François-Marie Arouet, dit Voltaire

Lorsque l’on évoque le siècle des Lumières (soit le XVIIIe siècle) il est absolument incontournable de mentionner le progrès historiographique établit par François-Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778). Ce français élabore un nouveau paradigme de la discipline historique : la philosophie de l’histoire. Il touche et écrit notamment des propos pertinents face à l’historiographie dans son œuvre Nouvelles considérations sur l’histoire (1744) ainsi que l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1740-1756). Malgré le fait que Le siècle de Louis XIV (1751) évoque des événements du règne du Roi Soleil, l’écriture est complétée sous un angle davantage philosophique qu’historique. Dans ses écrits, Voltaire tente d’élargir les critères de ce que l’on considère comme un «élément historique». Prisonnier d’une époque où l’histoire se révèle être la vie de la royauté et où la divinité biaise la majorité des événements, il est un des premiers protagonistes d’une l’histoire dite moderne*. Il souhaite accorder plus d’importante aux tendances, particularités d’une civilisation afin d’émettre une histoire «totale», une philosophie de l’histoire ayant donc pour angle l’esprit humain. En d’autres mots, la démarche voltairienne se résume à compiler l’ensemble des activités humaines d’une société afin d’acquérir les éléments qu’il juge cruciaux à une meilleure compréhension du présent et donc, incidemment, du futur. Voltaire pose donc les bases d’une histoire de la civilisation humaine en développant une approche qui exploite davantage l’aspect économique, politique, artistique, etc.

Surgissent donc de nombreux questionnements : qu’est-ce que la «philosophie de l’histoire» ? Comment se fait-il qu’une «philosophie de l’histoire» s’alliance nécessairement à une «histoire totale» ? Quelles sont les ambitions de Voltaire face à ce concept ? Est-ce réaliste ou utopique d’entreprendre une enquête «totale» ? Basée sur la quantité d’informations que je possède actuellement, mon hypothèse de recherche se résume à renier la réalisation d’une histoire «totale», vu le côté utopique de penser pouvoir intégrer tous les détails imaginables d’une société dans une enquête. J’avance cette hypothèse par le fait que Voltaire lui-même exprime inconsciemment qu’une telle histoire est inconcevable. En effet, il se dit vouloir moderniser l’enquête en se débarrassant des anecdotes inutiles et indiscrètes qui sont portés à certains événements ou personnes, mais si nous suivons sa démarche idéale, il serait fondamental de les intégrer vu l’importance qu’il accorde à chaque détail caractéristique d’une société, inutile ou pas.

Mon analyse se basera autour de certains concepts, plus particulièrement ceux-ci : «philosophie de l’histoire», «histoire totale*», «sécularisation*», «enquête*», «esprit humain*», «progrès*», «avenir*», «société*» et «philosophie*».

Mon travail

aura pour méthode une recherche documentaire de type livresque. Il exploitera le raisonnement abductif* ainsi qu’inductif*.

Mon plan sera du genre comparatif et comporte 3 parties.

Pour débuter, je vais synthétiser les grandes lignes de ce que l’on peut qualifier de «philosophie de l’histoire», puis je définir une «histoire totale» pour ensuite énoncer les motifs qui poussent Voltaire à vouloir l’exécuter mais surtout quelle est sa méthode. Au final, je me positionnerai sur l’histoire totale.
MOT PROBLÉMATIQUE PAS PRÉSENT

1.0 La philosophie de l’histoire
Lors de la rédaction de l’Encyclopédie (1751-1772), Diderot accordera la tâche à Voltaire de définir «l’esprit humain». Le philosophe est plutôt déstabilisé et affirme qu’il s’agit d’«un mot générique qui a toujours besoin d’un autre mot qui le détermine». Nul part se retrouve la définition du terme «esprit» ou encore «humain» dans son ouvrage Dictionnaire philosophique (1764). Pourtant, ce terme s’avère être un élément crucial de sa démarche puisqu’en tenant compte de mes recherches, il s’agit du fil conducteur de la philosophie de l’histoire. En effet, la pensée est une faculté qui concernent tous les humains de la Terre, puisqu’elle se voit opérer dans les disciplines de l’histoire de la civilisation* humaine, notamment mais non limitativement la religion, la politique et les arts. Voltaire propose donc un contenu, c’est-à-dire l’histoire identique, mais écrite par l’entremise d’une différente forme, soit la philosophie. En effet, il se retrouve insatisfait des récits historiques de son époque : lors de la lecture à propos d’un événement, il affirma : «j’ai trouvé que je n’étais guère plus instruit au fond. Je n’apprenais là que des événements» . Il veut créer une méthode approfondir de l’histoire, où il va au-delà d’une simple description. Vient donc l’expression «philosophie de l’histoire» :
Comme l’histoire du respectable Bossuet finissait à Charlemagne, Mme de Châtelet nous pria de nous instruire en général, avec elle, de ce qu’était le reste du monde, et de ce qu’il a été jusqu’à nos jours. Ce n’était pas une chronologie qu’elle voulait : un simple almanach antique des naissances, des mariages et des morts des rois, dont les noms sont à peine parvenus jusqu’à nos jours, et encore tout falsifiés : c’était l’esprit des hommes qu’elle voulait contempler.
Cette inspiration sème en lui des réflexions sur l’importance de l’esprit des hommes. Cet élément se révèlera être sa base méthodologique : il souhaite une historiographie couvrant l’éventail des connaissances résultant de l’esprit humain. Le professeur de philosophie Alain Sager considère que par l’expression de «l’esprit des hommes», «il faut entendre les passions naturelles qui les animent, les idées et les représentations qu’ils se forgent, les croyances auxquelles ils adhèrent». Incidemment, puisque l’esprit humain étant naturellement observé dans toutes les disciplines humaines, il s’attaque à une histoire totale, englobant les faits des plus anodins aux plus importants, sans n’en épargner un seul, afin de pouvoir brosser le tableau exhaustif d’une époque et mieux comprendre son évolution, mais surtout le progrès* de la raison*. En d’autres mots, il souhaite élargir le champ de la discipline historique universelle en y recueillant tous les détails possibles, des mœurs aux mentalités de son époque, bref, aux dynamiques d’une société.

Cependant, les croyances religieuses, malgré leurs similarités avec la philosophie, doivent être totalement écartées si l’on souhaite écrire une histoire non biaisée de croyances et superstitions comme Voltaire le souhaite. En effet, puisque la religion est dans la croyance et la philosophie de l’histoire dans la connaissance et surtout dans la rationalité, le philosophe-historien doit raconter les éléments religieux marquants d’une société sans toutefois démontrer un biais. La position de Voltaire face à la religion est plutôt complexe vu son détachement face à la religion sans être athée. Prônant la sécularisation* de l’historiographie*, ce philosophe est un déiste*, comme on peut l’observer dans l’extrait Prière à Dieu tiré de son œuvre Traité sur la Tolérance :
Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui a tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs rattachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités.
(Voltaire, Traité sur la Tolérance, chapitre XXIII)

L’homme qui se veut comme mission de délaisser la religion pour la philosophie en chassant les «idées de Providence*, de justice divine, d’harmonie universelle sur lesquelles reposaient les sérénités quotidiennes» est déiste, mais n’est pas un croyant enivré par la foi religieuse. Il assume l’existence d’un Dieu quelconque, un «géomètre*» étant à l’origine de la création du monde, mais nie la croyance des religions qu’il est un être intermédiaire. Dans Essai sur … il ajoute ceci : «Chez toutes les nations, l’histoire est défigurée par la fable, jusqu’à ce qu’enfin la philosophie vienne éclairer les homme». Donc, il ne croit pas en cette Providence si encrée dans son époque. Justement, il souhaite rejeter cet envahissant fanatisme* religieux entourant la vie commune de chaque individu qui teinte l’Histoire par l’intervention divine récurrente dans les causes de certaines actions, événements et pensées et où celle-ci aurait comme dogme* ultime Dieu. Dans son Dictionnaire philosophique (xxxx), Voltaire décrit le fanatisme comme étant Voltaire, convaincu que «le fanatisme est un monstre qui ose se dire le fils de la religion» est outré de constater que si nombreux historiens archaïques, antiques et moyen-âgeux se voient biaisés par la thèse chrétienne. Prisonnier de cette contamination religieuse au sein de son époque, il écrit dans Réponse au système de la nature «Nous ne raisonnons guère en métaphysique que sur des probabilités ; nous nageons tous dans une mer dont nous n’avons jamais vu le rivage.»

2.0 Méthode utilisée
Cela lui permettra de mieux comprendre son présent, et donc, souhaite-il, pouvoir observer concrètement le progrès lorsqu’il analysera le futur, soit quelques temps après la collecte de toutes ses données : on peut l’observer dans certains vers du Poème du Désastre de Lisbonne : «Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance / Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion». Cette ambition de mieux comprendre son présent n’est pas la seule aspiration de l’historien : il souhaite entre autres séculariser les récits historiques pour faire primer la raison, ne plus monopoliser l’Histoire avec les faits tirant de la royauté, extraire les anecdotes superfétatoires de certains écrivains, utiliser les faits les plus véridiques qu’ils soient : tout cela pour accomplir la première histoire complète de toutes les activités humaines. Pour viser cette histoire totale, il s’en suit de l’accomplir selon la devise de Térence «Je suis homme, et rien de ce qui est homme ne m’est étranger». La plupart des écrivains d’anecdotes sont plus indiscrets qu’utiles» énonce le français, insatisfait.

Arts= repoussent les superstitions l’ignorance

Voltaire affirme qu’un peuple ouvert d’esprit en contact avec le monde extérieur par l’entremise du commerce, différentes religions, nouvelles cultures peut facilement semer de nouvelles idéologies modifiant les mœurs privées et publiques. Ayant pour but d’orienter l’histoire vers une marge de progrès, il a comme ambitions de recueillir l’entièreté des éléments d’analyse d’une société : une histoire totale couvrant donc la démographie aux principes commerciaux, de l’art vers la vie quotidienne, les tendances économiques aux mœurs et bien plus encore. Cet historien-philosophe s’engage dans une méthode critique plus approfondie :

Voltaire s’engage cette activité critique caractéristique du nouvel espace public. Critique tous azimuts dont la «philosophie» n’est qu’un autre nom. Critique du savoir, critique de l’histoire, critique de la religion, critique de la politiquer : autant d’étapes, de plus en plus audacieuses, de plus en plus risquées, au cours desquelles Voltaire, face à la puissance royale hostile, va devoir chercher appuis et protection. (Voltaire le Conquérant)

En effet, les censures sont plus que nombreuses au 18eme siècle, notamment par la présence plus marquée de philosophes comme Voltaire qui défient l’autorité établie, soit le Roi, en repoussant l’obscurantisme par ce mouvement révolutionnaire des Lumières. Depuis de nombreux siècles, la monarchie prenant une très grande importance dans l’écriture de l’histoire : on peut l’observer dans l’une des premières œuvres de Voltaire Le Siècle de Louis XIV. Il fait du Roi Soleil le protagoniste de son histoire, ce qui engendra beaucoup de critique des philosophes des Lumières et contredit son ambition de vouloir réduire la place de la royauté. À sa défense, Arouet affirme que le monarque est un des grands responsables du mouvement révolutionnaire dont ils font partie : il rejoint un certain despotisme* éclairé*, et donc un grand progrès face aux rois antérieurs, comme il écrit dans Œuvres Complètes :
Il [Louis XIV C.L.] commença par mettre de l’ordre dans les finances, dérangées par un long brigandage. La discipline fut rétablie dans les troupes, comme l’ordre dans les finances. La magnificence et la décence embellirent sa cour. Les plaisirs même eurent de l’éclat et de la grandeur. Tous les arts furent encouragés, et tous employés à la gloire du roi et de la France [30]Voltaire, Œuvres complètes, éd. L. Moland, t. XIV, p. 226..

les changements dans les mœurs et dans les lois méritent, plus que les rois et les cours, l’intérêt de l’historien.»
«pour étudier la vie privée de Louis XIV, mais plutôt l’histoire de l’esprit humain, les grands changements faits dans le commerce, dans les finances, l’histoire des arts».