Renforcer des systèmes d’innovation agricole dans les pays du Sud par la performance des services de support à l’innovation

1. Contexte de l’étude (résumé tiré de l’offre publiée)
L’agriculture est centrale pour le développement économique inclusif en Afrique (NEPAD, 2015). Malgré son potentiel pour la création d’emploi et l’amélioration de bien-être des populations rurales et urbaines, ce secteur fait face à des défis multiples (environnementaux, sociaux, économiques). Depuis les années 1940 et la révolution verte portée par les CGIAR dans les pays en développement dans les années d’après-guerre, le secteur agricole subit de perpétuelles mutations du fait de la mondialisation des marchés des produits agricoles, l’évolution des technologies et leurs vastes répercussions, les transformations qui s’opèrent au niveau des institutions et la variabilité climatique (Banque Mondiale, 2012).
Pour pouvoir prospérer dans un contexte caractérisé par des transformations de cette ampleur, les agriculteurs, les entreprises, et même les nations, doivent sans cesse innover. L’innovation est au cœur du développement d’une agriculture durable en Afrique. La conception de l’innovation en agriculture a évolué en intégrant de manière croissante la complexité à la fois des liens entre l’innovation et l’agriculture mais aussi des différentes sources de l’innovation (Faure et al., 2019). Ainsi, le concept de système d’innovation est développé depuis les années 80 pour comprendre comment un ensemble d’institution, d’organisations, de réseaux et d’individus peuvent renforcer les innovations à différents niveaux (national, local, sectoriel) à travers leurs interactions et la mobilisation de ressources (Dosi, 1988 ; Klerx et al, 2010).
2. La notion de système d’innovation, intérêt et spécificités agricoles
Dans le secteur agricole, la notion de SI procure un intérêt accru pour son application dans les pays du Sud (World Bank, 2006 ; World Bank, 2008 ; Touzard et al, 2015). Au-delà l’usage du concept de système d’innovation agricole (SIA) pour l’analyse des situations des pays ou la comparaison de leur performance, ce cadre systémique doit permettre d’orienter le design de politique pour concevoir et développer les services nécessaires à l’accompagnement des innovations en agriculture. En l’occurrence les travaux sur la fonctionnalité des SIA (Hekkert et al, 2007 ; Bergek et al, 2008 ; Kebe et al, 2015) tendent à opérationnaliser l’usage de ce concept dans le domaine des politiques publiques en agriculture. Ces fonctions peuvent être déclinées en services introduisant ainsi la compréhension des interactions au sein des SIA en termes d’offre et de demande (Labarthe, 2009 ; Faure, 2019). La libéralisation des économies, les mécanismes de désengagement/renouvellement du rôle de l’Etat a conduit à la reconfiguration de l’offre et de la demande
de services, à travers l’arrivée de nouveaux opérateurs et de nouveaux profils de bénéficiaires (Kilelu et al, 2013). Ces évolutions appellent à mieux documenter les conditions d’émergence, de nouveaux outils, indicateurs pour évaluer ces nouvelles configurations, ainsi que la performance des services dans les contextes des pays du Sud où cette performance peut-être fortement dépendante de la qualité des services mais surtout de la relation de services entre fournisseurs et bénéficiaires.
3. Problématique et positionnement
Dans une optique d’opérationnalisation de l’approche système d’innovation agricole, la mobilisation de la notion de services de support à l’innovation permet de développer un cadre d’analyse et d’évaluation dont l’objectif est d’expliciter les indicateurs de performance de ces systèmes. L’hypothèse principale est que la configuration et la performance des systèmes d’innovation agricole sont issues de dépendance de sentier liées la sectorialisation des politiques d’innovation, aux régimes sociotechniques (Geels, 2002), au niveau de diversité des acteurs économiques et institutionnels et surtout à la performance des services de support fournis. Cette hypothèse conduit à interroger l’existence de sous-systèmes d’innovation (Klerx et al, 2017) mais aussi l’articulation entre ces sous-systèmes et les services. Elle suppose d’abord que ces sous-systèmes sont les lieux d’opérationnalisation des systèmes d’innovation agricoles pour les politiques publiques. Elle suppose ensuite un rôle central des interactions (offre et demande) de services de support à l’innovation mais aussi de la performance et de la diversité des types de services dans cette opérationnalisation. Enfin elle implique d’analyser et d’évaluer ces sous-systèmes en tenant compte de leur complexité (interactions, acteurs, institutions) pour faciliter leur compréhension, leur suivi et ainsi aider à la décision publique. Différentes méthodes d’évaluations des systèmes d’innovation agricoles sont proposées pour cela dans la littérature (Hall et al, 2003 ; Lapple et al, 2015, Mekonen et al, 2015). Seulement, elles ne permettent pas de prendre en compte la complexité des sous-systèmes, de prendre en compte le rôle des services dans la structuration des systèmes et de répondre aux besoins des décideurs publiques (Lamprinopoulou et al, 2014). De par leur nature immatérielle, les services soulèvent des questions méthodologiques sur l’évaluation de leur performance à travers leurs valeurs, leurs qualités, leurs capacités à répondre à un besoin, leurs modes de financement et leurs effets (Gadrey, 2015). Ils constituent à la fois des activités économiques mais aussi des relations sociales. Particulièrement dans les contextes des pays du Sud, cette seconde dimension joue un rôle central dans la performance des services. En effet, la pérennisation de certaines relations de services peut avoir des effets contre-productifs sur l’autonomisation des bénéficiaires. La thèse doit donc permettre de produire des connaissances sur les méthodes et outils d’évaluation de la performance et des effets services supports à l’innovation et éclairer l’articulation de ces services avec les sous-systèmes d’innovation et l’opérationnalisation de ces derniers en mobilisant des approches d’analyse de réseaux (Crespo et al, 2014). Cela dans l’objectif de contribuer aux stratégies d’actions permettant de renforcer la performance des SIA à répondre aux enjeux globaux du développement de l’agriculture en Afrique sub-saharienne.
4. Cadre conceptuel
Les pays en développement (PED) sont caractérisés par, la faiblesse des systèmes juridiques (droits de propriété moins sûrs, coûts de transactions plus élevés), les différences de conditions de la demande (faibles pouvoirs d’achat, demande de produits plus ou moins sophistiqués), les infrastructures déficientes (coûts de transport et de production élevés), la faiblesse des systèmes éducatifs (de l’école primaire aux universités) et la plus grande volatilité des prix (Casadella, 2014). Il s’agira de questionner le mode de gouvernance des organisations, l’adaptation des innovations développées par les pays industriels aux réalités institutionnelles des PED et les risques perçus et réels de ces innovations. En effet une controverse est posée par le rôle des droits de propriétés intellectuelles (institution majeure de gouvernance de l’innovation dans les pays industriels) comme élément favorable ou défavorable au renforcement des capacités d’innovation des agricultures du sud. La question centrale de cette étude est donc : Comment renforcer les systèmes d’innovation agricole dans les pays du Sud à travers la performance des services de support à l’innovation ?
Pour répondre à cette question, l’étude mobilise la notion de sous-système d’innovation agricole et de services de support à l’innovation. L’intégration dans ce modèle des aspects micro, méso et macro-économiques contribuent à expliquer comment s’articulent les déterminants institutionnels et organisationnels entre l’échelle globale (portée par les agro-industries internationales) et le niveau national ou local des politiques publiques d’innovation.
5. Méthodologie et résultats attendus
La méthodologie choisie permet d’évaluer le rôle des conditions d’émergences des services et dans la structuration des sous-systèmes d’innovation et l’existence de systèmes d’innovation agricole répondant à des enjeux de développement en Afrique. C’est donc une méthodologie dans un cadre où se croisent l’analyse économique portant sur les services, les institutions et l’innovation.
La mobilisation d’une approche d’analyse des réseaux permet l’analyse des données recueillies dans les trois pays du projet SERVInnov (Burkina, Cameroun, Madagascar), à travers les angles d’identification de typologies de configuration des sous-systèmes, et de la recherche d’indicateurs multicritères d’évaluation des performances des sous-systèmes d’innovation agricoles. Le recueil de données par des collectes complémentaires sur la base d’enquêtes qualitatives en face à face auprès d’acteurs politico-institutionnels va servir à tester et adapter des indicateurs de diagnostic et d’évaluation. Le cadre méthodologique va combiner des méthodes de collecte de données qualitatives sur des enquêtes, l’organisation d’ateliers participatif de validation de résultats et des études de cas. Des méthodes quantitatives seront mobilisées dans le recours aux évaluations multicritères associées aux analyses de réseaux permettant de structurer les indicateurs d’évaluation des services support à l’innovation et des sous-systèmes. Ainsi, nous aurons des résultats correspondant aux trois axes principaux qui sont :
1. Concevoir et appréhender les articulations des sous-systèmes d’innovation avec les services de support pour définir un cadre conceptuel
2. Contextualiser les conditions de performance des services de support à l’innovation dans les pays du Sud dans le but d’une production de connaissances utiles et utilisables par les agriculteurs, les entreprises, les décideurs et les parties prenantes
3. Expliciter le caractère supportif des services et des sous-systèmes (performance et effets) à travers la construction d’un outil d’évaluation multicritère qui sert à accompagner les politiques publiques.
6. Justification du choix de l’approche et du choix de la méthodologie

A. Bases théoriques préalables à la justification de l’approche par l’innovation
1. Les approches de l’innovation et la mobilisation de ce concept par plusieurs communautés de connaissance dans l’agriculture

Le concept d’innovation a beaucoup évolué partant d’une approche néo-classique qui met la recherche à la base du processus d’innovation, vers une approche plus évolutive de l’innovation en tant que mise en commun de savoirs et de savoir-faire par différentes catégories d’acteurs.
L’approche néoclassique de l’innovation : le modèle linéaire
Le modèle linéaire de l’innovation suppose que l’innovation est le résultat de la recherche scientifique ; et qu’il existe une relation directe de cause à effet entre la recherche agricole, le développement des techniques et leur diffusion et, enfin leur adoption par les agriculteurs.

Figure 1: Le modèle linéaire de l\’innovation
Source : adapté de Kline & Rosenberg (1986)

C’est sur ce modèle que reposaient les politiques d’intensification de l’agriculture (« révolution verte ») caractérisées par utilisation des variétés améliorées, fertilisation minérale, protection chimique des cultures, travail du sol et culture pure. Bien qu’ayant été la référence pendant longtemps, cette vision de l’innovation comporte de sérieuses limites. La plus importante porte sur l’absence de rétroactions (Kline & Rosenberg, 1986). En effet, dans ce modèle, les séquences s’enchaînent de manière linéaire sans besoin de retour d’informations. Ce modèle linéaire amène aussi à penser que les connaissances scientifiques sont plus nobles que les savoirs paysans. Ce modèle suppose que c’est la recherche scientifique qui donne forcément lieu à l’innovation ; et néglige les autres formes de savoirs et savoir-faire.
L’approche évolutionniste de l’innovation : le Système d’Innovation (SI)
Le concept de Système d’Innovation (SI) est présent depuis la fin des années 1980 dans un nombre important de recherches sur l’innovation, mais aussi de plus en plus dans les documents des politiques publiques d’innovation ou des instances internationales de développement (OCDE, UE, Banque Mondiale…) (Touzard et al., 2015). D’une manière générale, « le SI cherche à comprendre comment un ensemble d’institutions, d’organisations, de réseaux et d’acteurs peuvent interagir pour favoriser l’innovation dans un espace donné national, régional ou sectoriel, ou dans un espace construit par des entreprises ou autour du développement d’une technologie » (Carlsson et al., 2002).
Employé à l’origine pour étudier les innovations technologiques dans l’industrie (Touzard et al., 2015), le concept s’est étendu à l’analyse des innovations agricoles et agroalimentaires sous la dénomination Système d’Innovation Agricole (S.I.A), représenté par la figure 2 ci-dessous. Bien que dominée par des approches économiques, la référence aux SI est aussi présente dans des travaux en science de gestion (travaux sur le management de l’innovation), en histoire, en sociologie ou dans les travaux sur les transitions sociotechniques (Geels & Schot, 2007). La diversité des approches disciplinaires, ou courants théoriques, confrontée à différents niveaux d’applications (national, régional, sous régional, sectoriel), présente toutefois un cadre commun : une vision interactionniste de l’innovation

Figure 2 : Système d\’Innovation Agricole
Source : Banque Mondiale (2012)
Analyse des composantes du SI
Il s’agira de décrire comment se construisent les politiques publiques sur la création variétale et la production de semences. Pour ce faire des entretiens semi-directifs seront réalisés avec les acteurs de la recherche, des services publics (ministères notamment), les industries de transformations, les coopératives agricoles, les ONG et les acteurs de la société civile. Nous analyserons aussi l’impact des entreprises biotechnologiques internationales sur le mécanisme d’appropriation de l’innovation variétale dans les PED. En effet, l’analyse de l’influence des lobbying (fournisseurs d’intrants agricoles par exemple) est un part intégrale de l’approche Système d’innovation (Vanloqueren & Baret, 2009). La première hypothèse qui est avancée est que : du fait des accords de partenariats économiques (APE) entre pays industriels et PED, les firmes agrochimiques internationales font pression sur les Etats en développement pour commercialiser leurs innovations. A l’issue des entretiens, une représentation graphique du système acteur sera faite.
Ensuite, nous ferons une régression à variable dépendante limitée (régression Tobit) pour déterminer l’influence de ces politiques sur le niveau d’appropriation des innovations par les producteurs. Le modèle Tobit est choisie parce que comparativement aux modèles Logit et Probit, il ne mesure pas uniquement la probabilité d’adoption de l’innovation, mais aussi l’intensité avec laquelle cette dernière sera utilisée si elle est adoptée (Adesina & Zinnah, 1993). C’est un modèle dont la variable dépendante est comprise entre 0 et 1 (zéro exclue). Cette variable sera censurée pour les producteurs qui n’adoptent pas l’innovation (non adoption=0) et non censurée pour ceux qui adoptent (adoption=1). Les variables explicatives pourraiant se composer de : X1=la couverture alimentaire, X2=l’appartenance du producteur à un groupement, X3=le prix de l’innovation, X4=l’existence de structures d’encadrement des producteurs dans les zones d’implantation de l’innovation, X5=la participation des producteurs à des sessions de formation, ….. Xn.

a. Evaluation des politiques publiques
Il est question de déterminer l’impact des innovations sur les stratégies des producteurs, leurs organisations. La seconde hypothèse qui est faite à ce niveau est que la gouvernance des institutions et les dispositifs organisationnels (nationaux, régionaux) qui président aux mécanismes de fonctionnement des systèmes d’innovation ne sont pas finalisés en fonction des ressources et des besoins des populations. Il s’agira d’une analyse d’impact à postériori qui combinera à la fois des évaluations quantitatives (méthodes quasi-expérimentales) et qualitatives. L’évaluation qualitative permettra de mieux expliquer grâce aux dires des acteurs, les variables retenues dans l’évaluation quantitative.