Le « tourisme d’aventure organisé », nouvelle utopie touristique

Que ce soit dans l’Histoire, dans la littérature ou le cinéma, elle se présente comme une expérience recherchée par chacun. Fictive ou réelle, la quête de l’aventure traduit un véritable goût pour l’adrénaline et pour le risque chez des individus curieux, en quête de nouvelles découvertes hors des sentiers battus.

Il n’est donc pas surprenant que le tourisme se soit à son tour approprié le phénomène. Tourisme et aventure se sont naturellement associés pour répondre à un désir de voyage authentique, unique et orienté vers la nature.

Le tourisme d’aventure est donc logiquement apparu dans un contexte de post-tourisme. Depuis, grâce à une importante démocratisation du phénomène, le tourisme hors des sentiers battus ne s’adresse plus seulement aux aventuriers aguerris, mais à tous types de voyageurs, débutants comme expérimentés, avides de nouvelles expériences. En raison de l’évolution permanente du concept de tourisme d’aventure, les écrits manquent lorsqu’il s’agit de définir concrètement cette forme alternative de voyage.

La définition contemporaine de l’Adventure Travel Trade Association propose trois critères majeurs qui qualifient le voyage d’aventure. Il est nécessaire de cumuler au moins deux critères pour réaliser ce qu’on admet être du tourisme d’aventure : participer à une activité physique, prendre part à un échange culturel et une interagir avec la nature. D’après les tendances 2018 du voyage d’aventure proposées par l’Adventure Travel Trade Association, le succès du tourisme hors des sentiers battus continue de progresser. Lors de l’étude, 75% des tour-opérateurs spécialisés interrogés affirment espérer une augmentation importante des bénéfices du marché de l’aventure.

Parmi eux, 40% prétendent que cette croissance est due avant tout à une diversification de la clientèle. Le développement du marché de l’aventure permet effectivement d’atteindre des clientèles variées. Les 51-60 ans représentent le segment qui a le plus tendance à partir à l’aventure par le biais d’un tour-opérateur ou d’une agence (25%). A l’inverse, ce sont les séniors de plus de 70 ans qui partent le moins (6%), suivis par les jeunes adultes de 28 ans et moins (15%).

L’atteinte faible des séniors peut être aisément expliquée par les raisons physiques : bien qu’elle puisse être douce, l’aventure reste une forme de tourisme nécessitant une bonne forme physique. Cependant, il est plus surprenant de constater que les jeunes adultes, un segment particulièrement actif, se positionne en avant-dernière place.

Les millennials représentent une cible complexe aux attentes assez mal définies. Celles-ci sont avant tout motivées par la recherche constante de nouvelles expériences personnalisées, hors

du commun et authentiques. En tant que génération hyperconnectée, les jeunes adultes se présentent plus comme des touristonautes que comme des touristes traditionnels : ils sont donc peu nombreux à acheter un voyage organisé par une agence ou un tour-opérateur. Ce phénomène de résistance peut s’expliquer aussi par une volonté d’organiser le séjour par soi-même, mais peut-être aussi par une certaine méfiance vis-à-vis des professionnels.

Le défi pour les agences de voyage et tour-opérateurs d’aventure est donc de mieux cerner les millennials, afin de conquérir ce segment. L’enjeu est important : en tant que grands amateurs d’expériences insolites et hors des sentiers battus, ils représenteraient une source de revenue non négligeable. Ce mémoire s’attache alors à définir dans quelles mesures les jeunes adultes considèrent le tourisme comme une expérience à part entière. Pour cela, nous nous intéresserons tout particulièrement aux attentes et aux perceptions des millennials de cette forme de tourisme.

Nous tenterons d’aborder le sujet sous des angles différents, en associant notamment le voyage d’aventure à une possible quête identitaire, mais aussi à un moyen de dépasser ses limites physiques. Notre recherche nous amène aussi à nous interroger sur la notion d’authenticité. En tant qu’élément recherché à travers l’aventure, il nous semble important de comprendre les enjeux et les motivations de la quête d’authenticité chez les jeunes adultes.

La comparaison des perceptions et des attentes des millennials nous conduit aussi à envisager le tourisme d’aventure comme une expérience controversée : les attentes des jeunes adultes sont-elles cohérentes avec leur représentation de l’aventure? Enfin, nous tenterons d’analyser le discours des professionnels spécialistes de l’aventure afin de souligner les éléments majeurs qui forgent l’image populaire du voyage hors des sentiers battus en tant qu’expérience unique et extraordinaire.

Il restera finalement à étudier si la communication et le marketing expérientiel développés par les tour-opérateurs ont un impact positif sur les millennials. Dans un premier temps, la revue de littérature qui synthétise les apports majeurs sur le tourisme d’aventure et l’expérience permet d’éclairer les concepts clés de notre recherche, à savoir le tourisme d’aventure, l’expérience de consommation et le tourisme expérientiel, ainsi que toutes les notions qui leur sont intimement liées.

Ce panorama des recherches sur l’aventure permet de définir le cadre de notre recherche, avant de proposer une étude approfondie des attentes et des perceptions des millennials. Grâce à une méthodologie spécifique développée en seconde partie, nous procédons ensuite à une analyse thématique du discours de ces derniers. En parallèle, l’étude lexicale des discours des tour-opérateurs d’aventure permet de comparer les attentes et perceptions des jeunes adultes par rapport à la réalité du marché de l’aventure.

Ce mémoire se conclut sur un bilan des apports et une critique globale de la recherche, avant de proposer des pistes pour une future étude.

Cette première partie définit le cadre théorique de la recherche. La revue de littérature réalisée permet d’éclairer les concepts-clés du sujet que sont le tourisme d’aventure d’une part, et l’expérience de consommation d’autre part. Une fois ces deux notions fondamentales définies séparément, il sera plus aisé de comprendre l’association entre tourisme d’aventure et expérience afin de s’intéresser au concept de tourisme expérientiel. L’état de l’art thématique qui suit a été réalisé à partir de lectures d’articles et d’ouvrages scientifiques. Chaque document étudié a donné lieu à une fiche de lecture qui détaille les apports de l’auteur au sujet et la méthodologie qu’il emploie.

Le tourisme d’aventure : une forme de tourisme alternatif au succès grandissant Il convient de s’intéresser en premier lieu au tourisme d’aventure. Cette forme particulière du tourisme se distingue du tourisme plus traditionnel (ou de masse) grâce à des caractéristiques énoncées ci-dessous qui lui sont propres. Définition du concept Il n’est pas simple de définir le tourisme d’aventure étant donné qu’il s’agit d’un concept en évolution permanente.

Le tourisme d’aventure d’hier ne ressemble pas à celui d’aujourd’hui. Dans le cadre de ce mémoire, nous nous concentrerons sur une définition actuelle. La notion d’aventure Avant de tenter de définir le tourisme d’aventure, il semble pertinent de s’intéresser au concept d’aventure en lui-même. Le dictionnaire Larousse le caractérise comme un « événement fortuit, de caractère singulier ou surprenant, qui concerne une ou plusieurs personnes ».

Le CNRTL complète cette première définition par l’idée que l’aventure est « ce qui advient dans le temps, généralement à un individu ou à un groupe d’individus, d’une manière plus ou moins imprévue ou normalement imprévisible ». L’étymologie et les différentes expressions construites autour du mot aventure permettent de souligner les caractéristiques évolutives qui définissent ce terme : du latin adventura, il exprime l’idée de destin (« bonne ou mauvaise aventure »), de hasard (« partir à l’aventure ») mais aussi de danger (« se mettre en aventure ») puis d’inattendu (« par aventure »).

Ainsi, la notion d’aventure associée au tourisme exprime une volonté de voyager vers l’inconnu, ou tout du moins vers une destination hors du quotidien de l’individu. Pascale Argod propose une définition du tourisme hors des sentiers battus qui synthétise les éléments cités ci-dessus en affirmant que cette forme de tourisme vise à « sortir de l’espace du tourisme de masse référencé par les guides et les agences pour tendre vers l’exceptionnel, « l’authentique », l’aventure. Il s’agit alors de ne pas « suivre » les itinéraires, les routes tracées, les pèlerinages ou toutes formes de voyage préconçu, préétabli, encadré, dirigé ou guidé. […] il s’agit alors de vouloir singulariser son voyage et sortir de la norme afin de devenir un voyageur aventurier qui découvre le monde et s’offrir la liberté de vagabonder et « d’exister » (hors de soi) » (Argod, Pascale, 2016).

Il est également important de noter que bien que « tourisme d’aventure » soit le terme prédominant pour dénommer le phénomène, il existe toute une typologie relative à ces pratiques touristiques. Aurélie Condevaux, Géraldine Djament-Tran et Maria Gravari-Barbas recensent plusieurs termes équivalents ou directement liés au concept, à savoir un tourisme « hors des sentiers battus », le slow tourisme, le tourisme créatif, le tourisme expérimental, le tourisme interstitiel, le tourisme collaboratif ou encore le tourisme alternatif.

Une forme de tourisme orientée vers la nature et le sport ?

Dans l’imaginaire collectif, le tourisme d’aventure se caractérise avant tout par sa proximité immédiate avec la nature. « […] la notion d’aventure s’est imposée comme un vecteur privilégié de contact avec les formes les plus archétypales de la nature, souvent par le biais d’exploits sportifs largement médiatisés ». Philippe Bourdeau, « Tourisme d’aventure : la traversée des apparences », 1994.

C’est lorsque le tourisme s’est orienté vers le sport que le voyage d’aventure a connu ses premiers succès. En effet, dans les années 1990, ce dernier était lui-même particulièrement associé au monde sportif, et notamment aux sports de plein air tels que le trekking, la randonnée, le canoë-kayak et d’autres sports plus ou moins extrêmes pratiqués en pleine nature. Aujourd’hui, il convient de nuancer le caractère sportif du tourisme d’aventure. Cette forme de voyage s’est largement ouverte à un public plus large : le tourisme d’aventure n’est définitivement plus réservé à une clientèle sportive. La moindre escapade hors des sentiers balisés et dans un espace peu fréquenté par la masse de touristes se voit considérée comme un voyage d’aventure.

Les professionnels du tourisme ont largement participé à cette démocratisation du concept d’aventure pour des raisons économiques : les clients réels et potentiels ne sont plus seulement des sportifs, mais aussi des individus peu ou pas expérimentés, des couples, des familles voire des comités d’entreprise. La cible initiale du tourisme d’aventure qui était le sportif s’est aujourd’hui extrêmement élargie au point d’atteindre n’importe quel individu souhaitant voyager autrement.

Pour l’Adventure Travel Trade Association, un voyage est considéré comme étant d’aventure s’il réunit au moins deux des trois critères suivants : une activité physique, un échange culturel et une interaction avec la nature. Enjeux du tourisme d’aventure Les enjeux du tourisme d’aventure sont multiples. Ce dernier peut être envisagé comme une pratique de distinction, notamment vis-à-vis des touristes « standards », dans le sens touriste de masse. Enfin, le voyage d’aventure peut également être le reflet d’une quête identitaire.

Une pratique de distinction ?

Le tourisme d’aventure s’inscrit dans un désir de nouveauté et de voyager différemment des autres touristes. L’apparition du voyage d’aventure s’apparente à une rupture par rapport au tourisme traditionnel, si bien que cette nouvelle façon de voyager se présentait comme une pratique de distinction et d’intégration (Bourdeau, Philippe, 1994). Par distinction, on entend une volonté de se démarquer des touristes traditionnels, aussi bien au niveau spatial que social. Voyager hors des sentiers battus reflète la recherche d’un ailleurs et s’inscrit dans la dichotomie de « l’ici et de l’ailleurs ». Le rapport au temps à et l’espace est donc très particulier dans le tourisme d’aventure : le rythme du quotidien est bouleversé et les repères spatiaux momentanément (et/ou volontairement) perdus.

Une façon de se démarquer du touriste traditionnel D’ailleurs, les amateurs de tourisme d’aventure ont tendance à être désignés comme des « voyageurs », en opposition aux « touristes » qui représentent les individus participant au tourisme de masse. Par conséquent, alors que le voyageur est associé à l’aventurier, le touriste a mauvaise réputation et subit de nombreuses dénominations péjoratives parmi lesquelles « l’idiot du voyage » qui ne ferait que « bronzer idiot » (Urbain, Jean-Didier, 1991). « L’idiot du voyage, c’est le touriste. Il est, on le sait, un mauvais voyageur. C’est du moins la réputation que lui prête aujourd’hui le sens commun, en vertu d’une longue tradition de mépris », Jean-Didier Urbain, L’Idiot du Voyage, 1991 Nous pouvons donc estimer que le tourisme d’aventure s’inscrit dans une démarche de revalorisation du tourisme, auprès d’une société qui l’assimile à une activité de pur plaisir et parfois irresponsable (autant au niveau des populations locales que de l’environnement).

Le tourisme d’aventure s’opposerait à un tourisme de masse. Cette opposition provient de la volonté des individus de vivre une expérience unique et de se différencier des autres touristes. Ces derniers chercheraient à devenir des voyageurs : « le fantasme du touriste est celui de l’authenticité, de la solitude, en un mot du voyageur qu’il rêve d’être » (Daum, Thomas, Girard, Eudes, 2018). Plusieurs critères permettent de distinguer touriste de masse et voyageur. Le tableau suivant issu des travaux de Thomas Daum et Girard Eudes éclaire les divergences majeures de ces deux formes de tourisme : Tableau 1 : différences entre tourisme de masse et tourisme d’aventure Tourisme de masse Tourisme d’aventure Public concerné Tous types d’individus (FIT, famille, couple, groupes) Voyageur solitaire, « compagnons de route » Infrastructures Adaptées et pensées pour les touristes, gestion des flux Le voyageur ne peut compter que sur lui-même et ses capacités plus ou moins sportives Flux Saturation de l’espace Evite les foules Rapport aux médias Lien direct, fréquentation d’un lieu lié à la promotion faite par les médias Moins sensible à l’influence médiatique Conséquences environnementales Forte empreinte écologique mais désir de la réguler à travers les labels et lois Empreinte moindre, écotourisme Par ailleurs, en opposition au tourisme de masse qui induit une découverte passive d’une destination, le voyage d’aventure entraîne « une découverte active » (Concas, Clémentine, 2012), c’est-à-dire que l’individu mobilise ses cinq sens pour s’approprier l’espace.

Une quête identitaire ?

Les hauts degrés de sportivité, d’autonomie, de débrouillardise et de courage (dans le sens d’accepter la possibilité de risques) initialement requis dans le voyage d’aventure laissaient imaginer que cette forme de voyage se présente comme une quête identitaire. Le voyageur teste ses propres limites physiques et psychologiques : combien de temps est-il prêt à rester dans un lieu éloigné de son environnement habituel ?

Parviendra-t-il à accepter le manque de confort et de sécurité ? Est-il vraiment prêt à partir à l’aventure et à ne pas planifier son voyage dans les moindres détails ? Bien sûr, le tourisme hors des sentiers battus aujourd’hui n’est pas uniquement cette forme assez extrême d’aventure (de type backpacking) ; pourtant le succès de ce type de tourisme peut être expliqué par une volonté des individus de se retrouver face à eux-mêmes et par le désir d’expérimenter quelque chose de nouveau qui semble plus authentique. Actualités du tourisme d’aventure : chiffres et statistiques Les chiffres et statistiques ci-dessous présentent les tendances actuelles du tourisme d’aventure.

Un phénomène ancré dans son époque qui explique son succès croissant Le succès du tourisme d’aventure ne fait que croître ces dernières années. Alors qu’elle était auparavant majoritairement réservée à des voyageurs amateurs de sensations extrêmes et dépaysantes, cette forme de tourisme séduit aujourd’hui également des touristes aux attentes plus traditionnelles. Nous assistons à une certaine « rupture avec la notion classique de tourisme » (Condevaux, A., Djament-Tran, G. et Gravari-Barbas M. 2016), qui ne doit alors plus être appréhendée de la même manière. Nous serions dans une phase de post-tourisme, c’est-à-dire une période dans laquelle les individus sont moins dépendants de l’industrie touristique et plus déterminés à créer leurs propres expériences (Feifer, Maxine, 1985).

Chiffres et statistiques officiels L’Adventure Travel Trade Association (ATTA) est un réseau privé qui promeut le tourisme d’aventure et qui regroupe de nombreux professionnels du domaine dans le monde.

En plus de ses activités de promotion, la communauté publie régulièrement des chiffres clés sur le tourisme d’aventure, en collaboration avec ses membres (des TO spécialistes de l’aventure) qui partagent leurs résultats. Selon les chiffres officiels « ATTA Trends Snapshot 2018 », 75% des TO d’aventure interrogés déclarent une hausse de leurs bénéfices, une preuve incontestable du succès du phénomène. Il faut ajouter à cela que le tourisme d’aventure représente un revenu financier important pour la destination : selon les TO interrogés, 66% des dépenses réalisées sur place sont destinées au pays récepteur (+2% depuis 2016).

Les activités les plus demandées furent la randonnée en premier lieu la randonnée mais aussi l’écotourisme, le tourisme durable, et le tourisme culturel. Le cyclotourisme, le snorkeling, le tourisme culinaire et le safari sont également populaires. A l’inverse, les activités suivantes connaissent une baisse d’intérêt chez les clients : le snorkeling, le kayak, le rafting, le backpacking, l’escalade ou l’observation des oiseaux.

Enfin, les sports motorisés, le parapente ou le kitesurf sont les sports à la demande la plus basse. Globalement, les TO constatent que les sports extrêmes sont moins demandés que les activités dites plus « soft ». La moyenne d’âge des touristes d’aventure est de 49 ans. Les 50-70 ans sont les touristes les plus nombreux à opter pour le voyage hors des sentiers battus (41%). Les moins de 28 ans ne représentent que 14%. Les femmes représentent 53% des touristes d’aventure, contre 47% d’hommes. Les voyages se font majoritairement en couple (42%), puis en groupes (21%), seul (19%), et enfin en famille (18%).

Pour 2018, les quatre raisons qui ont le plus motivé les voyageurs à opter pour un séjour d’aventure sont la recherche de bien-être, partir à l’aventure en tant que symbole de statut, le désir de luxe et la déconnexion des technologies. Selon les demandes auprès des tour-opérateurs spécialisés, les destinations actuellement les plus tendances, c’est-à-dire les plus demandées par la clientèle des TO pour le tourisme d’aventure sont l’Europe de l’Est, la Scandinavie, l’Afrique du Sud et l’Asie du Sud-Est.

D’autres régions telles que l’Océanie, l’Antarctique, l’Amérique du Sud et l’Inde sont également de plus en plus populaires. Selon les World Travel Awards 2018, le Chili est la première destination d’aventure. Le Moyen-Orient et les Caraïbes connaissent un fort déclin de fréquentation et de popularité chez les voyageurs en raison des instabilités politiques. En ce qui concerne le produit touristique en lui-même, les TO notent un intérêt grandissant pour le voyage personnalisé, sur mesure. Les voyages en familles sont également de plus en plus plébiscités.

Quant aux prix des voyages, on constate une hausse progressive d’année en année, quel que soit le pays récepteur. A titre d’exemple, le prix moyen d’une journée d’un voyage de type aventure en Amérique du Nord est passé de 388$ en 2016 à 442$ en 2018. Ces chiffres confirment donc le succès du tourisme d’aventure. Cette façon de voyager plus actuelle que jamais continue de séduire davantage de clients chaque année.

Les tour-opérateurs l’ont bien compris et mettent alors tout en œuvre pour combler les attentes des touristes : innovations de produit (sur mesure ou co-créés), nouvelles destinations, spécialisations géographiques ou sur une activité particulière (trekking, randonnées, tourisme durable, tourisme polaire).

En 2018, le TO jamaïcain Chukka Caribbean Adventure a été déclaré TO leader mondial d’aventure. En France, c’est le groupe Voyageurs qui regroupe notamment Terres d’Aventure, Voyageurs du Monde, Grand Nord Grand Large, Allibert Trekking et Nomade Aventure qui se positionne en première place. Leur succès est dû en grande partie à leurs capacités à innover et à proposer des techniques de ventes adaptées à ce que recherchent les touristes en optant pour l’aventure.

L’expérience de consommation : un processus complexe et mal défini Le concept de tourisme d’aventure étant éclairé, il convient maintenant d’approcher la notion d’expérience puis plus précisément d’expérience de consommation. Première approche de l’expérience : définitions et concepts liés Définitions de l’expérience Le terme expérience a plusieurs sens. Du latin experiti (ou experientia), il signifie à l’origine « essayer » dans le sens « tenter ». Dans un contexte scientifique, expérience renvoie à l’idée d’expérimentation (dans le sens « faire une expérience » pour vérifier des hypothèses et observer des faits). De façon plus générale, en sciences humaines et sociales, une expérience peut aussi être envisagée comme un fait vécu.

Le CNRTL propose une définition en ce sens : « fait d’acquérir, volontairement ou non, ou de développer la connaissance des êtres et des choses par leur pratique et par une confrontation plus ou moins longue de soi avec le monde ». Celle-ci souligne le développement de connaissances à la fois théoriques et pratiques que génère l’expérience chez un individu. L’expérience est donc le fruit d’un apprentissage.

Une expérience est aussi « le fait d’éprouver quelque chose » (Le Petit Robert, 2008). Cette définition souligne donc le rôle majeur des sensations et des émotions ressenties par l’individu. Dans le cadre de cette recherche, nous n’envisagerons pas l’expérience dans sa définition scientifique, mais plus dans une optique sociale comme envisagée ci-dessus (en quoi le tourisme d’aventure s’apparente-t-il à une expérience pour le voyageur?) et sous un angle commercial (comment les tour-opérateurs ont fait du tourisme d’aventure une expérience de consommation ?).

Caractéristiques de l’expérience de consommation L’expérience de consommation correspond à ce que vit et ressent le consommateur pendant le processus de consommation. Celui-ci se divise en quatre phases distinctes (Camus, Sandra, 2014 ; Carù et Cova, 2015) : Figure 1 Phases de l’expérience de consommation Tandis que les biens sont tangibles et les services intangibles, les expériences sont mémorables, d’où l’importance de la dernière phase de l’expérience client qui est le souvenir, le récit.

Bien qu’elle ne soit pas matérielle, une expérience réussie est plus ou moins « appropriable » par le consommateur (Camus, S., 2014). En fait, l’expérience se construit par l’action du client (ici du touriste) grâce à un sentiment d’appropriation, d’unicité et de personnalisation fort. Antonella Carù et Bernard Cova notent certaines spécificités de l’expérience de consommation sur lesquelles il convient de revenir : L’individu qui bénéficie de l’expérience n’a pas seulement un rôle de consommateur. Il agit et interagit.

La consommation ne se limite pas à l’achat (cf. figure 1) ; L’expérience est aujourd’hui applicable à tous les secteurs économiques (elle était initialement favorisée dans l’industrie du loisirs, donc du tourisme) ; L’impact de l’expérience varie selon le consommateur: pour certains une immersion peut être nécessaire tandis que pour d’autres un simple habillage peut suffire ; Le consommateur accepte tacitement l’artificialité de l’expérience suite à sa mise à en scène ; (« De plus en plus, nous nous contentons, pour toute réalité, de celles des images, et, pour toute chose, de la copie. Nous souhaitons secrètement ne plus être confrontés à l’original et sa dure réalité, pour lui préférer des artefacts plus édulcorés », Carù A. et Cova B., 2015).

En résumé, une expérience se veut personnelle, appropriable, unique, personnalisable et mémorable. L’enjeu majeur de la production d’expérience est d’enchanter ou de ré-enchanter la consommation d’un produit (Roederer, C., 2012). En ce qui concerne un produit touristique, il s’agit de créer un univers propre à celui-ci, de le valoriser aux yeux du touriste en le plongeant dans cet univers (processus d’immersion).

Pour cela, une mise ou scène voire une théâtralisation de l’offre est nécessaire. L’économie de l’expérience C’est dans les années 1980 qu’émergent les premiers travaux autour de l’expérience de consommation. Morris Holbrook et Elizabeth Hirschman développent ainsi en 1982 la notion de consommation expérientielle qui placerait les émotions du consommateur au cœur du processus de consommation, insistant alors sur l’importance des stimuli sensoriels et émotionnels des expériences.

Les quêtes de nouveauté et de sensations seraient les raisons majeures de la recherche d’expérience. Le modèle expérientiel d’Holbrook et Hirschman définit ainsi l’expérience comme une réponse du consommateur aux stimuli auxquels il s’expose. Joseph Pine et James Gilmore se présentent également comme des pionniers dans la recherche sur l’expérience de consommation à travers ce qu’ils appellent « l’économie de l’expérience » (Pine, Joseph, Gilmore James H., 1998).

Jusque dans les années 1990, les économistes incluaient l’expérience avec les biens et les services. Pourtant, il s’agit de trois notions différentes, si bien que l’expérience pourrait être considérée comme une véritable nouvelle catégorie d’offre. En effet, au même titre que les biens et que les services, l’expérience est désirée par les consommateurs. Il convient alors pour les producteurs de répondre à cette demande croissante.

La présence d’une demande et d’une offre correspondante permet donc effectivement de définir l’expérience comme une économie à part entière. Par ailleurs, Pine et Gilmore estiment que cette forme d’économie est supérieure à celle des biens et des services, c’est-à-dire que sa valeur économique serait plus importante. A travers leur schéma « The Progression of Economic Value » ci-dessous, Pine et Gilmore affirment qu’il existe une certaine hiérarchie entre biens, services et expériences.

La délivrance d’un service offrirait davantage de valeur que la simple création d’un bien, mais moins de valeur que la réalisation d’une expérience qui se présente alors comme l’étape ultime de la création de valeur économique. Il s’agit bien d’une progression, c’est-à-dire qu’il est nécessaire de réaliser chaque étape pour atteindre l’expérience. En fait, cette dernière permet aux entreprises de se démarquer de la concurrence (« differentiated ») et de marquer les esprits des consommateurs « relevant to »).

Pour autant, la création d’expériences ne signifie pas de mettre un terme à la création de biens et de services : ils sont combinables. Figure 2 Pine and Gilmore, « The Profession of Economic Value » L’expérience vécue par le consommateur et par le producteur Il est important de souligner que l’expérience recouvre non seulement l’expérience de consommation, mais aussi la production d’expériences (Camus, S., 2014).

Dans un contexte de marketing expérientiel, il est nécessaire de différencier l’expérience du client (ce que vit le consommateur) de l’expérience de la marque (ce que la marque veut faire vivre au consommateur). Il s’agit d’un ensemble d’interactions entre la marque et le consommateur (Roederer, C., Filser, M., 2015). La consommation d’expérience Le consommateur est au cœur du processus expérientiel.

C’est lui qui, d’une certaine façon, crée l’expérience. En effet, sa manière personnelle d’appréhender un produit crée l’unicité de l’expérience. La consommation ne se limite pas à l’achat, mais aux interactions entre consommateur et producteur (Carù, A., Cova, B. 2009). Depuis l’intérêt pour l’expérience de consommation, on peut identifier trois types de consommateurs. Les années 1990 voient émerger un consommateur individualiste qui s’intéresse au concept du sur-mesure.

Les années 2000 seraient celles de l’individu hédoniste et créatif. Enfin, les années 2010 mettraient davantage en lumière un consommateur collaboratif (Carù, A., Cova, B., 2009). Plus généralement, on peut admettre que le consommateur d’expérience est en quête de sensations et d’émotions, afin de combler le désenchantement de la période postmoderne dont il est victime. Le consommateur moderne veut prendre part à l’expérience, non plus seulement en la vivant mais en participant à son élaboration.

Les simples biens et services ne le satisfont plus : il cherche à vivre des expériences extraordinaires. Le processus de co-création Le consommateur doit alors être ré-enchanté pour le convaincre de la valeur de l’offre commerciale. Le ré-enchantement vise à intégrer une part d’émerveillement, d’extraordinaire, de spectaculaire dans l’offre « pour enrichir le vécu du consommateur, le réinvestir de sens, de surprise voire de mystère » (Roederer, C., Filser, M., 2015, p. 30). C’est dans cette démarche de ré-enchantement qu’émerge le processus de co-création.

Par co-création, on entend une participation active du consommateur dans la création de son expérience. C’est une sorte de collaboration entre celui qui propose l’offre et celui qui en bénéficie. Celle-ci provient d’un désir du consommateur de s’impliquer dans la création de l’expérience (Carù A. et Cova B., 2015).

La production d’expériences et le marketing expérientiel L’expérience au service de l’entreprise Aujourd’hui pour une entreprise, l’expérience est un véritable avantage concurrentiel et une manière de se différencier de la concurrence. Il s’agit d’une stratégie marketing des producteurs, si bien que l’on parle de marketing expérientiel. Soulignons toutefois que comme le rappelle Sandra Camus, « l’entreprise ne produit pas l’expérience […], elle a la possibilité de la favoriser en offrant aux consommateurs les objets et contextes adaptés ». (Camus, S., 2014). En fait, l’expérience se construit à travers les actions du consommateur et sa manière de se l’approprier.

La production d’expérience vise non seulement à se différencier sur le marché (outil concurrentiel) en proposant une offre originale, mais aussi à marquer l’esprit du consommateur, créant ainsi une véritable identité de marque aisément mémorable. Le marketing expérientiel Le marketing expérientiel apparaît dans les années 1980, à partir du moment où certains auteurs ont manifesté un intérêt pour la notion d’expérience (Holbrook et Hirschman notamment) et lors du passage d’une « ère good-dominant à une ère service-dominant » (Roederer C. et Filser, M., 2015).

Cette dernière implique nécessairement des stratégies expérientielles. La définition du marketing expérientiel proposée par Claire Roederer et Marc Filser résume bien les caractéristiques majeures de la notion : « démarche marketing qui vise à développer des contextes expérientiels pour différencier la marque en délivrant plus de valeur au client. Le marketing expérientiel place, par conséquent, l’expérience client au cœur de la stratégie marketing » (Roederer C. et Filser, M. 2015, p. 2).

Le marketing expérientiel émerge suite à la volonté des consommateurs de « vivre des immersions dans des expériences extraordinaires plutôt qu’à rencontrer de simples produits ou services » (Carù A., Cova B., 2015). Le marketing expérientiel est donc une technique de distinction (ou différenciation) de l’entreprise (face à la concurrence) qui propose une nouvelle façon de consommer au client en faisant de lui l’acteur principal de la stratégie, afin de lui procurer une certaine valeur ajoutée au travers d’expériences plus ou moins mises en scène.

Cette technique marketing se traduit notamment par le design d’expérience et par la mise en scène de l’expérience. Cette dernière est engendrée au travers d’un décor immersif, de sensations favorisant une immersion forte (les cinq sens peuvent être mobilisés : l’odorat, le toucher, la vue, l’ouïe avec des sons spécifiques et même le goût pour créer une ambiance mémorable).

Il est important de distinguer la production d’expériences du marketing expérientiel. Le champ d’étude de ce dernier ne se limite à pas la création d’expériences mais inclut l’expérience en tant que nouvelle catégorie d’offres, comme l’énonçaient déjà Pine et Gilmore à la fin du XXème siècle. Plus simplement, la production d’expériences est considérée comme une étape mobilisant les émotions du consommateur afin de l’aider à se forger une identité (Carù, A, Cova, B, 2015).

Le tourisme expérientiel : l’expérience du voyage L’expérience est applicable à tous les secteurs économiques. Notons toutefois que ses racines se trouvent dans l’industrie du loisir (notamment des parcs d’attraction qui misent beaucoup sur la mise en scène de l’expérience pour favoriser une immersion du consommateur). Le tourisme n’est donc pas en marge du phénomène expérientiel.

C’est seulement à partir des années 1970 que le tourisme est davantage étudié sous un angle expérientiel, en prenant en compte le vécu du touriste. Définition et du tourisme expérientiel Rapport au temps, à l’espace et aux individus Le tourisme expérientiel peut être défini comme l’ « ensemble des états engendrés par ce que l’individu vit avant, pendant et après un séjour touristique » (Boualem, Kadri, Bondarenko, Maria, 2015, p. 7).

Il implique donc trois phases distinctes : avant le départ (imagination, choix de la destination, préparation du voyage), pendant le voyage (l’expérience à proprement parler, le vécu personnel) et après le séjour (les souvenirs, le récit). Grâce à une analyse sémantique réalisée avec le logiciel Sémato, Kadri Boualem et Maria Bondarenko ont identifié les termes avec lesquels est associé le mot expérience dans le discours du tourisme. Ainsi, il en ressort que le thème expérience est très lié à celui de « touriste visiteur », ce qui revient à dire que l’expérience se construit en référence à l’individu. Le thème du vécu est également particulièrement important, notamment le vécu individuel qui forgerait l’expérience personnelle (Jafari, 1988).

En accumulant les pratiques touristiques, le touriste se crée un vécu touristique. Cette « logique d’ajout » (Bachimon, Decroly et Knafou) crée un « stock d’expériences ». D’autre part, le vécu touristique qui implique l’idée de déplacement (ou mobilité) occupe également une place importante dans l’expérience touristique puisque l’individu quitte un espace et une temporalité ordinaires pour rejoindre un espace inhabituel et hors du quotidien.

Puisque le tourisme se caractérise avant tout par une rupture spatio-temporelle, il peut être intéressant de catégoriser l’expérience touristique selon son degré de rupture avec le quotidien et d’interaction avec autrui, tel que l’avait déjà proposé Erik Cohen, comme pionnier dans la recherche sur l’authenticité à travers ses travaux. Ainsi, nous pouvons retenir une seconde définition proposée par Boualem et Bondarenko qui vient compléter la première en résumant le phénomène d’expérience touristique de la sorte : « vécu individuel obligatoirement lié au déplacement et caractérisé positivement par sa qualité de non ordinaire, par sa diversité/pluralité et par son rapport avec les activités culturelles d’ordre ludique et festif.

L’acteur de ce phénomène est un individu voyageant et participant à des activités d’agrément qui rythment sa visite » (Boualem, Kadri et Bondarenko Maria, 2015, p. 9). Expérience, sensations et émotions Prendre part à une expérience, c’est aussi ressentir de nouvelles sensations et émotions (« le fait d’éprouver quelque chose », Le Petit Robert, 2008). Dans l’expérience touristique, il convient de distinguer les émotions du touriste des sensations du touriste. D’une part, les émotions relèvent de la psychologie de l’individu. D’autre part, les sensations correspondent davantage aux cinq sens mobilisés par le touriste lors de son expérience mais aussi pour créer son expérience.

La perception des différentes sensations personnalise l’expérience de chacun et génère par la suite des souvenirs plus ou moins mémorables. Le tourisme serait donc « polysensuel » (Decroly, Jean-Michel, 2015). Enjeux du tourisme expérientiel Expérience et quête d’authenticité : une illusion ? Les premiers travaux sur le tourisme expérientiel s’accordaient déjà à dire que la motivation première du touriste serait la quête d’authenticité. Erik Cohen fut le précurseur des recherches sur les liens entre tourisme et authenticité.

La quête d’authenticité s’inscrit plus récemment dans un contexte de post-modernité. En raison d’une forte pression sociale et d’une société dans laquelle il ne trouve pas sa place, l’individu partirait dans une sorte de quête intérieure pour trouver des valeurs plus justes et profondes. Dean MacCannell considère même cette recherche d’authenticité comme un besoin primitif. En tourisme, celle-ci se traduirait par la recherche d’un voyage vrai, presque transformateur (tourisme transformationnel), loin du tourisme de masse qui n’aurait que des fins ludiques (MacCannell, Dean, 1973).

Un voyage authentique se traduirait notamment par la rencontre avec les locaux, par une forme de tourisme respectueuse et respectable, par la présence d’une part de risque aussi, notamment en s’aventurant (d’où l’émergence du tourisme d’aventure ?) vers des contrées peu connues. Cette quête vers une sorte de retour aux sources semble pourtant peu réalisable en raison de deux facteurs principaux qui viennent freiner une possible authenticité : la marchandisation du tourisme et la théâtralisation du voyage.

Marchandisation Le tourisme est un phénomène dirigé par la loi du marché, il est donc commercialisé : un tour-opérateur, une agence de voyage ou une agence réceptive restent une entreprise qui cherche à créer du bénéfice. Pourtant, le terme authenticité qui trouve son origine en muséologie désignait alors tout objet crée par un artiste traditionnel mais à des buts non lucratifs. Un premier paradoxe apparaît donc : peut-on qualifier un voyage vendu par un prestataire comme une expérience authentique ?

Cohen ajoute à cela que cette marchandisation entraîne une destruction des cultures locales puisque celles-ci deviennent des attractions touristiques : les traditions sont dénaturées (non seulement pour les touristes, mais aussi pour les locaux eux-mêmes pour qui les coutumes perdent leurs valeurs originelles) et les rapports humains détériorés. Selon Davydd J. Greenwood, les objets culturels perdent leur valeur intrinsèque lorsqu’ils sont commercialisés, parce les peuples ne prennent plus de plaisir à les fabriquer (« The ritual has become a performance for money. The meaning is gone », 1972).

Les rituels, danses et autres réalisations sont devenus des performances échangées contre de l’argent. Dans le tourisme, tout semble sujet à la marchandisation : traditions, objets, spécialités culinaires, costumes. Ainsi, par définition, tourisme et authenticité sont deux termes qui semblent difficilement associables, voire contradictoires. Théâtralisation Cette expérience soi-disant authentique ne serait finalement que l’objet d’une théâtralisation, c’est-à-dire d’une mise en scène organisée par divers acteurs. Parmi eux, les entreprises du tourisme (TO, agences) qui vendent l’expérience et l’enjolivent à travers tout un travail de communication et de marketing, mais aussi les destinations qui acceptent de se vendre, en mettant en avant certaines de leurs caractéristiques attrayantes et en omettant d’en souligner d’autres moins sensationnelles mais pourtant bien réelles.

La destination et ses habitants tentent tant bien que mal de correspondre à l’image collective que les touristes s’en font. L’organisation de tours et de rencontres avec les locaux entraîne forcément une perte de spontanéité nécessaire à l’expérience telle qu’elle est définie originellement. Finalement, la promesse de vivre une expérience authentique en participant à un voyage organisé perd tout son sens : toutes activités ou hébergements jugés authentiques dans un voyage proposé par un TO est le fruit d’une négociation entre l’entreprise touristique française et les fournisseurs locaux. La rencontre est biaisée et encadrée, et l’authenticité surjouée. De là, on pourrait alors parler de « mise-en-scène de l’authenticité » (MacCannell, D., 1973).

L’authenticité émergente : vers une possible véritable authenticité ? Malgré cette vision plutôt pessimiste du tourisme authentique, Cohen rappelle que les touristes sont conscients de vivre une expérience organisée qui n’est pas forcément aussi vraie qu’elle le laisse entendre. Chaque individu aurait des critères de définition de l’authenticité variables : celui qui part en quête d’authenticité se fondera sur des critères stricts, tandis qu’un touriste plus standard se satisfera d’une authenticité peu profonde en prenant part à ce qu’on appelle communément un piège à touristes.

La majeure partie des touristes ne recherche pas « une totale authenticité », c’est-à-dire que si elle estime qu’un voyage comporte quelques caractéristiques jugées suffisamment authentiques, alors le qualificatif authentique s’applique à l’entièreté du produit. « Indeed, for many tourists, tourism is a form of play (Cohen 1985), which like all play, has profound roots in reality, but for the success of which a great deal of make-believe, on part of both performers and audience, is necessary.

They willingly, even if often unconsciously, participate playfully in a game of “as if,” pretending that a contrived product is authentic, even if deep down they are not convinced of its authenticity. » Erik Cohen, « Authenticity and commoditization in tourism », Annals of Tourism Research, 1988. Par ailleurs, marchandisation n’est pas forcément synonyme d’aliénation. Les peuples locaux restent libres de choisir les traditions qu’ils souhaitent présenter au public et en conserver d’autres pour eux.

Dans l’esprit de l’emergent authenticity, un objet culturel peut refléter plusieurs significations ; à chaque nouvelle performance ou rencontre, une nouvelle signification s’additionne. En ce sens, la commercialisation serait un moyen d’évolution.

La marchandisation de la culture a tendance à intervenir dans un pays en déclin culturellement. Par conséquent, l’émergence d’un marché touristique permet de mieux conserver les traditions, qui sans lui auraient péri (Cohen, E. 1988).