faire modéliser les élèves et ainsi soulager leur mémoire de travail en s’appropriant cette technique de modélisation. Le schéma est une aide à la représentation du problème. On accompagne l’élève en ne lui proposant pas une simple traduction de l’énoncé. En effet, ce type de représentation suppose une interprétation de l’énoncé.
Malgré tout, on ne retrouve pas de discours sur des apprentissages spécifiques autour des schémas qui aurait pu accompagner encore plus la méthode et de ce fait l’enseignant.
L’analyse de ce troisième manuel montre bien le contraste existant entre les différents manuels et les difficultés rencontrés par les enseignants pour l’apprentissage de l’outil schématique. Certains enferment les élèves, d’autres les orientent, c’est pourquoi, nous retiendrons qu’il faut pouvoir proposer divers outils aux élèves pour que chacun soit libre de les utiliser comme une aide à la résolution dans le cadre de la résolution de problèmes.
1.3) Problématique et hypothèses

Après plusieurs semaines d’observation lors de stages, près d’une année de pratique de classe et une recherche quant à la résolution de problèmes avec la place qui incombe au schéma, nous avons fait un constat : le passage par le schéma pour décomplexifier un problème en mathématiques semble une idée proposée aux élèves presque systématiquement. Il nous est apparu que bien que la formulation « Fais un schéma pour t’aider » soit commune au sein de la résolution d’un problème, ces notions étaient somme toute sibyllines. Ainsi, la Note de service n°3 du BO 2018 affirme-t-elle que « La formalisation d’exemples types, [entendons schémas de problèmes], doit être l’occasion d’introduire des représentations [graphiques « bien adaptées » …] permettant la modélisation des problèmes proposés » aux élèves (2018, p.2). Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, l’emploi systématique de représentations graphiques lors de résolution de problèmes est lui-même préconisé par le Bulletin Officiel de 2018 afin de procurer aux élèves une banque de données de références en la matière. L’objectif de cette préconisation est de « réunir les problèmes dans des catégories aussi larges que possible en faisant des analogies […] entre les problèmes pouvant s’appuyer sur les mêmes représentations. » (Note de service n°3 du BO, 2018, p.2). Or sous cet angle de vue, seule la résolution de problèmes est un objet d’apprentissage.
Toutefois, si le schéma se doit d’être un appui lors de cette pratique pour les élèves en difficultés, ne devrait-il pas prendre une place à part entière en tant qu’objet d’apprentissage ? Si l’on suit la logique officielle, le seul fait pour des élèves d’être fréquemment exposés à des représentations graphiques au sein de la résolution de problèmes leur permettrait de modéliser plus aisément les relations entre les données ?

Nous faisons l’hypothèse que si cette exposition aux schémas est une piste et répond en un sens à l’idée suivant laquelle « on apprend à utiliser des schémas en en lisant » critiquée cependant par Margolinas et Laparra (2009, p.14), ce n’est pas suffisant. En effet, le seul fait de montrer des schémas ne signifie pas que les élèves les comprennent et in fine qu’ils les reproduisent.

Ainsi, dans quelles mesures serait-il possible d’envisager le schéma comme objet d’enseignement et d’apprentissage pour la résolution de problèmes ?

Un premier élément de réponse est finalement apporté par Margolinas et Laparra lorsqu’elles expliquent le fait que « les particularités sémiotiques et la réorganisation [que le schéma] opère sur le monde en le représentant restent, elles, invisibles ».

Par conséquent, nous formulons une hypothèse selon laquelle l’apprentissage du schéma n’est pas explicite et qu’ignoré en tant qu’objet d’apprentissage érige à terme des obstacles en résolution de problème.

Émettons dès lors des hypothèses quant aux conditions nécessaires pour qu’un schéma soit opérationnel :

L’explicitation plus spécifique d’en quoi les données du schéma sont importantes, semble être une condition nécessaire de réussite d’un schéma à terme. Ainsi « l’écrit permet de conférer le statut de données aux informations […] de l’énoncé du problème » et ce faisant, d’éviter la confusion entre « ces données et le résultat recherché. » (Margolinas et Laparra, 2009, p.13).

Au vu des difficultés des élèves à établir des relations claires entre les données du problème traité, d’après le constat de Margolinas et Laparra suivant lequel les élèves n’utilisent pas « des expressions comme « il y a en tout… » » (Margolinas et Laparra, 2009, p. 22), il est possible d’en conclure qu’il faut sensibiliser les élèves à cette idée de relation. 
Par ailleurs, si l’absence de sens est tangible lors de la verbalisation, la reformulation en véhiculant le concept de relation semble également être une piste à développer.

L’idée de représentation mentale du problème et des relations entre ses données est très prégnante en vue du bon déroulement d’une résolution du problème. Nous faisons par conséquent l’hypothèse selon laquelle un travail récurrent de conversion entre données et schéma (et réciproquement) sera bénéfique à l’imprégnation des compétences nécessaires à la production de schémas en résolution de problèmes.

Nous devons donc penser le schéma et la résolution de problèmes telle une co-construction. L’un n’est pas antérieur à l’autre d’après Duval (1995). Partons ainsi du principe que le schéma sert à formaliser ce que l’élève s’est imaginé mentalement et inversement, il sert à comprendre l’énoncé au fur et à mesure que la modélisation graphique prend forme.
C’est partant ce que nous avons tenté de prendre en compte dans la séquence qui suit.

2) Présentation de l’expérimentation et analyse des données
Nous allons dans cette partie nous attacher à présenter et analyser de manière globale la séquence d’apprentissage sur le schéma. 
Expérimentée au mois de mars 2019 au sein de deux classes respectivement de CM1 et CM2 dans les écoles de Charles Martel et Jean Macé situées toutes deux au cœur de la ville de Nîmes (Gard), l’analyse des données portera donc dans un premier temps sur la mise en œuvre faite au sein de la classe de CM1 qui comprend 27 élèves, puis sur celle de CM2, qui elle compte 28 élèves. Les niveaux de ces classes sont particulièrement hétérogènes, avec plusieurs orientations en SEGPA et ULIS envisagées à ce stade de l’année.
Nous avons fait le choix de construire une séquence, visant à faire apprendre aux élèves à produire des schémas opérationnels et conscientiser cette démarche, et ce, en quatre temps (Cf. Annexe n°1). Chacune des séances se décrit succinctement selon les objectifs spécifiques suivants :
Séance 1 : Faire produire des schémas et réfléchir sur leur utilité, leur mise en œuvre.
Séance 2 : Classifier les schémas d’après leur(s) fonction(s) et trouver des similitudes de production.
Séance 3 : Conscientiser les relations entre les données des énoncés par le biais de schémas.
Séance 4 : Résoudre un problème complexe.

Pour ce faire, nous choisissons de proposer aux élèves des problèmes ouverts, déconnectés et complexes voire atypiques en vue de favoriser la production graphique, avec des données de natures discrètes et continues. Nous prévoyons de recueillir au cours de la séquence, les traces écrites des élèves, ainsi que des enregistrements audio des séances.
Avant tout chose, nous émettons l’hypothèse selon laquelle le schéma sera un soutien voire une aide après son apprentissage en vue de résoudre des problèmes résistants (non pas par les notions nécessaires mais par les relations entre les données). Nous supposons également que les productions d’élèves ne représenteront pas de données discrètes par des schémas continus, avant leur apprentissage au cours d’une séance à venir.

Abordons maintenant l’analyse a priori et a posteriori de la séquence.

2.1) Présentation de la séquence « Représentations graphiques : un objet d’apprentissage » et son analyse
Certaines conditions d’opérationnalisation lors de la production de schémas sont inhérentes à toute la séquence. En effet, nous veillerons à valoriser la production opérationnelle des schémas plutôt que des essais d’écritures algébriques sans toutefois perdre l’objectif de vue : la résolution de problèmes.
Ainsi montrerons-nous un exemple de schéma aux élèves uniquement en cas de blocage, tout en veillant à l’expliciter. Cette séquence permettra, nous l’espérons, aux élèves d’apprendre à les lire si tant est que l’enseignant se soit assuré de la bonne lecture de l’énoncé ainsi que de sa totale compréhension.

2.1.1) Séance n°1

Afin de répondre à l’une des conditions d’opérationnalisation des schémas au sein de la résolution de problèmes, l’exercice proposé offre aux élèves une multitude de résolutions schématiques d’un même problème. En effet, nous ne prévoyons qu’aucun élève ne produise un schéma identique. Comprendre que la résolution d’un problème peut être illustrée de nombreuses façons, tout en étant efficiente, est primordial pour l’apprentissage de productions de schémas.

2.1.1.1) Phase n°1

L’activité proposée aux élèves se déroulera en deux temps sans compter les mises en commun. Mais avant d’expliciter ce choix, voici la consigne qui sera proposée aux élèves :
« Je vais scinder la classe en trois.
Chaque groupe va réfléchir sur un problème différent. Dans un premier temps, vous devez résoudre le problème au recto de votre feuille en essayant de vous aider d’un schéma.
Dans un deuxième temps, sur le verso, vous devrez produire un message sous forme de schéma pour faire comprendre le problème aux autres groupes et faire trouver à vos camarades ce qui est recherché dans le problème. »

Deux temps pour deux objectifs distincts :

Au vu des observations dans leurs cahiers, nous savons que ces élèves n’utilisaient pas de schéma jusqu’à lors. Ainsi, la schématisation n’était donc pas jusqu’ici considérée comme une aide potentielle aux yeux des élèves et de ce fait aucun effet de « contrat » n’était observable. Par conséquent nous espérons au cours de cette première phase que les élèves produiront des schémas qui leur permettront d’aider à la résolution (sachant qu’ils ont été incité à en produire). 
Nous souhaitons ce faisant, que les élèves les utilisent de manière à modéliser/penser le problème. Nous veillerons par conséquent à observer la temporalité des productions afin de comprendre la fonction du schéma usitée.

La seconde production graphique est essentiellement communicative. En effet, nous faisons le choix de demander aux élèves de produire un message à destination de leurs camarades. Les enjeux sont ici tout autre. L’objectif visé ici obligera les élèves à réfléchir de sorte à ce que leur production soit lisible, compréhensible par les élèves ayant eu à résoudre un problème différent.

Pour le bon déroulé de l’activité, il est important de préciser lors de la consigne qu’aucun mot absent de l’énoncé ni calcul n’est autorisé, cependant la présence des nombres de l’énoncé elle, l’est. En outre, certaines règles supplémentaires doivent être écrites au tableau afin que les élèves les garde en mémoire tout au long de la séance :

Le message doit présenter le problème
Le message ne doit comporter aucune lettre
Le message ne doit comporter aucun symbole d’opération : + ÷ – ×
Le message ne doit pas comporter d’autres nombres que ceux présents dans l’énoncé

La décision de n’autoriser aucun signe opératoire vient du fait que l’utilité du schéma y perdrait tout son sens. En effet représenter un sac de 10 billes, le signe « + », un sac de 20 billes, le signe « = » et le résultat ne serait qu’un copier-coller de l’opération posée.
Enfin concernant les autres nombres, il ne s’agit que d’une consigne spécifique à cet exercice pour permettre aux autres groupes de résoudre le problème grâce au schéma et non pas de lire ce dernier.

En ce qui concerne le choix du nombre de problèmes, il est lié aux catégories de problèmes que nous détaillerons par la suite.
Enfin, toute l’activité se déroulera sur une feuille blanche et ce choix est délibéré. En effet, cela leur laissera une entière liberté quant à l’organisation qu’ils souhaitent adopter : en portrait, paysage, de biais, en plusieurs cases etc. Aucun brouillon autre ne sera autorisé afin de pouvoir recueillir les données et productions des élèves de manière exhaustive.

2.1.1.2) Phase n°2

La deuxième phase est le lancement dans l’activité. Le rôle du professeur sera de passer dans les groupes ou auprès des élèves en vue de pré-sélectionner les schémas pour la mise en commun. Il devra également prendre note des élèves qui produisent des représentations graphiques au brouillon et surtout lors de quelle(s) phase(s), avec quelles fonctions. Il s’agira de faire attention à ce qu’aucun élève ne soit bloqué par cette consigne imposant un schéma en proposant un exemple en cas de véritable blocage.

2.1.1.3) Phase n°3

La troisième phase consistera en une mise en commun par trinôme n’ayant pas travaillé sur le même problème.
La consigne est la suivante : « Un élève montre son schéma aux autres, si les deux autres résolvent le problème, ils gagnent un point chacun pour leur équipe respective et le troisième deux points. »
Cette phase aboutira par un comptage des points par équipe et introduira la phase suivante.

Nous faisons l’hypothèse que le nombre de points par équipe sera réduits par manque d’opérationnalisation de leur production. Nous espérons ainsi leur faire prendre conscience de l’intérêt qu’un schéma soit opérationnel.

2.1.1.4) Phase n°4

Cette quatrième phase clôture cette première séance par un moment de verbalisation qui nous semble extrêmement important. En effet, si l’on se réfère à nos hypothèses énumérées en amont, ce moment participera à la sensibilisation des élèves à l’idée de relations entre les données et permettra nous l’espérons, de faire ressortir l’idée selon laquelle les données et le statut qu’on leur impute est primordiale.

Deux types de verbalisations seront mises en avant :
La verbalisation sur leurs procédures :
L’étayage sera très certainement indispensable pour les aider à conscientiser les mécanismes mis en place lors de l’élaboration de schémas. Les guider en posant des questions telles que « Quand as-tu dessiné telle ou telle partie ? – De quelle partie de l’énoncé cette partie du schéma représente-t-elle ? » sera probablement une nécessité.

Et la verbalisation sur les conditions de réussite de leurs schémas :
Les confusions potentielles entre données et résultats, l’illisibilité des productions, la représentation trop éloignée de la réalité du problème soient des leviers pour trouver des solutions d’opérationnalisation : code couleur – légende – efficacité et simplicité des objets

Enfin, une brève trace écrite (sous forme d’affichage provisoire) pour rendre le rappel de la séance suivante efficient sera effectué au cours de cette mise en commun.

L’enseignant devra récupérer les productions des élèves afin de faire une analyse en amont de la collective en séance n°2, en vue de mener un premier travail de classification et donc d’anticiper la réflexion future des élèves. Ainsi, les objectifs principaux pour l’enseignant seront-ils d’essayer de retirer des méthodes de productions et des fonctions suivant leurs dires, mais aussi d’objectiver chez les élèves l’importance des données du schéma afin de l’opérationnaliser.
Nous faisons l’hypothèse que la confusion entre informations de l’énoncé et le résultat sera amoindri voire annihilée pour certains d’entre eux.
In fine, cette première situation répond à la condition suivant laquelle les élèves vont apprendre que le problème est « statique » quelle que soit la partie recherchée grâce à de multiples résolutions écrites.

2.1.1.5) Analyse des trois problèmes proposés aux élèves

a) Chloé a parcouru 25 km en bus puis 328 km en train et a terminé son voyage à pieds. Elle a ainsi parcouru 354 km. Quelle distance a-t-elle parcourue à pieds ?

Ce premier problème arithmétique est de type complexe. Il comporte deux étapes avec la nécessité de faire une addition, puis une soustraction. Si les données sont discrètes, nous émettons l’hypothèse selon laquelle les représentations seront soit des dessins, soit des schémas qui seront de type continu. En effet les notions de distance et de déplacement seront probablement représentées. La procédure de résolution attendue est la suivante : 25 + 328 = 353 puis 354 – 353 = 1. Soit Chloé aura parcouru 1km à pieds.

b) Oscar, Gautier et Rose ont organisé un vide-grenier. Le matin, Oscar a vendu un vieux vélo pour 17€, Gautier a vendu ses skis pour 24€ et les chaussures de skis pour 23€. Rose a vendu son costume de Carnaval pour 9€. L’après-midi, le groupe d’amis a vendu un livre pour 1€ et plusieurs DVD de films. En tout, les trois camarades ont accumulé 90€.
Combien d’argent les amis ont-ils reçu pour les films ?

Ce second problème présente des difficultés différentes du premier. La quantité de données est importante et nous faisons l’hypothèse que la relation entre ces dernières sera difficile à visualiser et de ce fait à modéliser pour certains élèves. Ce problème-ci est également complexe, où cinq additions sont nécessaires et une soustraction. Il est aussi possible d’effectuer cinq soustractions pour arriver au résultat. Les opérations attendues sont les suivantes : 17 + 24 + 23 + 9 + 1 = 74 puis 90 – 74 = 16. Soit les amis ont reçu 16€ pour les films vendus. Ce problème tend probablement plus encore au risque de dessin plutôt qu’à la schématisation. Si tel est bien le cas, cela permettra de faire émerger des conditions d’opérationnalisation. L’importance de lisibilité, la distinction entre schéma et dessin sont des pistes à creuser avec les élèves en vue de dégager des conditions d’opérationnalisation.

c) Clara a 15 billes de plus que Léo. En réunissant les billes de Clara et celles de Léo, on en compte 135 en tout. Trouver le nombre de billes de Clara et de Léo.

Enfin, le dernier problème est le plus complexe d’un point de vue de la formulation de l’énoncé. Il sera important de veiller à la bonne compréhension du problème et de s’assurer que les élèves comprennent bien qui a plus de billes que l’autre. Une des conditions possible à retirer de cette situation serait la précision des données afin que le schéma soit clair quant à cette relation.
Une des procédures attendues est la suivante : 135 – 15 = 120, puis 120 : 2 = 60, enfin 60 + 15 = 75. Soit Clara a 75 billes et Léo 60.

Chaque notion travaillée au sein de ces trois problèmes est maîtrisée, ainsi, la difficulté réside-t-elle dans la représentation mentale (et in fine graphiques) des relations inhérentes entre les données.

2.1.2) Séance n°2

L’objectif sera pour cette séance que les élèves classifient les problèmes produits en séance n°1, toujours en suivant les idées des hypothèses énoncées auparavant.

2.1.2.1) Phases n° 1 et 2

La première phase consistera à rappeler aux élèves la séance initiale ainsi que l’objectif de cette séance-ci. Lors du temps de réflexion laissé aux élèves, le rôle du professeur sera d’étayer et surtout d’enrôler les élèves dans une tâche complexe. L’objectif est de faire réfléchir les élèves sur les fonctions des schémas.