Finance comportementale et application pratique

Section 3 : les biais cognitive :
L’ancrage :
L’ancrage est un outil que le cerveau humain utilise pour résoudre à des problèmes complexes. Quant de très nombreuses situations, les individus effectuent des estimations en partant d’une valeur initiale, d’un point de référence qui sera ajustée pour produire la réponse à un problème posé.

Le phénomène d’ancrage souligne donc le fait que les individus fondent leurs estimations quant à un problème donné en partant d’une valeur de base, prise comme cadre de référence. Mussweiler et Strack (2000) ont étudié les liens entre incertitude et phénomènes d’ancrage. Ils constatent que les individus les plus incertains à propos de la situation qu’ils doivent analyser auront davantage tendance à se raccrocher à un point de référence. Les humains auront aussi naturellement tendance à construire leur jugement par rapport aux situations qu’ils rencontrent en fonction de points de références qui leurs sont familiers. Et cela vaut aussi dans le cas des cours financiers.

La présence de ce biais trouve sa plus célèbre illustration dans l’analyse des résultats obtenus lors de l’expérience suivante développé par kahneman et tversky. Elle compose de 3 étapes différentes :
1/ Les participants doivent tirer aléatoirement un nombre compris entre 1 et 100 en utilisant une roue de la fortune. On leur annonce ensuite le résultat du tirage.
2/ La question suivante est ensuite posée aux participants : « Selon vous le nombre de pays africains membres de l’ONU est-il supérieur ou inférieur au nombre tiré ? »
3/ Et enfin: « A combien estimez-vous le nombre de pays africains membres de l’ONU ? »

Ils ont montré que le nombre tiré de façon totalement aléatoire par les participants va influencer leur réponse à la dernière question. En effet, le groupe ayant tiré le nombre 10 lors de l’étape 1 aura à la troisième étape une réponse médiane de 25 pays alors que la réponse médiane est de 45 pour le groupe de participants ayant tiré le 65.

Les individus ne tiennent donc pas suffisamment compte des probabilités d’occurrence d’une situation mais s’en référent trop souvent à la façon dont est présentée l’information ou à un point d’ancrage à partir duquel ils vont établir leurs décisions. Dans certaines circonstances néanmoins, il peut s’avérer utile à l’individu de tenir compte de renseignements pertinents lorsqu’il se trouve dans une situation d’incertitude.

Comptabilité mentale :
La comptabilité mentale est une heuristique redevable à Richard Thaler durant les années 80.

« Mental accounting is the

set of cognitive operations used by individuals and household to organize, evaluation, and keep track of financial activities » (R.Thaler, 1999).

Il s’agit donc d’un regroupement des activités, décisions, prix, … dans des « comptes mentaux » spécifiques à chaque catégorie selon leur origine, caractéristiques, valeurs, …
Ainsi, selon Thaler (1985), les consommateurs retirent deux types d’utilité lors d’un achat : l’utilité d’acquisition et l’utilité de transaction.

La première notion est une mesure de la valeur du bien obtenue relativement à son prix et est donc à mettre en parallèle avec la notion de « surplus du consommateur ».
La seconde correspond à la différence entre le montant payé et le prix de référence qui correspond au prix que le consommateur s’attendait à payer pour le produit.

Une célèbre expérience de Thaler réalisée dans le cadre de l’étude de l’utilité de transaction conclut que des individus sont prêts à payer 75 % plus cher leur bière dans un hôtel que dans une épicerie parce que le prix de référence y est plus élevé.

En termes d’utilité l’expérience montre que l’individu augmente bien plus son bien-être par la réalisation d’une bonne affaire par rapport au prix de référence que par la détention proprement dite de son nouvel achat.

D’autre part ce comportement est contraire à la notion de rationalité qui conduirait à un prix unique pour un même produit.

Thaler identifie trois éléments de la comptabilité mentale : la manière dont l’individu perçoit les propositions, leur séparation en différentes catégories et la fréquence avec laquelle l’individu va regrouper ses prises de décision dans le temps.

Sur les marchés financiers, ce biais conduira par exemple un investisseur à refuser d’acquérir une action qui aurait pu être achetée à un prix plus bas dans le passé, même s’il est persuadé que le cours de cette action va augmenter dans le futur.

Inversement, un investisseur pourrait refuser de vendre une action en dessous du cours d’achat, même s’il est persuadé que le cours de cette action va encore diminuer dans le futur.

Toujours sur les marchés financiers, l’utilité transactionnelle comme référence peut conduire à des choix irrationnels au sens de la théorie classique en focalisant la décision sur la négociation même des titres au détriment de la construction optimale du portefeuille.

Le biais de disposition et son effet sur la gestion de portefeuilles individuels
Le comportement des investisseurs individuels fait également l’objet de nombreuses études. Les questions abordées sont alors du type : le choix de portefeuille opéré par ces investisseurs est-il optimal ? Les investisseurs individuels sont-ils victimes de biais comportementaux systématiques ?

Dans ce contexte, certaines études mettent en évidence un biais devenu classique et qualifié de biais de disposition par Shefrin et Statman (1985). Ce dernier traduit la disposition des investisseurs à vendre les titres « gagnant » trop rapidement et à garder en portefeuille trop longtemps les titres « perdants ». Dés lors, ce comportement conduit les investisseurs ç une gestion sous-optimale de leur portefeuille.

D’un point de vue très général, la sous-optimalité de gestion des portefeuilles individuels peut trouver ses origines plusieurs phénomène comme la comptabilité mentale (Thaler, 1985). Un exemple classique de cette erreur donné par Bernartzi et Thaler en 2001. Ces auteurs offrent le choix à des employés de l’Université de Californie de répartir leur richesse entre deux plans de retraite (fonds A et fonds B). Trois expériences sont menées :
Expérience 1 : fonds A : 100% d’actions et fonds B : 100% d’obligations.
Expérience 2 : fonds A : 100% d’actions et fonds B : 50% d’obligations.
Expérience 3 : fonds A : 50% d’actions et 50% d’obligations et fonds B : 50% d’obligations.

Les résultats obtenus montrent que les participants ne tiennent pas compte de la part de richesse globale investie sur le marché des actions mais répartissent leur richesse entre les options proposées ; chaque fonds semble « comptabilisé » individuellement.

En effet, de nombreux répondants choisissent d’affecter leur épargne à 50/50 sur les deux options proposées. Cette répartition fréquente de 50-50 sur les deux choix proposés est généralement nommée une stratégie de diversification naïve qui est une illustration d’un biais plus générale, l’heuristique de diversification (Read et Lowenstein, 1995). En moyenne, dans l’expérience 1 le choix équivaut à une part de richesse investie dans le fonds A de 54%, cette part est de 46% dans l’expérience 2 et de 61% dans l’expérience 3.

Dans le cas de portefeuille de titres, cette comptabilité mentale conduit les investisseurs à négliger les interactions possibles entre les différents titres. Ces derniers ont alors tendance à comptabiliser chaque titre individuellement et, de ce fait, le portefeuille n’est pas appréhendé dans sa globalité. En particulier, ces investisseurs négligent les possibilités d’économie d’impôt offertes par les moins-values ; les moins values sont généralement déductibles du montant des plus-values imposables. Outre cette considération très générale, les origines du biais de disposition peuvent être multiples.

L’une entre elles est une croyance irrationnelle au retour à la moyenne des prix. Par exemple, si les investisseurs pensent que les tendances haussières sont suivies de tendances baissières (et vice versa) même sur des horizons courts ils sont légitimement plus enclins à céder les titres en phase haussières (éviter le retournement de tendance). Que les titres en phase baissière (bénéficier du retournement de tendance).

Une autre explication peut être du à la forme de la fonction d’évaluation des investisseurs. Le biais de disposition est alors une conséquence d’une pondération différente des gains et des pertes par les investisseurs individuels par rapport à un point de référence (théorie des perspectives).

Enfin, en réalisant leurs gains et en réalisant pas leurs pertes, les investisseurs satisfont leur recherche de fierté et évitent d’être confronté au regret (l’aversion aux pertes).