Développement des marchés financiers

Le principe selon lequel les systèmes financiers influencent la croissance économique de long terme a suscité bien des interrogations parmi les chercheurs du développement. Les questionnements reposent sur le fait que certains pays arrivent à instaurer des systèmes financiers bien développement qui permettent d’allouer les ressources financières vers les projets et investissements rentables alors que certains pays n’y arrivaient pas. Il s’est avéré important donc de rechercher les facteurs du développement des marchés financiers.

Au regard de l’importance du développement financier, il y a eu un approfondissement des recherches sur les facteurs fondamentaux permettant un bon fonctionnement des systèmes financiers. La plupart de ces recherches ont souligné le rôle du système légal et institutionnel dans l’explication des niveaux de développement des systèmes financiers.

Les travaux de La Porta et al. (1997 ; 1998 ; 1999 ; 2000), en représentent les principales illustrations. Parmi les plus importantes institutions qui agissent sur le niveau de développement financier, il ressort le cadre juridique et réglementaire qui:
assure le respect des contrats.
prévoit une démarche précise pour résoudre les différends commerciaux et des procédures de faillite ordonnées lorsque les emprunteurs ne peuvent pas rembourser leurs dettes.

La théorie de la loi et de la finance, fondée par les travaux de R. La Porta et al. (1998), stipule que c’est l’origine historique et conceptuelle des systèmes juridiques qui reflètent l’origine des différences entre les systèmes financiers. Cette théorie présente deux canaux par lesquels le système légal arrive à affecter le développement financier. Il s’agit du canal politique et le canal de la protection des droits de propriétés.

D’une part le canal politique considère que les traditions légales diffèrent en fonction des priorités qu’elles accordent aux droits de propriété privée et le droit des investisseurs. A ce propos, R. La Porta et al. (1999) considèrent qu’une tradition de droit civil peut être interprétée par une volonté de mettre en place des institutions visant à renforcer le rôle de l’Etat. Un Etat puissant a tendance à créer des institutions et à suivre des politiques qui détournent les ressources d’une économie donnée à des fins souhaitées, ce qui risque de compromettre la compétitivité et la croissance des marchés financiers. En outre, La Porta et al. (1998), estiment qu’un Etat omniprésent avec un droit civil à sa disposition aura des difficultés à ne pas intervenir pour régler le fonctionnement des marchés financiers, ce qui risque de ralentir leur éclosion. A titre illustratif, la common law

était, de par ses origines historiques, toujours du côté des détenteurs de propriété privée, par rapport à l’Etat. Tel n’est pas le cas des pays dont le droit civil est de rigueur, qui protègent plus les droits du gouvernement que les droits privés des investisseurs. Ainsi, plutôt que d’être un instrument à la disposition de l’Etat (comme c’est le cas du droit civil), la common law constituait plutôt un contrepoids à sa puissance, en faveur des droits de propriété privée.

Puisque les droits de propriété privée forment le fondement et la base de l’établissement des contrats, le canal politique de la théorie de la loi et de la finance stipule que les pays ayant la common law comme principale inspiration du code légal seront plus disposés à avoir un système financier développé. L’explication tient au fait que le système légal anglo-saxon faciliterait le recours des entreprises aux financements de marchés, puisqu’il préserve mieux les intérêts des apporteurs de capitaux, surtout les actionnaires. En particulier, une protection des actionnaires minoritaires permet une plus grande dispersion du capital et donc un marché boursier plus actif et plus liquide. En revanche, la sécurisation des opérations de financement dans les pays de droit civil nécessite l’intervention d’institutions qui s’interposent entre les apporteurs et les demandeurs de capitaux. Cela signifie que l’intermédiation compense la fragilité des contrats par une surveillance directe.

D’autre part, la protection des droits de propriété privée et des investisseurs forment la base du développement financier. Selon La Porta et al. (1998), les divergences historiquement déterminées des traditions légales expliquent les différences de niveau de développement financier. Ils considèrent que les lois, leurs mécanismes d’application ainsi que les institutions légales gouvernent les interactions financières. En effet, les arrangements contractuels forment la base des activités financières ; les systèmes légaux qui protègent les droits des investisseurs et veillent à l’application des contrats et des lois favorisent un développement financier rapide et largement répandu, plus que les systèmes qui ne protègent pas les droits des créditeurs et les détenteurs d’actions, ou qui ne surveillent pas l’application des arrangements contractuels accomplis. Une mauvaise application de ces lois ou leur quasi inexistence entraine des répercussions négatives sur les indicateurs financiers. Ainsi, les lois et leurs mécanismes d’application influencent directement le fonctionnement des systèmes financiers. A ce propos, Jacquet et Pollin (2007) considèrent que la protection des droits de propriétés : « C’est un facteur essentiel pour que les apporteurs de capitaux soient en mesure de faire respecter leurs intérêts en cas de conflits avec les utilisateurs de ces capitaux, disons les entreprises, ou en cas de défaillance de celles-ci. Dès lors, la lettre et les conditions d’exécution des contrats, ainsi que la réglementation des intermédiaires et des marchés apparaissent comme des déterminants majeurs du développement financier ».

McKinnon (1973) et Shaw (1973) ont démontré que les variations des niveaux du développement financier à travers les différents pays dépendent principalement des législations et des régulations des autorités, autrement dit du cadre institutionnel. En effet, la faiblesse de l’autorité législative rend difficile l’application et la protection des droits des créanciers, ce qui décourage les institutions financières, puisque celles-ci ne peuvent plus recourir au droit et aux lois pour poursuivre juridiquement un client insolvable. En outre, la faiblesse de de l’autorité législative décourage l’investissement. Autrement, les investisseurs sont moins motivés à investir. Cela s’explique par le fait que l’inapplication des droits de propriétés les expose à des risques de pertes très élevés. Bisignano (1998), en étudiant le développement des marchés financiers d’Antwerp et d’Amsterdam durant le Seizième Siècle, et de Londres au cours du Dix-huitième Siècle, conclue que la promulgation de lois sur la libération du commerce international et la protection des droits de propriété est la raison principale derrière leurs succès. Les principaux déterminants du développement financier, en l’occurrence les institutions, la géographie (Acemouglou. al, 2001) et l’ouverture commerciale, sont reconnus être également des déterminants pour la croissance économique, ce qui implicite que la relation est probablement indirecte.

Contrairement à la théorie du droit et de la finance, qui se focalise sur l’identité et l’origine des colonisateurs pour définir la qualité et l’efficacité des institutions du pays, l’optique des dotations naturelles s’intéresse aux conditions initiales et aux ressources des pays colonisés. Acemoglu et al. (2001) se sont penchés sur l’état de l’environnement sanitaire des colonies et des facteurs géographiques. Ils considèrent que le choix de la stratégie d’implantation des colonisateurs est fonction des dotations dont bénéficie le pays colonisé, avec des conséquences tangibles sur les institutions, y compris les institutions financières.
Outre le facteur de la qualité de l’environnement institutionnel et légal conditionné par des facteurs historiques, politiques, géographiques et autres, à en croire la théorie de la loi et de la finance, on dénote dans la littérature récente l’émergence d’un autre facteur non moins important. Il s’agit du concept de capital social. En effet, Guiso et al. (2000) montrent que le capital social, qui est l’ensemble des lois informelles gouvernant les interactions sociales, a joué un rôle critique dans la détermination du développement financier en Italie. La relation entre capital social et développement financier a retenu l’attention de plusieurs économistes, bien que celle-ci n’ait pas suscité autant d’intérêt que la relation entre capital social et développement économique. Seuls les travaux de Guiso et al. (2000), Hong et al. (2001), Calderon et al. (2001) ont analysé la question par le biais d’études empiriques mettant en relation des indicateurs de capital social avec des indicateurs de développement financier. L’origine de cette intuition de l’existence d’un lien éventuellement significatif entre ces deux notions provient du fait que le contrat financier entre un créancier et un entrepreneur exige préalablement un certain niveau de confiance pour son aboutissement, sa mise en œuvre et le respect de ses clauses. En effet, dans un contrat financier, le prêteur transfère une somme d’argent à l’emprunteur à une date t dans le présent, dans l’espoir de récupérer ladite somme à une date t+1 dans le futur. Afin d’éviter un éventuel comportement opportuniste, des clauses additionnelles, comme l’exigence de certaines garanties, viennent compléter le contrat.

Plus tard, l’apparition de la théorie de la libéralisation financière qui s’est développée sur la critique de la répression financière dans les pays en développement, considère la libéralisation du secteur financier comme un élément important dans processus du développement financier. En effet, McKinnon (1973) et Shaw (1973) ont défendu, chacun de son coté, un nouveau point de vue, celui de la libéralisation financière et ils l’ont présenté comme une solution à la répression financière et un moyen d’assurer le développement financier et par conséquent accélérer la croissance économique des pays en développement. Ainsi, ils soulignent l’effet négatif de la répression financière (plafonnement des taux d’intérêt, politique d’allocation sélective du crédit, protectionnisme financier), qui réduit la formation du capital, biaise les choix techniques au détriment des activités intensives en main d’œuvre et conduit à des investissements intensifs en capital de piètre qualité.