La Communauté économique de l’ASEAN – Mémoire sur l’ASEAN

Les Investissements Directs à l’Étranger ont eu un impact non-négligeable sur le développement des pays de l’ASEAN au cours des deux dernières décennies, autant comme source de savoir-faire technologique que de capital. Ces économies ont non-seulement pu profiter des IDE de pays frontaliers développés (Japon) ou nouvellement industrialisés (Chine), mais ont aussi pu séduire les pays de l’OCDE.
Les IDE consistent en l’achat de titres d’entreprises par des agents non-résidents dans le but d’acquérir un intérêt durable et le pouvoir d’avoir la mainmise sur la gestion. Ces IDE peuvent se matérialiser sous la forme de rachat d’une entreprise existante, d’une création d’entreprise ou d’une simple prise de participation dans son capital, sous condition d’obtention de pouvoir de décision dans sa gestion.
La croissance rapide des pays de l’ASEAN entre 1991 et 1997 a permis à la région de culminer parmi les plus grands récepteurs d’IDE mondiaux, avec un total de 8% des flux mondiaux.
La région a toutefois dû par la suite faire face à deux types de crises : la crise asiatique (1997-1999), crise de change et donc la provenance est endogène, et la crise des subprimes (2007-2012), crise bancaire, boursière, de liquidité et de solvabilité qui initialement était géographiquement exogène.
Depuis les années 1970, les pays émergents d’Asie du Sud-Est affichent un taux de croissance de 8 à 12% avec pour stratégie la spécialisation dans la production de produits manufacturiers pour se tourner vers les exportations. Une main d’œuvre à bas coûts et un système de change fixe qui empêche l’appréciation face au dollar permettent à cette stratégie de générer un avantage concurrentiel. Dans les années 90, ces économies décident de déréglementer leurs marchés financiers afin de faciliter les mouvements de capitaux et augmenter leur dette. En conséquence, les afflux de capitaux et les ratios de dette explosent, et provoquent une montée du prix des actions et de l’immobilier. La récession au Japon du fait de la concurrence des produits chinois a eu pour conséquence un ralentissement de la croissance en Thaïlande dès 1996 du fait d’un recul de 9,4% de ses exportations. Conjointement, les marchés boursiers et immobilier commencent à se retourner, impliquant un retrait progressif des capitaux des investisseurs. Le baht (monnaie thaïlandaise) étant indexée au dollar, elle s’apprécie alors que la demande diminue. En 1997, le gouvernement décide de laisser le baht flotter pour lutter contre sa surévaluation, et voit sa valeur divisée par deux au pire de la
crise. Les pays voisins, alors en concurrence, sont contraints de dévaluer leur monnaie eux aussi afin de maintenir leur compétitivité. L’insolvabilité des dettes libellées en dollars et privées devient alors inéluctable.
L’éclatement de la bulle internet en 2001 a mené la Fed à abaisser son taux directeur de manière à relancer l’économie. Certains crédits, les « subprimes mortgages », sont alors accordés à des ménages peu solvables voir insolvables. Leur taux est variable (indexé sur le taux directeur de la Fed) et est majoré d’une prime de risque. Leur développement est permis par une politique du gouvernement américain simplifiant l’accès à la propriété. Freddie Mac et Fannie Mae vont ensuite titriser ces prêts hypothécaires. La demande pour ces subprimes mortgage explose et, en 2006, ils représentent 23% des prêts immobiliers souscrits, alimentant une bulle immobilière et une bulle de crédit. De 2004 à 2006, le président de la Fed augmente graduellement les taux directeurs de 1% à 5,25% pour lutter contre l’inflation. Les intérêts des prêts hypothécaires suivent donc la même tendance et les emprunteurs deviennent insolvables. Sous la pression de l’offre, la valeur des logements devient inférieure à celle des crédits, ce qui induit des pertes importantes de la part des sociétés de financement américaines qui, pour celles non-considérées comme « too big to fail », feront faillite. La transmission de la crise à l’économie mondiale par la titrisation et les fonds d’investissements contribue donc à paralyser le système interbancaire du fait que les banques ne se prêtent plus dans un climat général de défiance.
Dans quelle mesure les crises financières asiatique et mondiale ont-elles affecté différemment les flux d’IDE dans les pays membres de l’ASEAN+3 ? Quelles différences avec les autres flux de capitaux ?
L’objet de ce mémoire sera donc de déterminer dans un premier temps l’impact des crises asiatiques et des subprimes sur les flux d’IDE en ASEAN+3, puis de mettre en évidence leurs particularités par rapport aux autres flux de capitaux.

I) Incidence de l’origine géographique endogène ou exogène de la crise sur la direction des flux d’IDE en Asie de l’est

A) Les flux sortants plus moins impactés par la crise asiatique que les flux entrants

1. La crise asiatique : une aubaine pour les investisseurs étrangers avisés (Annexe 1)

La dépréciation des monnaies de la zone a conduit à une réduction des coûts de production nationaux des entreprises étrangères, dynamisant l’attractivité des pays touchés par la crise pour les investissements à visée exportatrice. En effet, les salaires et autres coûts opérationnels voyant leur valeur baisser en termes de monnaie étrangère, les investisseurs étrangers avisés ont pu y voir une opportunité pour investir dans les économies les plus touchées par la crise, malgré l’éventualité d’une élimination de cet avantage par l’inflation. Ces avantages sont d’autant plus saillants en ce qui concerne les filiales étrangères à visée exportatrice, ces dernières améliorant leur positionnement concurrentiel relativement aux entreprises non-dévaluées d’autres zones géographiques. Cette dynamique fut notamment observable en Thaïlande, où les IDE dans les secteurs de l’électronique destinés à l’exportation ont connu une hausse conséquente.
Ainsi, le ralentissement de la croissance domestique suite à la crise est contrebalancé par un effet d’attraction des flux d’IDE d’une part, mais également par l’opportunité des firmes transnationales domestiques d’exporter leur production. Cette dynamique explique donc non seulement la significativité mais aussi le faible niveau du coefficient associé au taux de croissance de PIB dans la régression multiple sur les flux d’IDE entrants (Annexe 3). On notera toutefois que la compétitivité des firmes exportatrice des pays les moins affectés de la région s’est vue amoindrie par les dévaluations plus importantes des monnaies des pays frontaliers. De même, ces pays relativement épargnés par la crise ont vu leur capacité à attirer les IDE réduite.
Les coûts d’implantation et d’expansion des installations productives se voient réduits sur le court-moyen terme ce qui induit une attractivité croissante de ces territoires. Les prix de l’immobilier sont donc réduits et de plus en plus d’entreprises nationales se défont de leurs actifs du fait de leur endettement et de leur accès réduit à la liquidité.
En conséquence, la restructuration des entreprises fortement endettées et faisant face à des taux d’intérêts en hausse, à des besoins urgents de fonds, mais aussi à une baisse des cours des actions en contexte de libéralisation des flux d’IDE, a donné lieu à une chute du prix des actifs asiatiques qui a contribué à attirer des investisseurs de tous horizons et à stimuler la vente à rabais lors d’opérations de fusions-acquisitions.
Ainsi, les entreprises étrangères souhaitant s’implanter dans la région ont pu profiter de la crise afin de le faire à coûts réduits, avant que la croissance ne reprenne et que les prix ne remontent.
Cette dynamique de court-terme est observable en Thaïlande, au Cambodge et aux Philippines, où l’on peut observer une forte hausse des flux d’IDE en 1997-1998. Ainsi, en Thaïlande, les flux d’IDE dans les services financiers ont triplé de 1996 à 1997 et ont continué de croître en 1998. La Malaisie, elle, connaît une attractivité croissante de 1998 à 2000. L’expansion des opérations de Seagate Technology, principal fournisseur de technologie et de produits pour le stockage, l\’accès et la gestion de l’information, en Malaisie et en Thaïlande durant la crise afin de servir le marché Européen illustre cette dynamique.
La baisse du volume des flux mondiaux d’IDE à partir de 2001 souligne la baisse des activités de fusions-acquisitions à travers les pays développés. Les flux en direction en l’Asie l’est ont également diminué, mais de manière moins abrupte. En effet, les États-Unis et les pays d’Europe occidentale ont concentré leurs investissements dans les nouveaux pays industrialisés d’Asie, principalement dans les secteurs de l’informatique et des services financiers. Ils investissement également beaucoup en ASEAN, plus qu’en Chine pour les États-Unis.
Les différences observables entre les pays, l’ampleur des conséquences de la crise asiatique sur les flux d’IDE en ASEAN dépend fortement, non-seulement des éventuelles opportunités économiques du pays, mais également du caractère plus ou moins accommodant des politiques publiques et d’un contexte politique stable. Cette attractivité peut se prolonger à plus long-terme grâce une épargne importante et/ou un capital humain flexible et qualifié du pays hôte. C’est le cas de la Corée du Sud et de Singapour qui ont connu une forte expansion des flux intrants d’IDE pendant quatre-cinq ans consécutivement à la crise.

2. Une profitabilité en baisse réduisant les solutions intra-régionales au ralentissement des IDE

L’économie domestique étant fortement touchée par la crise, il va de soi que les IDE à vocation domestique aient eux réagi négativement à la baisse de l’activité régionale. La demande et l’activité étant contractées, les IDE à visée domestique ont subis des reports, annulations ou tout simplement des baisses. L’ampleur de ces effets est assez dépendante du secteur et de l’industrie. Ainsi, les services, très dépendants des conditions de la demande nationale et souvent non-échangeables, ont été bien plus vulnérables à cette crise. A l’inverse, les industries produisant des biens de consommation relativement simples, ni durables, ni de luxe, ont été moins affectées que ces dernières. C’est également le cas de la production ayant recours aux ressources du sous-sol du pays hôte, qui, contrairement aux industries très dépendantes de ressources issues de l’importation, ont su faire face à la crise. On a donc un phénomène d’amoindrissement de la profitabilité qui émerge notamment du fait que des sociétés mères et filiales soient localisées dans des pays où la demande a connu une baisse. Ainsi, il devient plus compliqué pour ces firmes d’autofinancer leurs activités où de se développer davantage, par refinancement ou autre procédé. De surcroît, les firmes asiatiques réalisant la plupart de leurs ventes dans cette même région et ayant eu recours à des emprunts en dollars, la plupart des monnaies asiatiques étant à l’époque indexées sur cette monnaie, elles ont dû faire face au poids de la dette (le baht thaïlandais en premier) du fait de la dévaluation des monnaies nationales suite à leur désindexation couplée à la crise.
Au niveau intra-régional, le Japon a été un émetteur important d’IDE en direction des pays de la région. La croissance et l’industrialisation rapides du Japon ont permis à ses entreprises de chercher des parts de marché à l’étranger et de développer leurs chaînes de productions dans les NPIA pour pallier des coûts de production domestiques croissants. Les flux d’investissements en provenance du Japon ont toutefois radicalement diminué à partir de la crise asiatique. En effet, le secteur financier japonais ayant été gravement touché ainsi que la faible croissance de la région couplée à ses faiblesses structurelles ont amené le Japon à une rationalisation de ses IDE et une contraction de ses prêts à l’étranger.
Alors que les flux d’IDE en provenance des pays développés continuent d’être importants dans la région, en particulier ceux venant des États-Unis et du Japon, l’expansion des liens commerciaux et le développement des échanges régionaux récents ont permis d’amoindrir le ralentissement des flux d’investissements intra-régionaux. Alors que le Japon reste la principale source régionale d’IDE, Hong Kong, Taiwan et la Corée du Sud ont une place importante dans les flux en direction des économies de l’ASEAN et de la Chine, car délocalisent leur production intensive en facteur travail dans ces zones où la main d’œuvre est bon marché. De la même manière que le Japon, ces économies se sont également dirigées vers une production basée en Chine dans un large éventail de secteurs manufacturiers à plus forte valeur ajoutée.
Malgré la crise encore récente, les flux d’IDE au sein de l’ASEAN ont augmenté de 1999 à 2002 passant de 7% du PIB de la région à 17% et ont continué de croître par la suite.
La Chine est le plus gros récepteur d’IDE, et, de 1992 à 2002, elle a reçu plus d’IDE que l’ensemble des pays membres de l’ASEAN. En 2002, la Chine était le premier récepteur mondial d’IDE, devant les États-Unis. Elle recevait 33% des flux mondiaux d’IDE en 2002 dont 60% des flux en direction de l’Asie de l’est. De plus, les flux en direction de la Chine continuaient d’augmenter alors même que les flux mondiaux étaient en baisse. Pareillement, le rôle de la Chine en tant qu’investisseur ne cessait de croître comme en témoigne le fait qu’elle ait dépassé l’ASEAN en 1995 en tant qu’émetteur d’IDE.

3. Le cumul des difficultés en termes de changes, liquidité et taux d’intérêts freine la capacité d’émission d’IDE sortants des pays membres de l’ASEAN (Annexe 2)

Pour une grande partie des économies asiatiques touchées par la crise, celle-ci a eu pour effet la réduction de la capacité financière et de la sensibilité des firmes transnationales asiatiques à générer des IDE, que ce soit en direction de l’ASEAN elle-même ou vers d’autres régions du monde. La réduction de la profitabilité, de la valeur des actifs des firmes transnationales asiatiques et le poids de la dette sont donc les causes d’un tel schéma.
Ces éléments ont été d’autant plus importants du fait de taux d’intérêts élevés, des difficultés à lever des fonds à l’étranger du fait de mauvaises notations de crédits ainsi que des coûts importants des manœuvres à l’étranger en raison de la dépréciation de la monnaie nationale. En conséquence, les firmes asiatiques ont vu leur capacité à initier des IDE vers l’étranger amoindrie. Le manque de liquidité a poussé certaines firmes à se défaire de certains de leurs actifs que ce soit en Europe, aux États-Unis ou même en Asie.
Néanmoins, certaines firmes transnationales régionales ont pu profiter de cette crise afin de réduire leurs ventes domestiques et d’accroître celles à l’étranger, profitant de taux de changes favorables. C’est le cas notamment de Toyota Motor Thailand qui, malgré une baisse de sa production car ayant anticipé une baisse de la demande domestique, a connu une hausse de ses exportations consécutivement à la crise.
Par ailleurs, bien que la tendance générale ait été à la libéralisation des capitaux, des politiques de réduction des sorties de capitaux ont pu indirectement affecter les flux d’IDE. A l’inverse, d’autres politiques ont eu pour objet de réduire directement les flux sortants d’IDE. C’est le cas de la Malaisie, dont le gouvernement encourageait les flux d’IDE à la veille de la crise, et, qui, à partir de sa survenance a souhaité maintenir la liquidité optant pour des mesures plus protectionnistes. Le gouvernement Malaisien a d’ailleurs déclaré dès 1997 que les investissements financés par des emprunts extérieurs devaient être différés (à hauteur de 7 milliards de ringgits environ), mais que ceux générant des recettes en devises devaient être maintenus.

B) La crise des subprimes affecte indirectement les flux d’IDE d’une ASEAN plus résiliente

1. Les flux entrants d’IDE baissent en raison du ralentissement de la croissance dans les pays de l’OCDE (Annexe 1)

La crise des subprimes qui a débutée mi-2007 aux USA et s’est transformée par la suite en crise mondiale a conduit les flux mondiaux de d’IDE à plonger de leur pic de 2007 de 14% en 2008 et de 39% en 2009. La croissance mondiale s’est considérablement amoindrie, principalement dans les pays de l’OCDE. En conséquence, les degrés variables de dépendance économique des pays de l’Asie de l’est envers les pays occidentaux les ont conduits à subir de manière plus ou moins forte ces chocs, les pays les plus intégrés comme Singapour, le premier récepteur d’IDE d’ASEAN, ayant été les plus touchés. Ainsi, les flux d’IDE en direction de l’Asie de l’est ont chuté en 2009 du fait de sa forte intégration à l’économie mondiale en termes d’investissements et d’échanges commerciaux. La forte dépendance de ces économies à la demande extérieure, impliquant des politiques fondées sur l’excédent commercial illustre la vulnérabilité de cette région aux chocs externes. En effet, selon Thomsen, Otsuka et Lee , la réduction des opportunités d’investissement a conduit les entreprises à mener des stratégies d’investissement plus prudentes. De surcroît, ils observent un accès restreint au financement du fait des difficultés inhérentes au secteur financier, au niveau des opportunités de lever de fond via des initial public offerings, l’émission de bons de trésorerie, et la baisse globale du prix des actions.
Quelque que soit l’ampleur de l’impact, la reprise a été très rapide : la forte chute des entrées d’IDE dans l’ASEAN entre 2008 et 2009 a été compensée par la reprise amorcée en 2010, lorsque les entrées totales sont revenues au niveau atteint en 2007, pic historique pour leurs entrées. L’Asie du Sud-Est a connu une forte reprise des entrées d’IDE grâce à la souplesse de ses règles, à une croissance soutenue et à une plus grande stabilité politique et économique. Les entrées dans les 10 pays de l\’ASEAN ont plus que doublé en 2010, atteignant la valeur de 79 milliards USD. Cette tendance positive est principalement due aux fortes augmentations des entrées en Indonésie, à Singapour, aux Philippines, en Malaisie et en Thaïlande.
La même évolution a également été constatée en 2011, lorsque les entrées reçues par l’Asie du Sud-Est s’élevaient à environ 92 milliards USD, soit une augmentation de près de 14% par rapport à 2010. Ces bonnes performances de la région ont de nouveau été tirées par les fortes hausses des entrées d\’IDE en Indonésie, en Malaisie, à Singapour et en Thaïlande. Cependant, certains États de l’ASEAN à faible revenu, comme le Cambodge, la Birmanie et le Laos ont également réussi à attirer les investissements étrangers. Jusqu’en 2013, le montant investi par les entreprises multinationales des pays de l\’OCDE situés dans les pays de l’ASEAN s’élevait à plus de 320 milliards de dollars US, dépassant la somme reçue par la Chine et l\’Inde combinées. Ces données démontrent que l’ASEAN joue un rôle croissant dans les réseaux de production mondiaux.
En outre, les pays de l’ASEAN ont poursuivi leurs réformes économiques, qui prévoient également une amélioration de l’environnement de leurs investissements, conscients du fait que les IDE pourraient les aider à soutenir la croissance. Les États membres de l\’ASEAN ont ainsi signé l\’accord global d\’investissement de l\’ASEAN en 2009 et la communauté économique de l’ASEAN en 2015 afin de nourrir entre autres cet objectif.

2. Le renforcement des liens régionaux concourt à une croissance des flux intra-régionaux

Bien que la plupart des flux d’IDE provenaient des pays occidentaux, la croissance des flux issus de l’Asie de l’est vient contrebalancer l’effet néfaste de la crise sur le volume d’émission d’IDE en provenance des pays de l’OCDE. En effet, les pays membres de l’ASEAN ont cherché à consolider leur coopération économique afin de diversifier leurs sources de flux d’IDE entrants et d’être moins dépendants des pays étrangers. Cette volonté d’indépendance économique et financière se matérialise par l’Initiative Chiang Mai (2000), l’Asian Bond Markets Initiative (2002), le Bilateral Swap Agreement (2010), le ASEAN Comprehensive Investment Agreement (2009) ou encore le ASEAN Economic Community (2015).
De ce fait, les flux intra-régionaux de la zone ont fortement cru jusqu’à devenir la première source d’IDE de la région en 2008, mais ont connu une baisse l’année suivante. Le fer de lance de ce processus se retrouve dans les firmes de Singapour et de Malaisie qui se positionnent comme investisseurs majeurs au sein de la région.

3. Le développement récent des Dragons et Tigres les amènent à émettre plus d’IDE vers l’étranger que les pays traditionnellement industrialisés de la région (Annexe 2)

Les IDE en direction de l’étranger des pays membres de l’ASEAN sont bien plus importants que ceux des firmes d’Inde ou de Chine, et ce même en direction des pays de l’OCDE. Cette dynamique s’illustre du fait de taux d’épargnes important, de produits technologiques sophistiqués ou encore de faibles restrictions à l’échange. En effet on constate que l’épargne brute en pourcentage du PIB a atteint son niveau le plus important au sein de la région lorsque la crise se faisait la plus virulente, oscillant à des niveaux entre 50 et 52% pour la Chine, 25 et 33% en Indonésie ou encore 43 et 45% pour les Philippines entre 2007 et 2011. La régression que nous avons effectuée confirme la significativité et l’impact positif de la variable épargne brute en pourcentage du PIB sur les flux d’IDE pour tous les pays de l’ASEAN+3. (Annexe 4)
La quasi-totalité des IDE sont issus de Singapour ou de Malaisie, à hauteur de 72% et 21% respectivement du total des flux d’IDE sortants de la région. De même, les firmes issues de Thaïlande, d’Indonésie ou encore des Philippines ont elles aussi investi massivement à l’étranger aux alentours de la crise.
Malgré des différences internes entre les pays membres de l’ASEAN dans leur émission d’IDE à l’étranger, existent certains points de convergence. La hausse des investissements à l’étranger est fortement guidée par la politique locale du gouvernement avec la place importance des entreprises publiques ou proches du pouvoir. Ceci a permis notamment le développement des investissements à l’étranger des firmes asiatiques comme une dynamique d’ensemble, et ce malgré une intensité disparate. D’autre part, le contexte international et les prédispositions capitalistiques de la région ont impulsé la hausse de la part des services dans les flux d’IDE principalement issus de Singapour ou de Malaisie.
Les raisons de ce type d’investissement sont propres à chaque firme, pays, secteur ou propriété. Plusieurs motivations comme l’accès au marché, la diversification des actifs, ou encore la recherche de technologies incitent les pays asiatiques à générer des IDE vers l’Occident.
La crise des subprimes a eu un impact fort dans les activités de fusions et acquisitions, ayant pour conséquences un désinvestissement massif et des restructurations, en particulier en ce qui concerne les firmes fortement endettées dans les secteurs les plus sévèrement atteints (immobilier, bien de consommation durables, secteur financier etc..). Si l’on compare les achats de fusions et acquisitions par des entités régionales à l’étranger et les flux d’IDE sortant, on obtient un ratio fluctuant autour d’une hausse moyenne à moyen terme d\’environ 0,9. Pour les pays en développement, le chiffre est également en hausse, mais il est inférieur en moyenne et plus volatil. Le ratio ne semble pas non plus avoir suivi une tendance bien définie durant les épisodes de crise. Une des explications de ce chiffre est que les entreprises de ces pays ne disposent habituellement pas des institutions financières pour maintenir une telle activité, telles que les marchés boursiers profonds et les marchés des obligations de sociétés bien développés. Le ratio pour l’Asie de l’Est dans sa globalité est aussi bien inférieur à la moyenne de l’économie des pays développés et n’affiche aucune tendance claire. Singapour est le seul pays pour lequel le ratio est toujours nettement supérieur à la moyenne régionale. Cela reflète probablement à la fois les marchés financiers bien développés de ce pays et ses entreprises militantes liées au gouvernement, qui mènent de nombreuses activités de fusions et acquisitions à l’étranger.
Ainsi, les crises ont eu un impact différent sur les flux d’IDE, du fait de la nature et origine géographique de la crise, de la direction des flux d’IDE, mais aussi du contexte changeant avec une ASEAN plus préparée et résiliente face aux chocs. Le caractère particulier, notamment de long-terme des flux d’IDE laisse penser qu’ils aient pu réagir différemment à de tels chocs que d’autres flux de capitaux ayant une durée de vie moindre. Il s’agit donc dans cette seconde partie de déterminer le caractère singulier des IDE dans leur réaction aux chocs à travers une présentation des dynamiques à l’œuvre pour les autres types de flux.

II) Les IDE réagissent différemment aux crises que les autres flux de capitaux

A. Dynamiques évolutives des flux de capitaux en contexte de crise et dans le cadre d’un régime monétaire et financier nouvellement construit

1. Réactions des flux de capitaux hors-IDE face aux crises

Crise asiatique
La crise asiatique a fortement modifié la dynamique des flux de capitaux dans les années qui ont suivi cette crise.
Tout d’abord, l’Asie de l’est exporte des capitaux vers le reste du monde en quantités conséquentes. La demande extérieure croissante, ayant conduit à un excédent d’exportations, a permis de faciliter la sortie de la crise asiatique. Ensuite, l’Asie de l’est participe à un échange international de risques ce qui concoure à renforcer les bilans nationaux et des firmes de la région, et rend les économies de la région plus résilientes. Ce processus s’illustre par une exportation de capitaux relativement sûrs, tout en important des capitaux risqués. Ainsi, l’Asie de l’est achète des titres de grande qualité de gouvernements et d’agences occidentaux et japonais, tout en vendant des actifs, actions et obligations de qualité faible et moyenne. Ce procédé a été critiqué comme entravant le développement des marchés obligataires de l’Asie de l’est. Il a néanmoins permis, en attirant des capitaux propres et des flux de dette subordonnée, tout en remboursant des dettes et en accumulant des actifs liquides, d’utiliser les marchés financiers mondiaux pour se désendetter et améliorer ses liquidités.
Le capital investissement a afflué dans la recapitalisation de banques en difficulté ou encore dans l’achat de portefeuilles de créances douteuses. Les capitaux propres du portefeuille ont afflué dans la région à la suite de la crise, malgré l’instabilité des performances des marchés boursiers dans les grandes places internationales. Toutefois, la tendance à moyen terme se rapproche plus d’une hausse. Par ailleurs, la corrélation entre les principaux marchés d’actions internationaux et les marchés d’actions régionaux (Chine exclue) a eu tendance à croître. Ce phénomène est notamment dû à des liens plus étroits avec les principaux marchés d’exportations régionaux, industries et industries régionales.
Les banques de la région ont aussi vendu des dettes subordonnées à des investisseurs américains. Les obligations de qualité moindre ou supérieure, émises par des emprunteurs souverains et des entreprises, ont été échangées partout dans le monde. Les capitaux de l’Asie de l’est ont eux été absorbés par des titres à risque moindre et par des canaux interbancaires. Parmi les titres acquis figurent des titres du Trésor américain, des agences américaines, de la dette publique japonaise ou encore de la dette souveraine européenne. Le remboursement important par les sociétés régionales de leurs dettes en dollars a conduit à un flux combinant capital risque et fonds à faible risque. Effectivement, le remboursement de 300 milliards de dollars entre la crise et courant 2002 a libéré presqu’un dixième du capital bancaire, alors que les fonds véritablement remboursés se sont vus acheminés en direction des marchés bancaires internationaux en tant que fonds interbancaires à faible risque. Ce processus permet donc à l’Asie de l’est de fournir au reste du monde des capitaux à risque relativement faible.
Prenant la relation inverse, les prêts des banques étrangères à l’Asie de l’est ont chuté considérablement dans les années qui ont suivi la crise asiatique, dont un retrait important des banques Japonaises. La baisse de la volonté des pays étrangers de prêter à l’Asie de l’est n’a pas été cantonnée aux prêteurs d’une région donnée. Début 2000, les prêts issus des banques Japonaises se sont toutefois stabilisés à des niveaux bas avant de remonter. Des évolutions similaires sont observables au niveau des pays occidentaux. Une grande partie de la baisse des prêts des banques étrangères à l\’Asie de l\’Est est imputable à celle des banques japonaises aux principaux centres financiers de l\’Asie de l\’Est, Hong Kong et Singapour. La baisse importante des prêts des banques japonaises amorcée dès 1995 témoigne de problèmes inhérents au secteur financier japonais. A l’origine, la baisse des prêts du Japon à l’Asie de l’Est a été en partie compensée par une augmentation des prêts de l’Europe. Toutefois, la crise financière de l’Asie de l’Est en 1997-1998 a donné lieu à une baisse des prêts de l’Europe. Toutefois, les flux intra-régionaux ainsi que l’importance de la Chine ont eu un effet de résilience vis-à-vis de ces baisses apparentes, observant un rebond immédiat.
Les prix des actions d’Asie de l’est ont doublé entre 1991 et 1996 avant de chuter lors de la crise financière asiatique de 1997-1998. La chute de la valeur de ces actions témoigne d’un retrait massif des investisseurs nationaux et internationaux. Cette dynamique s’observe en particulier en la Thaïlande dont la valeur des actifs a chuté de près de 80% entre 1996 et 1998. Les marchés régionaux d’actions se sont stabilisés de 1999 au début des années 2000 aux environs de leur niveau à la veille de la crise. Dès début 2003, le marché des actions des économies en développement de l’Asie du sud-est a cru plus fortement que celui des économies les plus industrialisées de la région. Cela témoigne de la croissance économique plus forte depuis mi-2002 en l’Asie du sud-est, les effets de l’épidémie du virus SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) à Singapour, Hong Kong et Taiwan début 2003, les difficultés des entreprises et la mince croissance du PIB coréen.
Entrées et sorties de capitaux diffèrent non seulement par leur profil de risque mais aussi du fait de la nature des contreparties. Les entrées de capitaux dans la région sont généralement le fruit d’achat de capitaux privés par des particuliers. A l’inverse, les flux sortants concernent les fonctionnaires du secteur public qui investissent le produit de leurs interventions sur le marché des changes dans des instruments officiels ou quasi officiels, tels que les titres d\’agences américaines. Les effets positifs de ces flux de capitaux bruts sur le renforcement de l’architecture financières en Asie de l’est ne sont pas gratuits. Le coût engendré prend la forme de spread de crédit ou une prime d’équité. Les obligations subordonnées libellées en dollars émises par des banques coréennes ou indonésiennes ont rapporté à l’émission 3 à 4 points de pourcentage de plus que les rendements plus sûrs obtenus grâce à l\’investissement de réserves. Sur 234 dollars ou en euro émis par des emprunteurs d’Asie de l’est entre 1997 et 2002 (totalisant 84 milliards de dollars), l’écart moyen payé relativement au rendement des obligations du Trésor américain ou d’autres titres publics a atteint 233 points de base.
Ainsi, les investisseurs devraient recourir aux marchés mondiaux pour diversifier leurs avoirs en créances à risque. En revanche, les économies d’Asie de l’est extrapolent automatiquement leurs bilans pour transmettre les risques au reste du monde et accumuler des liquidités. Cela peut avoir un sens dans une certaine mesure si les économies d’Asie de l’est sont très centrées sur la demande extérieure, pour partie du fait de leur exposition importante à la production technologique. Non seulement les avantages de la diversification peuvent être réduits, mais la protection de la liquidité contre les fortes baisses dans le secteur des technologies peut également présenter une valeur élevée.
Crise des subprimes
L’impact de la crise des subprimes sur les flux de capitaux en Asie de l’est a été moins virulente que pour les économies occidentales.
A l’exception de la Corée du sud, les ratios de dépôts de prêt des banques se sont vus maintenus à de faibles niveaux. Les banques asiatiques disposant d’une épargne relativement importante, ont fait face à des besoins réduits quant à l’obtention de financements sur le marché de gros. Le faible recours au financement interbancaire les a aidés à échapper à la compression importante du dollar subie par les banques occidentales.
Les passifs extérieurs nets étant à hauteur de 23% du PIB en Thaïlande, 3% en Malaisie, 38% en Indonésie et 24% en Corée, ces pays sont donc débiteurs extérieurs nets. Toutefois, d’autres pays de la région avaient, eux, des avoirs extérieurs nets. C’est le cas de la Chine (30%), du Japon (49%), de Singapour (92%) et de Hong Kong (252%). La diversification des positions au sein des pays de la région a contribué à la stabilisation de ses conditions financières.
D’autre part, l’exposition limitée des banques asiatiques aux produits structurés américains a permis de réduire la contagion de la crise dans la région. En effet, les ratios investissements structurés / fonds propres en 2008 n’étaient que de 5% aux Philippines, 3.8% en Chine et en Thaïlande, 2% en Corée, 1% en Malaisie, ou encore 5% à Hong Kong selon le FMI.
La dette des ménages est restée assez faible dans la région avec des ratios de 13% en Chine, 80% en Corée, ou 70% au Japon alors que ces ratios avoisinaient souvent les 100% en Europe. Cette dynamique aurait pu avoir atténué l’impact déflationniste des problèmes du secteur financier sur les ménages, et ainsi à la croissance de leur consommation.
Ensuite, tous ces pays disposent de réserves de change conséquentes du fait d’excédents qu’ils ont pu accumuler du compte courant. De ce fait la dette extérieure en termes de pourcentage des ratios des réserves de devises s’est vue plafonnée à 100% dans la plupart des pays de la région, à l’exception de l’Indonésie (250%) et de la Corée (100% environ mais au-dessus de 100% sur la dette de court terme uniquement). Si les réserves en devise sont inférieures à celles des États-Unis, les pays sont considérés comme vulnérables à une crise du compte de capital.
La région a été durement touchée suite à la faillite de Lehman Brothers. Les économies les plus ouvertes ont été fortement impactées par la réduction des entrées de capitaux, en particulier en ce concerne les emprunts extérieurs et le financement sur les marchés boursiers. L’amoindrissement du goût pour le risque et l’accroissement des pénuries de liquidités aux EUA et en Europe ont inversé leurs activités d’investissement, provoquant une hausse rapide des primes sur CDS et des taux d’intérêts du marché interbancaire, une chute des cours des actions et une dépréciation rapide des taux de changes en Asie de l’est.
La crise s’est propagée dans la région grâce notamment aux filiales de banques étrangères ayant des activités en Asie de l’est. Les banques occidentales ayant connu les problèmes de bilan les plus graves, ces filiales se sont retrouvées plus sévèrement touchées que les banques locales en Asie de l’est, du fait de financements de leur pays d’origine en baisse. Les succursales des banques américaines de la région ont procédé à des réductions de prêt. Le financement du commerce a également baissé car beaucoup de banques ont diminué leur offre de lettres de crédits en l’absence de sources de financement, ainsi que la baisse de confiance mutuelle.
Alors que la plupart des devises asiatiques se sont dépréciées en 2008, le yuan chinois et le yen japonais ont affiché des tendances inverses. Le yen japonais s’est fortement apprécié en comparaison au dollar US du fait de la disparition des opérations de portage en yens qui étaient actives avant la crise des prêts hypothécaires à risque. De plus, l’évaluation du yen japonais comme monnaie internationale a connu des améliorations, du fait notamment de l’incertitude croissante quant aux secteurs financiers occidentaux ayant un impact négatif sur la crédibilité de leurs devises. Les dégâts limités causés au secteur financier japonais par la crise des prêts hypothécaires à risque vient renforcer ce constat. D’autre part, l’appréciation du yuan chinois met en évidence des excédents commerciaux toujours forts et en croissance car le ralentissement des importations a été plus important que celui des exportations.

2. Impact des mesures prises à la suite de la crise asiatique sur les flux de capitaux

En réponse à la crise asiatique, Catherine Figuière et Laëtitia Guilhot font le constat que différents accords ont été mis en place afin de protéger les marchés asiatiques des crises à venir. Le premier d’entre eux est l’Initiative Chiang Mai. Il s’agit d’une initiative de coopération financière régionale, conclue en Mai 2000 lors du meeting de l’ASEAN+3 qui stipule que les pays participants peuvent mutuellement puiser dans leurs réserves de change afin de contrebalancer les sorties imprévues de devises et éviter une fragilisation abrupte de leur économie nationale. Le refus du FMI du projet de création d’un Fond monétaire asiatique (FMA) en 1997 a contribué à impulser un élan de politiques économiques régionales, comprenant un système de financement régional, dont un accord de swap élargi de l’ASEAN pour inclure l’ASEAN+3, les accords de swap bilatéraux et les accords de rachats pour complémenter les institutions internationales et provisionner en liquidité les pays rencontrant des difficultés de balance des paiements à court terme.
Toutefois, l’ICM étant une mesure venant contrebalancer les crises de change comme celle de 98, elle n’assure pas une protection suffisante pour se prémunir contre des crises systémiques comme celle des subprimes. En effet, même des réserves conséquentes n’immunisent pas un pays d’une crise d’ampleur mondiale. En 2009, alors que la Chine disposait de près de 2 000 milliards de dollars américains de réserves de devises, cela ne l’empêchait pas de connaître une forte récession économique. Le ralentissement des flux d’IDE et des exportations ont engendré le licenciement de plus de 20 millions de travailleurs migrants chinois.
Existe aussi un coût d’opportunité à la détention et mise en commun des réserves. En effet, l’accumulation de réserves ne constitue pas forcément leur utilisation la plus productive, celles-ci pouvant servir à dynamiser l’économie régionale via des investissements ou réduire la dette. Ainsi, l’ICM ne couvrant pas entièrement le risque systémique, et réduisant les opportunités d’investissements dans la région, les IDE ont pu être affectés d’une part par la crise des Subprimes, et d’autre part par un manque d’investissement dans la région pour augmenter son attractivité ou sa capacité à émettre des IDE.
Toutefois, l’Asian Bond Market Initiative (ABMI) vient contrebalancer cette dynamique réductrice des IDE potentiels. Mise en place en 2002 et regroupant les économies de l’ASEAN+3, elle cherche à développer des marchés obligataires efficaces et liquides en Asie, ce qui permettrait une meilleure utilisation de l\’épargne asiatique pour des investissements au sein de la région. Elle vise notamment à augmenter l’émission obligataire dans la région afin de financer les IDE dans les pays asiatiques.

B) Les flux entrants d’IDE sont principalement guidés par l’appréciation sur le long terme et sont donc moins réactifs aux crises que les autres flux de capitaux

1. Les flux d’IDE sont moins volatiles que les autres flux de capitaux (Annexe 7)

Les flux d’IDE ayant un horizon d’investissement de long terme, apparaissent plus stables et moins volatiles que les autres flux de capitaux privés que ce soit en période prospère ou de remous économique et financier. En conséquence, ils sont moins problématiques au regard de l’évolution du secteur financier et des politiques de changes.
Selon nos calculs, les flux sortants apparaissent moins volatiles que les flux entrants d’IDE, que ce soit sur la période 1982-2017, ou sur une période de +/- 3 ans par rapport aux crises. En effet, respectivement, les flux entrants en pourcentage du PIB ont une volatilité de 1.33, 0.75 (crise asiatique), et 0.81 (crise des subprimes) contre 0.87, 0.59 et 0.57 pour les flux sortants. Dans la lignée des affirmations précédentes, ces niveaux de volatilités sont bien inférieurs à ceux des autres flux de capitaux, comme les crédits intérieurs fournis par le secteur financier (15.20, 4.81, 15.60 respectivement), les actions transigées (23.22, 11.23, 16.95) ou encore l’accumulation nette de passifs (1.29, 1.86, 1.03). De manière générale, le niveau des flux reste identique que ce soit en période d’avant crise et d’après crise, et ce indépendamment du degré de contrôle de capitaux du pays hôte.
Lors de la crise asiatique, la volatilité des flux des portefeuilles s’est vue accrue dans la plupart des pays, tandis que les IDE ont eu des évolutions moins marquées. Cela coïncide avec la dynamique mise en lumière précédemment : alors que les IDE sont des investissements à horizon de long terme et donc moins sensibles aux chocs que les autres formes de capitaux, les investissements de portefeuille eux évoluent au gré du contexte macro-financier. En effet, ces derniers ont plus « d’options » et les investisseurs ajustent leur portefeuille au regard des évolutions des marchés et de la valeur de leurs actifs et répondent donc à une logique plus courtermiste.
On constate qu’au sein de l’Asie de l’est, il n’y a pas une tendance unique de long terme quant à la direction de la volatilité des flux entrants. Alors qu’en ce qui concerne Singapour on observe une baisse de la volatilité dans les deux cas, la Malaisie et la Thaïlande font face une hausse de leur volatilité. D’autre pays comme la Corée ont des flux qui suivent des évolutions similaires que ce soit en flux entrant ou sortant d’IDE, contraires aux flux de portefeuilles qui eux aussi évoluent dans le même sens (en l’occurrence baisse de volatilité).
Les flux sortants d’IDE présentent les mêmes caractéristiques que les entrants : certaines économies comme la Chine ou la Thaïlande voient leur volatilité augmenter légèrement, tandis que d’autres comme Singapour font face à des baisses toutes aussi minces. Alors que les flux sortants de portefeuilles ont augmenté durant la crise asiatique dans la plupart des économies de la région, on ne constate pas de tendance concernant les flux sortants d’IDE. La légère baisse des flux de portefeuille en Malaisie s’explique par des mesures restrictives concernant la mobilité du capital.

2. L’influence du contexte politique et réglementaire sur les flux de capitaux à LT et CT

L’Indonésie apparait comme un cas singulier. Alors que les indices de volatilité antérieurs à la crise étaient dans la moyenne de l’ASEAN, ils ont connu un pic lors de la crise. Par la suite, la volatilité des flux de portefeuille a retrouvé son niveau pré-crise tandis que les IDE sont restés relativement volatiles. Ceci s’explique du fait que l’Indonésie a été la plus touchée par la crise asiatique, mêlant instabilité économique, financière et politique. La crise est survenue au terme de 32 ans de régime de Soeharto en 1998, donnant lieu à un contexte politique précaire. Ceci a eu pour échos la fuite des investisseurs étrangers, conduisant à des flux négatifs d’IDE de 1998 à 2004. D’autre part, l’Indonésie ayant des ressources minières importantes, ce secteur très volatile attire une grande partie des IDE, ayant pour conséquence des variations de flux assez importantes.
Comme le soulignent Barbet Philippe et Nathalie Coutinet , au Japon, l’ouverture de l’économie aux échanges est assez récente. Elle date du début des années 1990, par la double impulsion de réglementations concernant le fonctionnement de l’économie et de pressions commerciales croissantes. Le véritable tournant eu lieu à la suite de la crise asiatique, qui fut reconnaître au gouvernement le rôle moteur des exportations et importations dans la prospérité économique du pays. De nombreuses mesures ont ainsi eu directement ou indirectement eu un impact positif sur les flux d’IDE. La première mesure effective d’ouverture aux IDE fut l’OTO (Office of Trade and Investment Ombudsman) en 1982, ayant pour objet de faciliter les flux entrants d’IDE.
Conclusion

Ces deux crises ont des caractéristiques ayant induit des réactions diverses des flux IDE vers et en provenance de l’Asie de l’est.
Premièrement, la crise asiatique de 1997-1999 est une crise géographiquement endogène alors que la crise des subprimes est initialement géographiquement exogène bien que sa propagation à l’ensemble du système financier mondial finisse par parasiter les économies asiatiques les plus intégrées.
Ensuite, l’économie mondiale en période de crise des subprimes était en pleine de contraction tandis qu’elle était en pleine expansion durant la fin des années 2000. Alors que la plupart des économies asiatiques ont vu leur activité se contracter durant la crise asiatique, l’Asie de l’est a mieux surmonté la crise des subprimes que ses voisins occidentaux, malgré une croissance négative des économies les plus dépendantes du contexte mondial (Malaisie, Corée, Taipei, Singapour).
La faible exposition de la majorité des économies de l’Asie de l’est à l’implosion du secteur financier occidental ainsi qu’une épargne conséquente leur ont permis de s’en sortir relativement bien. Néanmoins, la propagation de la crise aux économies asiatiques s’est majoritairement effectuée via le canal des échanges commerciaux.
Le maintien du libre-échange et l’absence de mesures protectionnistes malgré une crise d’origine étrangère ont permis des opportunités d’investissements, alors que d’autres pays comme ceux d’Amérique latine ont été tentés de réduire leur ouverture. Cette décision prend le contrepied de celle prise par la Malaisie fin années 90 qui refusa l’aide du FMI et mit en place des mesures protectionnistes afin de surmonter seule la crise.
Enfin, les flux d’IDE en direction de l’Asie ont logiquement baissé lors de la crise financière mondiale en réaction au credit crunch, mais dans le même temps les actifs des pays développés perdent de la valeur et se transforment en opportunités d’investissement pour les investisseurs asiatiques avisés. On observe donc la dynamique inverse à celle de la crise asiatique. Néanmoins, la plupart des économies ayant bien résisté à la crise récente, leur relative consistance a permis d’accroître leur attractivité venant contrebalancer la valeur encore élevée de leurs actifs.
De manière générale, les flux d’IDE étant plus axés sur une dynamique de long terme, ils ont été moins réactifs aux crises que les autres flux de capitaux, mais ce constat reste conditionné à au contexte politico-réglementaire agissant comme gouvernail de ces flux.