Introduction aux concepts de la sécurité alimentaire

Selon la FAO1, le concept de sécurité alimentaire est défini comme étant une offre nationale suffisante en denrées alimentaires, c’est à dire l’accès pour tous les individus, à tout moment, à une nourriture suffisamment abondante pour mener une vie saine et active. Mais la sécurité alimentaire est un concept réducteur, qui ne tient pas compte du droit de chaque peuple à décider de sa politique agricole, du droit à l’autodétermination alimentaire.
D’après l’organisation québecoise Equiterre2, « La souveraineté alimentaire, c’est la possibilité pour une population de maîtriser les choix essentiels qui lui permettent d’assurer sa sécurité alimentaire. Ces choix portent sur les modes des productions agricoles et les façons les plus appropriées de garantir un accès à la nourriture pour tous ». Et pour cela, la régulation de la spéculation sur les produits agricoles et la mise en place de politiques incitatives fortes facilitant les échanges commerciaux locaux entre producteurs, circuits de grande distribution et consommateurs, sont à mon sens les deux éléments primordiaux indispensables à une politique agricole à la hauteur des enjeux environnementaux actuels et permettant la souveraineté alimentaire.
Les acteurs du négoce industriel et les acteurs politiques estiment la plupart du temps qu’il n’existe pas suffisamment de liens avérés entre la spéculation financière et les flambées des prix des denrées alimentaires, mais s’il est en effet très difficile de mesurer les effets des transactions spéculatives sur les prix des denrées, la volatilité des prix peut être causée par la spéculation financière et cette volatilité produit des effets sur les prix alimentaires. La spéculation financière accroît les pics et les creux d’une courbe économique, elle joue un rôle dans l’amplification de la volatilité des prix qui, au final, affecte les prix des produits agricoles.
Lorsque les cours de céréales et d’oléagineux sont élevés, ils ont un impact positif en termes de revenus pour les producteurs de ces produits mais ils ont clairement un impact négatif pour les éleveurs, qui dépendent d’achats externes de céréales et de tourteaux d’oléagineux pour l’alimentation de leurs animaux, et qui ne parviennent pas à répercuter en totalité les surcoûts de production dans leur prix de vente. A l’inverse, les prix bas menacent la viabilité des exploitations. Enfin, la volatilité des prix n’offre pas assez de recul afin de prévoir les investissements nécessaires à la transformation de l’agriculture.
En 2012 Jean Ziegler, le rapporteur spécial auprès de l\’ONU sur le droit à l\’alimentation, révélait que \”Seuls 2 % des contrats à
terme portant sur des matières premières aboutissent désormais effectivement à la livraison d\’une marchandise, les 98 % restants étant revendus par les spéculateurs avant leur date d\’expiration\” Ce dont parle ici Jean Ziegler, c’est du marché à terme, une mécanique financière qui a largement contribué à la famine de 2008, lorsqu’une très forte hausse du prix des denrées alimentaires avait provoqué des milliers de morts et des émeutes dans les pays les plus pauvres.
Entre 2006 et 2008, l’indice des prix alimentaires de la FAO avait enregistré une hausse de 71 % des prix des produits indispensables à notre alimentation. Cette augmentation avait même atteint 126 % pour le riz et les céréales, et les habitants des pays en voie de développement ont été les premières victimes de ces hausses de prix puisqu’ils consacrent en moyenne 70 % à 80 % de leur budget à leur nourriture. Les pics extrêmes des prix, s’ils s’expliquent en partie par des causes externes telles que sécheresse et mauvaises récoltes, augmentation de la demande, baisse du dollar, production des biocarburants, entre autres, s’expliquent également par une spéculation boursière de plus en plus forte.
Les achats à terme sont un procédé par lequel les futures récoltes sont négociées. Un agriculteur qui ne peut pas savoir quel sera la valeur de sa production peut ainsi se protéger contre la fluctuation des prix sur le marché.3 Dans la forme la plus simple des marchés à terme, un agriculteur peut établir avec un acheteur un contrat qui fixe le prix et la date de livraison de sa récolte. Afin de faciliter ces échanges entre partenaires sur le marché des contrats à terme, on a recours à des intermédiaires jouant le rôle d’opérateur en couverture. Ces derniers vont garantir au fournisseur et à l’acheteur de compenser leur perte en cas de baisse des prix, mais il conservera les bénéfices en cas de hausse des prix. L’opérateur en couverture facture son travail et sa prise de risque à l’agriculteur, et il propose le même accord à l’acheteur, ce qui entraîne une légère augmentation du pris des produits agricoles, mais permet aux acteurs de l’échange d’obtenir des revenus stables.
Mais là où l’opérateur en couverture est considéré comme équilibrant le marché, d’autres spéculateurs s’associent à lui, qui multiplient les contrats à terme avec les acteurs du marché. De plus, les lois sur la spéculation ont été assouplies ces dix dernières années, et l’effondrement du marché de l’immobilier a entraîné le transfert des spéculateurs vers les marchés agricoles, tels les fonds de couvertures (hedgefunds). Très pratiqué aux USA, ce type de spéculation entraîne une hausse des contrats à terme par rapport à la production agricole réelle. Si en 2002 il y avait onze fois plus de contrat à terme que de stock de blé, il y en avait trente fois plus en 2007. Certains spéculateurs ont commencé à manipuler les marchés pour générer des profits, et la majorité d’entre eux spécule simplement sur le comportement des autres spéculateurs, ou exploite des tendances à court terme, ce qui provoque une évolutions des prix, des fluctuations importantes et une grande volatilité.4
Au travers de la montée de la spéculation sur les contrats à terme, les produits agricoles perdent leur valeur en tant que bien et deviennent un investissement financier. Les prix dépendent de plus en plus des fluctuations des marchés financiers et de moins en moins des besoins réels des populations et des agriculteurs.
Bien que plusieurs tentatives de réguler les marchés à terme aient été accomplies ces dernières années, à l’image du Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act5, la portée de ces lois est souvent limitée, elles sont remises en causes au fil des changement de gouvernement et ne suffisent pas à contrôler de manière fiable la volatilité des prix et les bulles financières.
Pour ralentir voire stopper la spéculation liées aux productions agricoles, les responsables politiques doivent d’abord prendre des mesures fortes de régulation des marchés à terme et du secteur financier en général mais aussi oser réglementer les pratiques qui causent la volatilité des prix agricoles, et ce par une politique de stabilisation des prix.
La régulation des marchés financiers et de la spéculation implique d’abord que les marchés, leurs acteurs, les stocks échangés ainsi que leur prix, doivent faire l’objet d’une totale transparence, puisque une grande partie de l’efficacité de la spéculation repose sur le secret. Ensuite, des limites de positions strictes doivent être établies, afin de restreindre le nombre de placement à quelques opérateurs spécialisés, et poser des seuils d’investissement afin d’éviter un nombre de spéculateurs trop important et la multiplication des transactions qui augmente l’effet spéculatif . De plus, il doit y avoir une réelle séparation entre banque de dépôt et banque d’investissement afin que les investisseurs ne puissent plus utiliser les finances des banques de dépôt pour spéculer. Enfin des stocks de régulation doivent être crées afin de ralentir les fortes hausses ou baisses de prix et de temporiser les fluctuations du marché et ainsi atténuer la volatilité des prix agricoles.6 7

A la fin de la seconde guerre mondiale, la France est exsangue, et sa population de denrées alimentaires, puisque les tickets de rationnement ne seront supprimés que le 30 novembre 1949, soit plus de quatre ans après la fin de la guerre. Cette nécessité vitale d’approvisionner toute une nation va lancer la modernisation du transport des produits agricole et l’accélération des importations étrangères. Le contre coup de ces mesures politiques sera une baisse progressive des marchés locaux dans les villages, jusqu’à la disparition totale de certains et la création de points de vente toujours plus importants (supermarché). Pourtant, une nouvelle tendance se dessine aujourd’hui, motivée en partie par les grandes crises alimentaires, (comme la crise de la « vache folle ») et si 90 % des achats se font en grandes surfaces, on n’y trouve que 64% des denrées disponibles et 36 % d’entre elles sont achetés directement chez le producteur8. Ces nouvelles façons d’acheter sa nourriture ne sont pas spécifiques à la France, on les retrouvent un peu partout dans le monde, c’est le système teikei au Japon, ou l’Agriculture Soutenue par la Communauté au Québec par exemple.
En France on retrouve quatre réseaux qui favorisent les échange locaux, les marchés paysans d’abord, les points de vente collectifs, les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) et les cantines scolaires. En 2000, la vente directe concernait ainsi 15 % des exploitations professionnelles.
Ces nouvelles alternatives bien que nécessaires ont toutefois un coût, pour le consommateur ainsi que pour le producteur, la préparation des paniers en AMAP nécessite plus de main d’œuvre par exemple, et le producteur assure lui même la production, la transformation, lorsqu’il y en a une, le transport et la vente, ce qui prend beaucoup de temps. La logistique est souvent sous-estimée là où elle pourrait faire économiser temps et argent.
Le calcul de l’impact environnemental des circuits courts est souvent sous-évalué, puisqu’il se base sur le nombre d’intermédiaires, entre acheteur et producteur, et pas forcement sur la distance séparant les deux, ce qui dans les grandes métropoles fausse les résultats. Dans la région parisienne, un agriculteur sur deux fournissant une AMAP n’est pas originaire de la région9. Mais il peut être également surestimé puisque l’indice d’impact du transport des denrées périssables, le « kilomètre alimentaire » ne se base que sur les émissions de CO2. Or selon les constats de C. Rizet (2008) rapportées au kilo de produit transporté, la consommation d’énergie et l’émission de GES peuvent être plus importantes en circuits courts qu’en circuits longs, les distributions étant moins optimisées. Outre la distance, le taux de chargement, les véhicules utilisés, l’organisation de la livraison entrent en jeu 10.
Le « consommer local » doit cesser d’être confidentiel et s’étendre de façon majeure au circuit de la grande distribution afin de toucher un plus grands nombres de consommateurs et de producteurs. Les réseaux de distribution doivent être optimisés et repensés en tenant compte des impacts environnementaux de chaque étape du processus. Il se trouve dans les Laurentides seules plus de 1200 fermes qui pourraient alimenter en produit frais la zone géographique de Montréal, quand les poireaux que je n’achète pas à Saint-Jérôme ont poussé en France, près de Cluny, à plus de 6000 km de là. C’est aux décideurs politiques aujourd’hui de mettre en place des mesures pour instaurer ces réseaux de distribution.

La problématique de la souveraineté alimentaire touche de nombreux secteur de l’économie agricole, et on pourrait citer de nombreuses mesures vitales aujourd’hui à sa mise en place de façon globale, en plus de celles abordées ici. L’ambition de l’Organisation mondiale du commerce par exemple à vouloir contrôler les politiques agricoles nationales empêche les peuples d’atteindre cette souveraineté alimentaire11, on pourrait également mentionner les accords de politiques agricoles, tels que la PAC en Europe ou le GAT, les accords sur le dumping agricole, ou encore les systèmes des subventions agricoles qui influent sur les échange de produits agricoles dans le monde, autant de points à revoir afin que chaque pays atteigne enfin la souveraineté alimentaire.