La situation économique de l’Afrique

Le déficit de compétitivité des pays africains, à l’origine de ses difficultés économiques et sociales structurelles depuis plusieurs années, suppose qu’un effort continu d’investissement en infrastructures soit maintenu pour renforcer l’attractivité de ces territoires.
Cet effort d’investissement fut jadis financé par la dette publique, le budget national n’y contribuant que pour très peu. Cependant, aujourd’hui, la dette africaine augmente à un rythme soutenu, atteignant 57% du PIB du continent en 2017 soit environ le double de ce qu\’elle représentait 5 ans plus tôt. Quoique ce taux d\’endettement demeure inférieur à celui de certains pays occidentaux ; toutefois, les bailleurs de fonds traditionnels (Banque mondiale, FMI) tirent la sonnette d’alarme et ce, d’autant plus que les remboursements de dette en Afrique sont passés de 4 % à 11 % des recettes budgétaires en moyenne sur les 5 dernières années.

Afin d’apporter des réponses concrètes en termes d’infrastructures, dans un contexte marqué par un endettement surveillé de près par les bailleurs de fonds traditionnels, la puissance publique devra faire preuve d’ingéniosité et recourir à la mobilisation de financements privés à travers des montages en Partenariat Public-Privé.

Aujourd’hui, le secteur privé s’affirme de plus en plus comme une source de savoir-faire technique et technologique et partant, un transfert de compétence pourra ainsi s’opérer vers les pays en développement. Les secteurs publics et privés ont alors l’occasion de créer des partenariats solides afin que la vocation de service d’intérêt général des uns puisse bénéficier des moyens financiers et techniques des autres.

(Thomas Léonard, 2018), Cependant, après une période de succès, quelques inquiétudes ont récemment émergé en Afrique entre les États et les partenaires privés. Pour illustration, Veolia vient de se voir retirer en 2018 par l’Etat gabonais la concession d’eau et d’électricité qu’elle exploitait via la SEEG et ce, depuis 20 ans. De même, au Djibouti, l’État a brusquement renationalisé le terminal portuaire géré depuis 2006 par l´Émirati DP World.

Face à de tels déboires, il est plus que jamais indispensable, pour les décideurs publics, de se donner les moyens de comprendre et de s’approprier ces montages souvent complexes qui engagent l’Etat sur des décennies et de réfléchir aux facteurs-clés de succès d’un PPP.
C’est tout l’intérêt de ce mémoire, que de mettre en exergue les facteurs-clés de succès d’une telle opération. Décrié par certains et plébiscité par les Etats, le thème du présent mémoire s’énonce comme suit : « Partenariat Public-Privé, levier de développement ou bombe à retardement ?

». De ce thème, il en découle la problématique suivante : « Dans un contexte où les PPP sont à la fois plébiscités par les Etats africains et décriés par certains observateurs, quels sont les facteurs clés de succès d’un tel mode de financement dans les pays en développement ? »

Quels enseignements peut-on tirer des contrats de partenariats conclus dans les pays développés ?

Nous apporterons des réponses concrètes à ces questions dans les lignes qui suivent.

Pour ce faire, notre travail sera divisé en deux parties. La première partie, théorique, tâchera de poser les jalons nécessaires à la compréhension du jargon PPP, du rôle des différentes parties prenantes ainsi que la revue du cadre réglementaire régissant son fonctionnement dans certains pays.

La deuxième partie, pour sa part, procèdera à une approche inductive. Partant d’exemples concrets de PPP infrastructures (contrat de partenariat et contrat de concession), elle s’efforcera de présenter les risques inhérents au montage et de relever les éléments indispensables à son succès.

Chacune des parties fera l’objet de conclusions partielles suivies d’une conclusion générale en guise de synthèse.

Le lecteur trouvera dans le présent travail, la littérature afférente à la compréhension d’un partenariat public-privé ainsi que les conditions nécessaires à sa réussite notamment dans les pays en développement.

1ère partie : Partenariat Public-Privé : que savons-nous de ce concept ?

La première partie de notre travail consistera en une revue de littérature entourant le concept PPP.
Ainsi, le 1er chapitre apportera une définition des PPP tout en s’efforçant de mettre en exergue la typologie des PPP ; rappelons qu’une telle opération représente pour l’Etat un instrument de développement des services publics aussi bien dans les pays développés que dans les pays moins avancés.
Dans le chapitre 2, nous traiterons les principes de montage d’une opération en PPP et ce, du montage juridique au closing financier en passant par la répartition des risques et le déroulement d’un appel d’offre.
Le chapitre 3 mettra la lumière sur le rôle des acteurs et enfin le chapitre 4 présentera le cadre réglementaire des PPP dans les pays développés et dans les pays moins avancés.
Chapitre 1 : Revue de littérature et proposition de définition
Section 1 : Revue de littérature

Les théories qui concourent à la genèse des PPP, tirent leur ancrage sur le rôle et l’efficacité de l’intervention de l’Etat dans la sphère économique.
Parmi ces théories, on peut citer : la théorie du Nouveau Management Public (NMP), la théorie de l’efficience-x, la théorie des coûts de transaction, la théorie de l’agence et la théorie des choix publics.
Toutes ces théories soutiennent les PPP et lui accorde une place de choix.
 Théorie du Nouveau Management Public : Le NMP est une nouvelle forme de management de l’entité publique orientée résultats.
« Le Nouveau Management Public (NMP) est un concept né dans les années 1980 en Grande Bretagne, qui nie ou du moins minimise toute différence de nature entre gestion publique et gestion privée. »
Ainsi, le NMP consiste à :
– Restreindre d’une part, le champ d’activité de la personne publique au moyen de privatisations, partenariat public-privé et de dévolution de certaines responsabilités de régulations à des agences indépendantes ;
– A introduire d’autre part, des mécanismes de gouvernance issus des entreprises privées au sein de l’appareil public (obligation de rendre des comptes, adoptions de normes comptables privées, etc.).
Le rapprochement privé-publique tire alors ses fondements de ce concept théorique.
Le schéma ci-dessous nous montre que la mise en place de PPP est au cœur des fonctions stratégiques de la collectivité publique.

Tableau 1 : Théorie NMP

Source : Laufer et Burlaud, 1980 ; Hood 1991 ; Pollitt et Bouckaert, 2000 ; Gruening, 2001
Ce tableau met en lumière l’une des fonctions stratégiques du NMP qui consiste en la mise en place des PPP.
(Ainahon, 2006)
 Théorie de l’efficience-x : développée par LEIBENSTEIN en 1966, cette théorie sous-entend que les inefficacités organisationnelles des organismes publics résultent de facteurs non identifiables (facteur-x) tels que la motivation, la culture d’entreprise, ect. En 1978, dans un article qu’il publie, LEIBENSTEIN affirme que les sources d’inefficiences organisationnelles sont justifiées par le comportement non rationnel de l’Etat et de ses agents d’une part et par la structure fortement bureaucratique et politisée d’autre part. Il soutient alors que les PPP pourraient réduire substantiellement ces sources d’inefficience permettant de renouer avec la performance et la compétitivité.
 Théorie des coûts de transaction : développée par COASE en 1937 et reprise par WILLAMSON en 1985, cette théorie considère que l’inefficacité des administrations publiques vient de leur incapacité à réduire leurs coûts de transaction (coût d’information, de négociation, d’exécution des contrats) contrairement aux entreprises privées. La rigidité des structures engendrent des comportements opportunistes des agents et des mesures coûteuses de surveillance font que les transactions dans la sphère publique sont de mauvaises qualités. Le recours au PPP permet alors d’atténuer ces risques en les faisant supporter au privé.

 Théorie des choix publics : dans ce même ordre d’idée, BUCHANAN (1972), dans sa théorie des choix publics affirme que l’inefficience des entreprises publiques est le fruit de jeux politiques qui caractérisent l’administration publique. Ainsi, les adeptes de cette école souhaitent que l’intervention de l’Etat soit minimale dans l’économie au profit du marché qu’ils considèrent comme mécanisme d’allocation optimal des ressources et du risque.
Si toutes ces théories préconisent un désengagement progressif de l’Etat au profit des partenaires privés au moyen notamment d’un PPP, certaines études plus récentes tirent la sonnette d’alarme quant aux dérives de cette pratique.

C’est ainsi que N. MAATALA, M. BENABDELLAH et P. LEBAILLY dans leur publication datée du 22/02/2017 mettent en exergue les limites du PPP. Selon ces derniers, les coûts élevés du montage des dossiers initiaux, les coûts de financement supérieurs au financement public, les conséquences sur l’emploi au sein de l’entité publique et la dilution des actifs publics peuvent être des freins non négligeables à la réussite des PPP.
Ainsi, les résultats de notre étude empirique nous permettront de confirmer ou d’infirmer ces incitations au profit des PPP.

Section 2 : Définitions

D’inspiration anglo-saxonne, le PPP représente une forme à la fois nouvelle et complexe de désengagement de l’Etat et relève d’une « innovation organisationnelle ».
Il est considéré comme un instrument pour moderniser la gestion des services publics par l’introduction de méthodes propres aux entreprises privées au sein des organisations publiques.
A cheval entre le « tout public » et le « tout privé », les PPP n’ont pas de définition précise puisque chaque pays peut selon ses besoins et ses attentes, utiliser ces montages contractuels. Toutefois, il est crucial de rappeler que le partenariat public-privé constitue une alternative qui complète le rôle du secteur public mais qui n’a pas pour but de remplacer son investissement.
Ainsi, selon (Michel Lyonnet du Moutier, 2012), la notion de Partenariat Public-Privé (PPP) désigne « l’ensemble des formules de coopération entre des acteurs publics et privés pour l’accomplissement d’une mission de conception, de financement, de réalisation et d’exploitation/maintenance d’un équipement public. »
D’après (Patry, 2004), « Le PPP consiste pour la personne publique, de démontrer que le recours au partenariat présente un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats ».
Selon (Banque Mondiale, 2018), « un PPP se traduit par des dispositions, habituellement à moyen et long terme, entre les secteurs publics et privés grâce auxquelles certains services qui relèvent de la responsabilité du secteur public sont administrés par le secteur privé, scellées par un accord clair sur des objectifs communs relatifs à la livraison d’infrastructures et/ou de services publics ». Toujours selon elle, un Partenariat Public-Privé se définit comme étant « un contrat de long-terme, entre une entité publique et une société privée, au travers duquel la société privée s’engage à fournir un service global pouvant combiner financement, conception, réalisation, exploitation et maintenance d’une infrastructure publique. La société privée est rémunérée soit par les redevances payées directement par les usagers, soit par des paiements de l’entité publique, conditionnés à l’atteinte de certains niveaux de performance du service, soit par une combinaison des deux. »
Habituellement, les PPP n’englobent ni les contrats de service ou les contrats de construction clés en main qui sont considérés comme des projets de marchés publics, ni la privatisation des services publics dans laquelle le secteur public joue un rôle permanent mais restreint.
Selon la (BEI, 2018), « Les PPP sont un mode de rapport entre le secteur privé et les organismes publics qui a souvent pour but d’introduire les ressources et/ou l’expertise du secteur privé pour permettre d’obtenir et de fournir des actifs aux secteurs publics. »
Outre l’exécution et le financement, les PPP ont d’autres caractéristiques non négligeables à savoir : l’accent mis sur la prestation de services et la qualité de l’investissement par le privé ainsi que le type de contrat choisi.
Somme toute, le PPP est une notion polysémique et ambigüe de caractère complexe mais qui n’en demeure pas moins attirante.
Si la théorie du Nouveau Management Public est la genèse des PPP, et présente l’avantage entre autres de déconsolider la dette des Etats, il n’en demeure pas moins problématique pour ses détracteurs (commission des lois du Sénat français, Samuel Laurent : journaliste chez Le Monde, etc.), qui d’ailleurs la qualifient de ‘’bombe à retardement’’, du moins dans sa forme de ‘’Contrat de Partenariat’’.
Selon ces derniers, « il n’existe pas de preuves empiriques fiables sur les coûts et les avantages des PPP », avant de rajouter que « les avantages des PPP doivent être contrebalancés avec la complexité et les rigidités contractuelles qui en découlent ».
« De même, selon le Conseil Economique, Social et Environnemental(CESE, 2014) :
• L’extension du recours aux partenaires privés dans des domaines stratégiques et relevant des fonctions régaliennes de l’Etat (à l’instar de l’éducation ou de la santé) remet en cause l’assurance des conditions d’accessibilité et d’équité future à ces services pour les citoyens ;
• L’intérêt social de ce mécanisme est mis en jeu, ainsi que son intérêt économique, avec une crainte d’effet d’éviction des entreprises nationales, et particulièrement les PME, face à des grands groupes étrangers, dont les capacités techniques, financières et juridiques vont parfois au-delà de celles des Etats ;
• Enfin, les soubassements budgétaires, à savoir l’engagement de l’Etat sur des durées pouvant aller jusqu’à 50 ans, pose la question de la soutenabilité budgétaire et de l’endettement public à moyen et long terme, induit par cet outil de financement. CESE portant sur les PPP au Maroc)